samedi 13 juin 2009

Blues pour un chat noir


Boris VIAN, "Blues pour un chat noir", Le Livre de Poche (1945-1950).


J’avais promis aux petits une escapade en train. Acheter un billet, peu importe la destination, pas trop loin quand même parce que les samedis ici sont souvent chargés. Attente sur le quai. Notre train annulé. Dans 34 minutes, on aura un omnibus. C’est bien, les omnibus, ils s’arrêtent partout, découpent la Belgique de mille arrêts au milieu de nulle part. Les enfants ne tiennent pas en place, courent sur le quai. Je crie un peu. Les trains, c’est dangereux ; les rails, on s’en approche pas. Coup d’œil vers le ciel. Le bleu très clair de la veille s’est dilué, on ne le devine plus qu’à travers un tapis de nuages. La pluie bientôt. Sûrement. Le temps en Belgique… Un avion passe en ronflant. Le chant de moineaux invisibles couvre le bruit de la circulation de la Grand Route. De l’autre côté du chemin de fer, des sapins escaladent une colline. Quelques voyageurs. Je dis aux enfants « Faites comme si on était là pour sourire, comme dans les galeries marchandes en Chine », et ils sourient. Moi aussi. Après, le temps ne passe plus alors ils réclament une histoire. Dans mon sac, j’ai toujours un recueil de nouvelles « en cas où » parce que les nouvelles, c’est comme des petits pansements quand ça ne va pas, ou des petits entractes quand ça va bien. « Blues pour un chat noir » dans mon sac… Je me dis « Pourquoi pas ? si je change un peu les mots ». Je lis alors l’histoire de ce chat tombé dans un égout et qui appelle à l’aide, les passants qui l’encouragent, lui qui se lamente, les soldats américains (j’évite de nommer la péripatéticienne ; j’en fais une boulangère), les dernières nouvelles de la guerre, l’indifférence et cette fin de soirée dans un bistrot passée à enivrer monsieur chat qui raconte ses malheurs de résistant-chat… On prend des photos, le train arrive. Aller-retour pour Namur. J’ai le temps de lire une ou deux autres nouvelles et de repenser à mes cours de français, quand j’étais ado et que madame Simon nous parlait de littérature engagée. Les années noires, la libération, le surréalisme bientôt et ce déferlement d’auteurs américains sur l’Europe, Hemingway, Faulkner, Chandler (traduit par Vian) et aussi le racisme omniprésent et combattu bien sûr par Vian. (Qui n’a jamais entendu « le Déserteur » ?)



Littérature engagée ainsi avec Boris Vian, des pages et des pages qui pourraient s’écrire en prenant pour base n’importe lequel de ses romans et pourtant, mon but, c’est de donner envie d’en lire un en particulier, de proposer un recueil de nouvelles pour commencer, pourquoi pas ? (j’aime beaucoup les nouvelles, qui ne sont pas si faciles à écrire que ce que l’on pourrait croire et même, elles demandent tant de cohésion, d’imagination, le tout sur quelques pages, qu’elles sont bien souvent la plus belle « vitrine » d’un auteur : on peut dans une nouvelle déceler tant de potentiel… et je sais que faire court quand on aime écrire, c’est souvent très difficile !) Donner envie de lire Vian donc et sans aborder « l’Écume des jours », ça ne va pas être facile ! et les lecteurs aguerris risquent de serrer les mâchoires parce que non, je ne compte pas parler en long et en large de sa formation initiale d’ingénieur, de son refus du conformisme, de ses affinités avec le groupe surréaliste (quoique, en lisant 5 pages, on le comprend aisément), de sa passion pour le Jazz et de son admiration sans bornes pour Duke Ellington, pas plus que je ne m’étalerai sur le procès qu’il a dû subir après « J’irai cracher sur vos tombes », des pseudonymes sous lesquels il écrivait, de sa décision d’arrêter d’écrire après « l’Arrache-cœur ». Tout ça, on l’apprend en découvrant cet auteur qui a surtout été apprécié après sa mort (ça arrive…)




« Blues pour un chat noir » donc puisque c’est de ce recueil de nouvelles en particulier qu’il est question ici. Cinq nouvelles toutes dotées d’une chute très inattendue, empreinte d’une atmosphère souvent étrange, une ambiance d’après-guerre aussi. Paris, New York, des prostituées, des musiciens, des groupes de Jazz, des filles bien roulées, des hommes désespérés, des morts et la possibilité parfois de revenir en arrière, mais qu’on ne saisit pas forcément parce que la vie selon Vian… Le racisme aussi, encore et toujours montré du doigt, dénoncé sans relâche (sa passion pour le jazz était étroitement liée à sa haine du racisme), la couleur jaune qui flotte entre les pages (le jaune, symbole de bien des qualités chez les personnages de Vian), un goût prononcé pour la provocation aussi (à découvrir pour mieux le savourer), des soldats américains profitant en France de la libération et de son insouciance, l’indifférence alors, même quand il y a des milliers de morts, l’absurdité et la solitude auxquelles le héros Vianesque doit faire face : il y a des hommes qui tombent de l’Empire Stade Building et la vie qui continue, qui défile en tout cas derrière les fenêtres, à tous les étages ; il y a des gens qui vendent leur sueur qui aidera peut-être à faire passer les arrière-gouts des denrées vendues pendant la guerre ; des oiseaux jaunes qui sortent des verres et puis qui s’envolent ; des femmes jaunes aussi rattrapant les hommes qui tombent et puis qui les repoussent parce qu’on est « chez Vian » quand même : on passe de la naïveté à la dure réalité, de l’innocence à la révolte. Chez Vian (l’homme qui avait « inventé » la machine à effacer les rêves !), une idée, un principe traverse toutes le pages, les noircit au sens propre et figuré : la vie est bien trop précieuse et fragile pour qu’on la gâche à coups de canons. La guerre et son effroyable réalité ne provoquent que la mort dont aucun dieu ne pourra nous sauver. Dieu, la guerre (et la connerie !) sont présents dans tous ces romans (je crois) comme des cibles manifestes.

Dieu n’a d’intérêt que pour les pasteurs et pour les gens qui ont peur de mourir, pas pour ceux qui ont peur de vivre. […] Dieu ne sert à rien quand c’est des hommes que l’on a peur. (p.90)



Le style enfin. Est-ce utile de rappeler combien Vian était un adepte de la « liberté potentielle du langage » tout en respectant un évident formalisme ? Queneau, au passage, l’a beaucoup aidé à s’introduire dans les sphères , mais Vian admirait aussi beaucoup Faulkner, Kafka, Lewis Carroll… Des jeux de mots, des mots-valises, des constructions surprenantes… mais en voilà assez ! Vian, il faut le lire pour le croire. « Blues pour un chat noir » et puis, bien sûr, « L’Écume des jours », un roman comme on n’en écrira peut-être plus.


Page 28 (elle est pas mal !)


On est au cœur de la nouvelle éponyme. Un attroupement s’est formé pour tenter de sauver ce pauvre chat coincé dans un égout.


L’homme en espadrilles joua des coudes pour s’ouvrir un passage. Il ramenait un long manche à balai.
- Ah ! dit Peter Gna, ça va peut-être aller.
Mais devant l’entrée de l’égout, le bâton se raidit et le coude formé par la voûte empêcha de l’y introduire.
- Il faudrait chercher la plaque de l’égout et la desceller, suggéra la sœur de Peter Gna.
Elle traduisit à l’Américain sa proposition.
- Oh ! Yeah ! dit-il.
Et il se mit immédiatement à la recherche de la plaque. Il passa sa main dans l’ouverture rectangulaire, tira, lâcha prise et s’assomma sur le mur de la maison laa plus proche.
- Soignez-le, commanda Peter Gna à deux femmes de la foule, qui relevèrent l’Américain et l’emmenèrent chez elles pour s’assurer du contenu des poches de sa vareuse. Elles trouvèrent notamment une savonnette Lux et une grosse barre de chocolat fourré O’Henry. En revanche, il leur passa une bonne blennorragie qu’il tenait d’une blonde ravissante rencontrée deux jours plus tôt à Pigalle.
L’homme au bâton se tapa la tête du plat de la main et dit « Euréchat ! »… et remonta chez lui.
- Il se fout de moi, dit le chat. Écoutez, vous, là-haut, si vous ne vous grouillez pas un peu, je m’en vais…

3 commentaires:

  1. Mince alors ! J'ai pas lu ces nouvelles-là ! Comment se fait-ce qu'un inconditionnel de Vian comme moi...
    Excellente page28, j'adore Vian. Vraiment.
    Merci pour avoir attiré mon attention sur ces nouvelles, Maddy.
    En plus, ce que j'apprécie, sur ton blog, outre son style bien personnel, c'est qu'il ne conseille pas toujours des bouquins à 22 ou 25 Euros et s'intéresse aux éditions de poche.
    Continue !

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  2. * oups *
    J'allais oublier : c'est qui, cette peluche ? Parce que c'est tout sauf un chat noir, non ? ;-)

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  3. Oui, je parle des bouquins que je viens de lire ou ai lus récemment. Ceux que j'ai bien aimé en tout cas. Pour la peluche, c'est pas vraiment une peluche, c'est Léon, notre ours dépressif. Une longue histoire... (je vais passer pour une folle ;)

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