dimanche 21 juin 2009

Soudain dans la forêt profonde


Amos OZ, « Soudain dans la forêt profonde », Gallimard 2006, Folio poche


Il était une fois un homme qui se mit à raconter, à la manière des frères Grimm mais dans une langue qui avait dormi pendant des siècles, un conte sur la tolérance, la différence mais aussi sur les dangers du mépris et ceux, dévastateurs, de l’oubli. Cet homme, c’est Amos Oz, le plus « grand » des auteurs israéliens (Ailleurs peut-être, la Boîte noire, Vie et mort en quatre rimes…), tellement récompensé qu’on ne le présente même plus. J’ai lu aujourd’hui « Soudain dans la forêt profonde », un livre très court (126 pages). C’est un conte initiatique qui nous montre la vie de deux enfants vivant, pataugeant dans la mare désolante du mensonge, de l’oubli et de la raillerie, deux enfants qui s’enfoncent dans la forêt interdite pour savoir, comprendre ce dont personne ne cherche à se souvenir.


C’était il y a longtemps ; comment vérifier…
À l’école pourtant on apprend que…
Il fait des rêves, lui ; il les raconte et on se moque…
Il a la hennite alors ? Il fait des bruits de chevaux…
La hennite, ça n’existe pas…
Quand on a peur, on met des noms, on invente des maladies…


Des mal-aimés, le monde est plein de mal-aimés…
Ils sont différents…
Ils nous font peur, les mal-aimés…
Des souffre-douleur, il y en a aussi…
Et les oiseaux, ils chantaient ?
On n’entend rien, plus jamais…
C’est un poisson, pas un dessin ; les dessins ne frétillent pas…
Non, c’est un dessin…


On apprend à mentir…
La vérité, il faut la dénigrer…
Glorifier le mensonge le mensonge le mensonge…
Et les mal-aimés alors ?
Choisir la solitude, parfois c’est nécessaire…
Le mal-aimé est parti…
Depuis ce jour, à la nuit tombée…


C’est un démon ; il descend de son palais de cauchemars…
Fermer les fenêtres, ne pas regarder…
Ici, il n’y a que du silence…
Cet endroit est maudit…
Les voyageurs ne s’y attardent pas…
Jamais…


Minuit, il se matérialise, déambule dans les allées…
On ne devrait pas se moquer…
Se moquer…
Se souvenir…
Se souvenir et oublier en même temps…
Trouver un mot, l’inventer…
Au nom de la mémoire et de l’oubli…


Et ce jardin, c’est comme un paradis…
Les jardins paradisiaques, comme dans les contes ?
Comme dans les contes…
Repousser les frontières…
Arrêter le temps qui, seul, est capable de s’épuiser sans cesse…
Seul le temps ne s’arrête jamais…


Mais le jour qui n’en finit pas de tomber comme s’il était ensorcelé…
Le soir, il peut le retenir ; c’est un sorcier…
Il parle aux animaux…
On est où ?
Pas d’espace.
Pas de temps.
Une forêt…
On est dans une forêt…


Plus tard, les gens liront : ils parleront de métaphores…
Ou ils diront des mensonges.
Les gens aiment les mensonges…

Ils en disent tout le temps...
C’est cette peur, de ne pas être comme les autres…
Si on s’éloigne, on ne revient jamais…
Le mal-aimé, il faut le ramener…
Demain…



4ème de couverture:


Un village au bout du monde, triste et gris, encerclé par des forêts épaisses et sombres. Un village maudit : toutes les bêtes, tous les oiseaux et même les poissons de la rivière l'ont déserté. Depuis, ses habitants se barricadent chez eux dès la nuit tombée, terrorisés par la créature mystérieuse nommée Nehi, et interdisent aux enfants de pénétrer dans la forêt. Mais surtout, ils gardent le silence. Personne ne veut se souvenir des animaux ni évoquer la vie d'avant. Seule Emanuela, l'institutrice du village, tente d'enseigner aux élèves à quoi ressemblaient ces animaux disparus. Deux enfants de sa classe, Matti et Maya, décident alors d'élucider le mystère et s'aventurent dans la forêt en dépit de l'interdit... Soudain dans la forêt profonde est un conte pour enfants et adultes. Au carrefour de la tradition biblique, du folklore yiddish et du conte européen, il nous offre une magnifique parabole sur la tolérance.


Page 28


Nimi était devenu un petit vagabond, car les portes se fermaient devant lui depuis qu’il était atteint de hennite. Très vite, tout redevint silencieux. Et, à la lueur du croissant de lune qui jouait à cache-cache avec les nuages, elle distingua le bosquet noyé d’ombre, de l’autre côté de la ruelle, derrière une bâtisse en ruine.


À la faveur des brèves apparitions de la lune, entre les nuages, au cours de cette nuit vide, interminable, elle compta huit arbres. Elle les recompta lorsque la lune surgit, une ou deux heures après et, cette fois, il y en avait neuf. Au moment où la lune reparut, un peu plus tard, il y en avait encore neuf. Mais quand, à l’aube, les versants des montagnes commencèrent à blanchir aux premiers rayons du soleil et que Maya décida de recompter les arbres encore une fois, la dernière, elle n’en trouva plus que huit.

(Extrait de Amos Oz, "Soudain dans la forêt profonde".)

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