mardi 28 juillet 2009

Ouest


François VALLEJO, « Ouest », Viviane Hamy, 2006 (Points 1930)

Quand j’étais adolescente, j'ai vécu comme ça, brièvement, au milieu des chiens et de nulle part. J'étais allée passer une semaine dans un petit village ardennais qui s’appelait Cornimont. Une de mes amies m’avait invitée chez sa grand-mère. On avait pris le train, une correspondance (une locomotive et un vieux wagon, deux passagers : nous) puis un bus. On avait encore dû marcher un peu, avec nos sacs à dos. Il pleuvait. Il n’avait pas cessé de pleuvoir. On s’était un peu ennuyée. Le village était encerclé par un bois. C’était sombre, tout y était plus foncé, plus épais, même le regard des gens. Enfin, je crois… il y a si longtemps maintenant. Au bout de la rue zigzagante se dressaient les vestiges d’un ancien lavoir. La grand-mère de mon amie y allait parfois. Elle aimait bien ça, frotter son linge sur une grosse pierre en décausant l’une ou l’autre personne du coin avant de l’étendre dans sa resserre. Il y avait des chiens aussi, beaucoup, et toutes les trois heures, elle disait la vieille « Vous pouvez sortir la meute pendant que je fais une buée ? » Rien d’autre ne comptait que ses chiens. Alors on les promenait dans les bois. Les chemins étaient boueux. On aurait dit un petit bout de fin du monde. On se perdait tout le temps. Je me souviens, je m’étais dit « ça me plairait d’habiter là parce qu’il n’y a personne, presque personne ». Je voulais moi aussi vivre comme une ermite (je n’ai pas renoncé), loin du monde, avoir une meute et faire ma buée en décausant un peu les voisins, les riches qui s’installaient là par caprice. Je voulais faire partie de ces gens qui n’y entendent rien à la vie de citadins, qui ne vont jamais en ville…



Cette atmosphère ténébreuse, un peu sauvage, je l’ai retrouvée dans ce livre à l’écriture ensorceleuse. Lambert est garde-chasse et marié à Eugénie qui lui a donné deux enfants : Magdeleine et Grégoire. M. de l’Aubépine, le fils du vieux baron décédé revient de Paris, après 15 ans, afin de reprendre possession de ses terres. Cet homme qui a passé sa vie à se faire humilier par son père et qui s’enflamme pour tous les bouleversements politiques et institutionnels de la France, entend bien changer les choses au château. Les valets sont les éggaux des maîtres et la noblesse se meurt, Vive la France ! Lambert, lui, il aime la chasse, ses chiens par-dessus tout, les bois et servir ses maitres alors il ne comprend pas trop ce que ce maître étrange attend de lui.



Il se tait quand il demande à assister à l’accouchement de sa femme, quand il jubile de la voir souffrir, quand il ramène des demi-bourgeoises au château pour les poursuivre toutes nues dans les couloirs à la nuit tombée, quand il découvre que le baron aime se faire raser des pieds à la tête pour avoir la peau d’un bambin, quand ce dernier se met en tête de correspondre avec Victor Hugo pour s’en faire un allié politique, quand il revend ses biens parisiens pour fourrer de l’argent dans les poches de ses gens de maison, quand il s’en va de longs mois durant et que sa famille et lui en sont réduits à la plus grande misère, quand sa fille, Magdeleine, se prend d’amitié pour une des « bourgeoises »…



Non, Lambert, il est né garde-chasse, il doit, veut servir ses maîtres, peu importe leur pulsions politiques ou sexuelles et ainsi il baisse la tête et accepte. Toujours. Il est fort et vertueux. C’est un brave homme… et ces histoires de suffrage universel, de paysans qui votent, d’assemblée constituante, ça le dépasse. Napoléon III n’est jamais qu’un nom dont il se méfie un peu et aucun Victor Hugo exilé ne peut le convaincre que sa vie n’est pas comme elle se doit d’être, tranquille et besogneuse dans son Ouest boueux et marécageux. Rien de tout cela non… sauf peut-être des soupçons (ou bien serait-ce des ragots ?) quand ils lui donnent des idées fixes : servir son maître même s’il se prétend l’égal de ses gens mais brûler les livres des saints et voir sa fille tomber sous la coupe de cet homme, un fou ! qui la questionne sur « son flux »… là, il se doit de réagir…



Mais j’écris, j’écris alors que l’auteur l’a fait bien mieux que moi :


« Le baron fonctionne dans l’inversion totale des valeurs de son père, des valeurs sociales et sexuelles. « C’est un homme "contre" en permanence, qui se heurte aussi à une pesanteur sociale. Il ne peut se débarrasser de son statut et cette ambiguïté personnelle finit par le mettre en danger. C’est le noeud qui emporte la construction du roman. Ses pulsions politiques et sexuelles viennent par alternance. Il délaisse l’un quand l’autre prend le devant. Son affection peut se transformer en brutalité très rapidement. C’est ce qui fait sa richesse. Mais sa part d’obscurité doit demeurer. On ne peut aboutir à une clarté. A sa manière Lambert, même s’il paraît plus monolithique, est aussi poussé à faire sortir de lui une part obscure. Chacun va là où il ne pensait pas aller. D’une certaine manière, en écrivant, je suis moi-même allé dans des contrées profondes qui m’échappaient. J’ai eu le sentiment d’entrer dans une complexité de moi-même qui m’a troublé. » (François Vallejo)

Un petit mot de l’écriture, captivante et ténébreuse, comme cet Ouest où on s’enlise. Les dialogues se mêlent à la narration, les points de vue se croisent et jamais ne se ressemblent.


Page 28 :


Cachan, le valet de pied de M. de l’Aubépine, vient d’arriver de Paris et l’homme ne plait guère à Lambert.

Lambert a bien cru, un moment, que le Chatan n’aurait pas que du mauvais : voilà qu’un jour il s’approche des chiens. Il veut jouer le vrai noble à la place du maître, bon, pourquoi pas, c’est agréable de parler à deux de ce qu’on aime. Il fait le connaisseur, il dit qu’il a servi chez des maitres à Paris qui avaient des levrettes de première beauté ; il admire un grand Normand, là, une encolure de diable, bien, bien, on dirait qu’il a l’œil. Ça se gâte tout de suite, il dit qu’en dehors du grand, là, il n’y a rien de valable dans ce chenil. Rien de valable ? Non, ceux-là ont les oreilles attachées trop bas, celui-ci ne porte pas sa queue en drapeau comme il conviendrait, et ils sont sales, tu ne les tiens pas assez nets, tes chiens. Même secs, ils puent le chien mouillé. Un valet de pied lui parle comme ça ? le maître aurait le droit, a ne lui ferait pas plaisir, enfin il aurait le droit, mais ce Chaban ? Dis-moi, Chaban, tu prends nos bêtes pour des bichons de Paris ? Tu n’as jamais, de ta vie, vu de chiens comme les miens, de première force, et tu viens les rabaisser devant moi ?
C’est toi qui n’as jamais rien vu, Lambert […] sa forêt, ses chiens, son Eugénie en larmes tous les matins et tous les soirs, tout a lui remonte dans le sang, à Lambert, et il l’a vif, et c’est un fort, à côté des petits valets de Paris, c’est un large du coffre, Lambert, un épais de la membrane.


(Extrait de François Vallejo, « Ouest »)

dimanche 26 juillet 2009

Sarah's Key



Tatiana de ROSNAY, "Sarah's Key"




There are things, I know, I’ll never forget: my mother’s voice, the taste of her apple pie, my dad’s advices (he had served as a soldier. In case of war, I would know what to do…) The first words my children said (Papa, Papa, Papa, Papa, Papa and Papa! The instructor's eyes when I was 5 years old, I fell into swamps, she was looking at me, I was sinking, disappearing… The first time I went to Paris, the old guard at the Musée d'Orsay. My first cigarette in the garage of a classmate, I was 13, I vomited… The first boy I kissed, I found it shocking, I told him ... The first time I got married, I swore "It's the last one!" It was indeed. The first book that made me cry, I remember like it was yesterday. I was coming back from a holiday, a couple of years ago. A night in April, rain, highway… No one slept in the car…

While my husband was driving in all seriousness, I was searching for some sweet-sounding music on the radio that would lull my children but there was only that wild music… Then I stumbled upon Tatiana de Rosnay, she was interviewed for her new novel, “Sarah’s key”. Her voice in the night, her feelings… It was cold, we had to turn on the heating… Everybody in the van was listening to her. Because of her voice and her emotion, there was no more rain, no night, no highway but only that woman who told in the radio about this little girl…

Paris. Summer of 1942. The second world war. The Shoah. The deportation of Jews. The round-up of the Vel d’Hiv. French policemen arresting thousands of Jews, knocking on doors, shouting and little kids crying because they didn’t understand what was happening to them. People behind curtains. Misunderstanding. Cries. Horror. Death soon. So many crimes…

Families crowded into the Velodrome d’Hiver. Heat. Suicides. Babies born. Babies dead. Separations. Forever. Dreadfulness. And shame. Silence. The years filling. Forgetting. A commemorative monument. Chirac’s speech. And my little ones, my husband and i, now, listening in the car...

Paris again. July 2002. Julia Jarmond, an American journalist has to write an article about the round-up of the Vel d'Hiv’s commemoration. She doesn’t know anything about this event. French people never talk about it. She tries to understand and begins to collect information and soon she discovers the crimes, the atrocities, she realizes horrors inflicted on thousands and thousands of people.

One day, she has to pay particular attention to a little girl, Sarah, who lived during the second world war. She investigates, as she puts in place pieces of the puzzle and she gathers confirmations and decides to break the silence.

Parallel to this plot, a second “novel” tells the true about Sarah, this young girl taken away during this awful night. In a heroic motion, she locked her younger brother in the secret closet of the flat and swore she would be back soon. The boy knew his sister never forgot her promises.

Tatiana de Rosnay wrote this novel in English, her native language. I remember, she said “I was unable to write in French like my other books. It was so difficult for me…”

She is perfectly bilingual, but you can feel when she writes in English that her style, her characters are more believable, exciting that when she writes in french. Some people claims (I read) that she uses clichés. Perhaps… I don’t know, I don’t care, I don’t find that annoying and I’m just captivated, fascinated by the way she operates the theme of secrecy.

"Sarah’s key” is communally cited as an unforgettable novel. You can believe it! I've lent this book to my friends, to my doctor, to everyone and I haven't received any negative opinion. To tell it like it is, everybody admires the construction of the plot, the poignant scenes, the pace: fairly short passages: we go from second world war to now with subtle clues which help us to reconstruct the real story of Sarah.

A great great novel! One million copies sold, a movie soon and especially a message: don’t let time do its work, never forget!



Paris, July 1942

The girl was the first to hear the loud pounding on the door. Her room was closest to the entrance of the apartment. At first, dazed with sleep, she thought it was her father, coming up from his hiding place in the cellar. He’d forgotten his keys, and was impatient because nobody had heard his first, timid knock. But then came the voices, strong and brutal in the silent of the night. Nothing to do with her father. “Police! Open up! Now!”
The pounding took up again, louder. It echoed to the marrow of her bones. Her younger brother, asleep in the next bed, stirred. “Police! Open up! Open up!” What time was it? She peered through the curtains. It was still dark outside.
She was afraid. She remember the recent, hushed conversations she had overheard, late at night, when her parents thought she was asleep. She had crept up to the living room door and she had listened and watched from a little crack through the panel. Her father’s nervous voice . Her mother’s anxious face. They spoke their native tongue, which the girl understood, although she was not as fluent as them. Her father had whispered that times ahead would be difficult. That they would be to be brave and very careful. He pronounced strange, unknown words: “camps”, “roundup, a big roundup”, “early morning arrests”, and the girl wondered what all of it meant…

(Extract from: Tatiana de Rosnay, "Sarah's Key")






vendredi 24 juillet 2009

No et moi


Delphine de VIGAN, "No et moi", JC Lattès, 2007.


Il y a certains livres qui m'épargnent sérieusement le travail. J’aime bien, pour le blog, c’est facile : le texte est tellement parlant que je n’ai plus rien à en dire. Je cite des extraits et voilà. La belle vie ! Vous ne me croyez pas ? Non mais lisez-moi ça !



C’est un jour de décembre, le ciel est bas et lourd comme dans les poésies, la buée trouble les vitres du café, dehors il pleut des seaux. Mon exposé est dans deux jours, j’ai rempli un cahier tout entier, j’écris à toute vitesse…
Depuis toute la vie je me suis toujours sentie en dehors…
Je ne sais rien de sa famille, ni de ses parents, à chaque fois que j’ai essayé elle a fait semblant de ne pas entendre…
Quand je suis bouleversée, j’ai les jambes coupées…
Je trouvais ça incroyable qu’un bébé allait sortir du ventre de maman…
J’aimerais inventer une fonction « téléportation-immédiate-vers-dix-minutes-plus-tard »…
Je vois une ville invisible au cœur de la ville…
Des hommes sous les ponts…
Un dimanche matin j’ai entendu le cri de maman…
Recroquevillée sur le bébé… elle pleurait en disant non non non…
Au Relais d’Auvergne, elle me raconte le temps suspendu, les heures passées à marcher pour que le corps ne se refroidisse pas…
Il y a des silences aussi, chargés de toute l’impuissance du monde…
Elle vient d’avoir dix-huit ans.
J’ai treize ans.
Je m’appelle Lou Bertignac.
Elle s’appelle No…
Elle n’a pas de parents. Ils ne sont pas morts…
Tous ces mots qui se bousculent dans ma tête comme un immense carambolage…
On est capable d'envoyer des avions supersoniques et des fusées dans l'espace, d'identifier un criminel à partir d'un cheveu ou d'une minuscule particule de peau, de créer une tomate qui reste trois semaines au réfrigérateur sans prendre une ride, de faire tenir dans une puce microscopique des milliards d'informations. On est capable de laisser mourir des gens dans la rue…
Je ris aussi je crois, je suis heureuse, là, tout de suite, dans l’engourdissement du sommeil, et si c’était ça le bonheur, pas même un rêve, pas même une promesse, juste l’instant…
Ma mère ne sort plus de chez nous depuis des années et mon père pleure en cachette…
Le temps passe si vite, déjà Noël, déjà l’hiver, déjà demain et rien ne bouge, voilà le problème, en effet, notre vie est immobile et la terre continue à tourner..
Barre-toi, Lou, je te dis. Tu me fais chier. Tu n’as rien à faire là. C’est pas ta vie, ça, tu comprends, c’est pas ta vie !
Et si No venait chez nous…
Et puis la voix de ma mère… On devrait la rencontrer…



Que dire de plus ? Paris et ses rues. Paris et ses gares. Paris et ses bistrots. Lou, une gamine de 13 ans surdouée et vivant entre une mère ravagée par le chagrin et un père dévoué. Une autre adolescente, une fille de la rue qui fume, boit de la bière et crache à terre. Une mère qui pleure depuis des années la perte de son enfant et puis, subitement, par le hasard d’un exposé scolaire, une amitié qui se crée et la vie immobile de Lou qui se met à frémir. Les injustices sociales. La vie qui n’a pas de sens. Un peu d’humanité dans les yeux d’une enfant hors du commun et ça donne un récit de 248 pages qui en paraissent 20 tellement on éprouve des difficultés à poser le livre. Je ne dis pas ça pour faire joli. Je le dis parce que ce roman est bouleversant, bien écrit et même, si de prime abord il a l’air de chatouiller le terrain émotionnel avec une recette facile, ce n’est pas le cas (du tout !) Ce serait même assez réducteur : il y a dans le cœur de ce personnage de roman, de cette gamine de 13 ans qui n’en a que l’apparence, un grand carré de sensibilité que beaucoup de personnes devraient découper et se partager pour faire de ce monde un endroit un peu plus accueillant.
Un grand coup de cœur pour la finesse de la plume de Delphine de Vigan en passant et pour le regard qu’elle pose tout en douceur sur notre société injuste et insensée.

Un extrait, le pouvoir des mots:





jeudi 23 juillet 2009

Raoul le renard


Raoul le renard, qui a accepté de poser pour la photo, a également accepté d’être le traducteur officiel de « Page 28 ». Je me suis dit que vous étiez sûrement curieux de connaître un peu plus ce sympathique canidé. J’ai donc demandé à sa mère adoptive de m’écrire quelques mots de sa biographie. Je transmets donc les informations recueillies.

"Raoul est un renard qui louche. Il est né en Allemagne mais il a vécu ses plus jeunes années dans une vitrine de mode en plein Manhattan. C'était une boutique de produits de luxe pour jeunes femmes branchées et fortunées. Il s'ennuyait un peu au milieu des ceintures Sonya Rykiel et des pulls Martine Sitbon. Les propriétaires de l'endroit étaient des français assez sympas mais très maniérés. Un jour, une jeune (enfin jeune… tout est relatif) dame est passée dans la boutique et l'a pris dans ses bras en le regardant avec amour et puis elle est partie. Elle est revenue le lendemain puis a à nouveau disparu pendant 4 jours. Un matin pluvieux et froid, elle est arrivée avec son ciré couvert de petites sirènes rouges aux gros seins acheté à Copenhague et l'a emmené prendre le métro puis une limousine pour l'aéroport JFK. Raoul s'est ainsi retrouvé a Paris, qui l’a immédiatement séduit, et puis à Turin. Aujourd’hui, il y habite mais il n'aime pas Turin. Ce qu'il aime, lui, c'est partir en vacances en Belgique où l'herbe est si verte. Il y a des jardins partout et un étang avec de gros poissons en Belgique. Raoul n'aime pas Turin, il aime le répéter. Surtout, il n’aime pas Berlusconi ; c’est plus fort que lui. Il déteste aussi la chasse. Il commence à se demander pourquoi son frère adoptif, kaikai kiki, un singe étrange à la tête couverte d’oreilles, hurle a longueur de journée et menace de le remplacer par un caniche. Il s'en fout un peu, Raoul. De toute façon, il n'aime pas l'Italie."

Firmin



Sam Savage, “Firmin”, Coffee House Press, 2006.

I should drink less coffee, I know that, because it drives me so crazy that I could turn over all my shelves just to chat with you about the books that I read. But I really need coffee, otherwise I would sleep all day long. I tried a few years ago to become the official Duracell mascot but they refused, claiming that I was far less famous than the white rabbit. So, I drink coffee. Especially on Tuesdays. Why Tuesday? Easy to understand: Tuesdays here are busy days.

So, last Tuesday in the late afternoon, I abandoned a thousand things I had to do and went to the supermarket. My six children are always hungry. Sometimes I think to myself: “I don't have children, I have stomachs on legs. I was in the only shopping street in my village, my offspring following behind. “Come on, kids, it’s gonna be too late for shopping!” We were walking and I decided not to have a look around the bookshop, after one of my daughter had reminded me “Mom, you bought so many books this month!”

Easier said than done! I can't resist. In this library, you can find books very unusual and, in our little “Nowhere” I use to be the only shopper.

So, I was not supposed to notice this book: my daughter was threatening me with her big round eyes , "Mom, we want to buy pie! " " Yes, ok, I'm coming."

I move forward. Sidelong look. A new book, encircled by a yellow strip: "If reading is your pleasure, this book was written for you. " This book is calling me. It’s a real provocation!

Another step, backward. The title: "Firmin". The cover: an ugly sad rat, sitting on a mountain of books. The author: Sam Savage. "I don’t know him ..." “Mom, let’s go!” “Yes, I'm coming…”

An hesitation: "And if ever this book ..." In front of me, the children, impatient. Behind the window, the bookseller. "Hi! " he says shaking his hand. Suddenly, I am sure: there is no coincidence, only meetings, happy or unhappy. I just met a book. I want to know it.

Two hours later I had finished. Do you want me to tell you?

Boston in the Sixties. The cellar of a library as you have never seen it, full of treasures and rare books. Twelve rats born there. The mother is an alcoholic, fat and nasty. Firmin, the smallest, can never eat. It is obliged to chew paper. No other possibility to stay alive: swallowing words, pages, whole chapters. Everything is good enough to satisfy hunger: philosophy, astronomy, geography, the Bible, the Koran ...

One day, he realizes he can read, so he consumes less and less pages, only eating margins. Doctors are unanimous about him: this is a case of banal books bulimia.

Our friendly rat grows up in the recesses of the library, reading and reading the classics authors. He remains there when the whole family goes away, having no company except the old bookseller. Obviously, Firmin is a rat, an awful creature and he’s obliged to hide but when he dreams, this man becomes his best friend. Sometimes he thinks he is the hero of a novel, a movie star: Joyce, Faulkner and why not? Fred Aster.

But life is not a dream and Firmin will never be a movie star. The only wealth is the freedom he could have… But a rat is not able to speak, laugh or cry. He cannot communicate with humans. He cannot clap when he’s happy and rats have no heart. Nevertheless, his heart is worthy of a character in Flaubert.


You can see if you read this book, “Firmin” is not just the autobiography of a book-eating rat.

It is also the story of a quest: recognition, freedom, communication and sharing. Behind the adventures of a gifted rat, you can see effortlessly a beautiful metaphor: “Firmin”, it’s a life filled with dreams and illusions. And, shutting the book, I’m sure you’ll remember this sentence “If you are alone, I think it can help you if you are a little bit crazy.”


Extract

I had always imagined that my life story, if and when I wrote it, would have a great first line: something lyric like Nabokov’s ‘Lolita, light of my life, fire of my loins’; or if I could not do lyric, then something sweeping likeTolstoy’s ‘All happy families are alike, but every unhappy family is unhappy in its own way.’ People remember those words even when they have forgotten everything else about the books. When it comes to openers, though, the best in my view has to be the beginning of Ford Madox Ford’s The Good Soldier: ‘This is the saddest story I have ever heard.’ I’ve read that one dozens of times and it still knocks my socks off. Ford Madox Ford was a Big One.

In all my life struggling to write I have struggled with nothing so manfully – yes, that’s the word, manfully – as with openers. It has always seemed to me that if I could just get that bit right all the rest would follow automatically. I thought of that first sentence as a kind of semantic womb stuffed with the busy embryos of unwritten pages, brilliant little nuggets of genius practically panting to be born. From that grand vessel the entire story would, so to speak, ooze forth. What a delusion! Exactly the opposite was true. And it is not as if there weren’t any good ones. Savor this, for example: ‘When the phone rang at 3:00 a.m. Morris Monk knew even before picking up the receiver that the call was from a dame, and he knew something else too: dames meant trouble.’ Or this: ‘Just before being hacked to pieces by Gamel’s sadistic soldiers, Colonel Benchley had a vision of the little whitewashed cottage in Shropshire, and Mrs Benchley in the doorway, and the children.’ Or this: ‘Paris, London, Djibouti, all seemed unreal to him now as he sat amid the ruins of yet another Thanksgiving dinner with his mother and father and that idiot Charles.’ Who can remain unimpressed by sentences like these? They are so pregnant
with meaning, so, I dare say, poignant with it that they positively bulge with whole unwritten chapters – unwritten, but there, already there!

Alas, in reality they were nothing but bubbles, illusions every one. Each of the wonderful phrases, so full of promise, was like a gift-wrapped box clutched in a small child’s eager hand, a box that holds nothing but gravel and bits of trash, though it rattles oh so enticingly. He thinks it is candy! I thought it was literature. All those sentences – and many, many others as well – proved to be not springboards to the great unwritten novel but insurmountable barriers to it. You
see, they were too good. I could never live up to them. Some writers can never equal their first novel. I could never equal my first sentence. And look at me now. Look how I have begun this, my final work, my opus: ‘I had always imagined that my life story, if and when . . .’ Good God, ‘if and when’! You see the problem. Hopeless. Scratch it.


(Extract from Sam Savage, « Firmin »)

mercredi 22 juillet 2009

Leaving the world



Douglas KENNEDY, "LEAVING THE WORLD"


Another post about Douglas Kennedy? OK, I’ll do it short and simple because while we are reading that he is the most French among American authors, that he persists in writing 1000 words a day, that the Americans shun his novels (the Europeans know why…), that he is a wonderful storyteller, it would be a waste of time not to read it. And it would be such a pity to ignore this writer.


When you open a book signed “Douglas Kennedy”, you know that you’re going to leave for a long long travel. Pages will become months or years. If you read a book by Douglas Kennedy, you’ll agree to take part in an odyssey, a human and geographical odyssey. What’s a " human odyssey "? I don’t know but I have no other word to speak about his stories. Douglas Kennedy has no need to be related. Just read it. You will find great delight in reading him!


Odyssey, I said, because you travel across the United States, then you go to Canada or in Berlin and its intellectual districts, always discovering a part of the culture. Kennedy does not only indicate that people are different according to the place, he points and goes as far as denouncing facts (to find faults with the American system, it seems sometimes to be his hobby, - which sometimes appears to be one of his pet subjects).


Odyssey… because you meet happiness, and happiness is always so fragile, and tragedies, always very disastrous but that's right: Douglas Kennedy, it is dramas and misfortune on every page but told there brilliantly (in such a brilliant way!) and after such a book, we always have to take a second look at our own life.


But I think you understood: I am a fan, a real groupie. I have all his books and all i need now is the T-shirt " I love Douglas Kennedy! " Then to be objective with him, I can’t " Why, mom, do you always say ‘yeaaaaahhhh!!!!’ when you see Douglas on television?”, asks my 8 years old daughter. Good question: why?
Do you think we always need a good reason to love? Of course not and nevertheless, reasons, I have thousands.


Because of his style? Yes, it’s great but never written pompously.

Because he often hits the bull’s-eye? Yes, when he paints the psychology of his characters even better than the settings in which they live.

Because he is cultivated? Sure!

Because his plots are so elaborated they make us go " waw! "? Exact!

Because he might be the only man in the world able to speak about maternity like that? Yes, he made me cry…

Because when we are in the heart of his "tragedies", we shiver? Yes but this passage especially, I cannot speak about it.

Because having read one of his books, we always consider the possibility of stopping cigarettes? I admit: yes (there’s always one of the characters who smokes like a chimney and who catches a cancer)

Because he ‘rocks’ some truths right in the face? Slaps sometimes (but I shall not say more about it.)
Yes why this book in particular? Tricky question: I don’t want to reveal anything.


Well, in a few words: the story takes place in the university circles in the USA, then in a library in Canada. The heroine, Jane, shares with us during almost all the book her passion for famous Anglo-Saxon authors, with, it seems, a preference for Emily Dickinson and Samuel Beckett, repeating this sentence “L’Innomable” : “It is necessary to continue, I cannot continue, I am going to continue.” To continue thus, it is the watchword of this novel where, nevertheless, everything compels to give up. To have an idea of the plot, you should have a look at the summary, but certainly not thinking that all the story is told. It’s signed “Douglas Kennedy”, don’t forget and let yourself be caught in it.

Summary

On the night of her thirteenth birthday, Jane Howard made a vow to her warring parents – she would never get married and she would never have children. But life, as Jane comes to discover, is a profoundly random business. Many years and many lives later, she is a professor in Boston, in love with a brilliant, erratic man named Theo. And then Jane falls pregnant. Motherhood turns out to be a great welcome surprise – but when a devastating turn of events tears her existence apart she has no choice but to flee all she knows and leave the world.Just when she has renounced life itself, the disappearance of a young girl pulls her back from the edge and into an obsessive search for some sort of personal redemption. Convinced that she knows more about the case than the police do, she is forced to make a decision – stay hidden or bring to light a shattering truth…

mardi 21 juillet 2009

Quand la littérature s'engage...


Aujourd’hui, je voulais changer le monde, un peu. J’ai dit ça, autour de moi et sur la toile : « Je veux changer le monde alors je t’attends, le monde. À nous deux, on sera des millions, même plus. Ne traîne pas ».


J’ai attendu, le soleil a tourné autour de la maison mais personne n’est venu. J’étais triste. Ma fille de 8 ans m’a dit « Maman, pourquoi tu es triste ? » Je lui ai expliqué, avec des images qu’elle ne pouvait voir que dans sa tête, combien le monde avait besoin de nous. Je lui ai raconté avec des mots aigre-doux les guerres, les enfants armés, les gens battus à mort, les bébés squelettiques, les bombes qui arrachent les jambes, les pays qu’on efface et les gens qu’on expulse vers nulle part. « Moi, je veux bien t’aider, c’est ce qu’elle m’a dit, mais comment on peut faire ? »

J’ai réfléchis et je suis toujours en train de le faire.Moi, je ne suis personne, je n’ai pas assez de bras et autour de moi, rares sont les gens qui se sentent concernés. Enfin, je n’en sais rien : ils ont tellement de choses en tête… Ils sont peut-être seulement fatigués…

Je suis certaine que c’est temporaire tout ça, l’indifférence et les injustices et les atrocités et la famine et les bombes et… et qu’un jour, ils se réveilleront, tous ces gens. Des milliards ils sont. Des milliards on est. Ça risque de prendre du temps… Mais ce n’est pas possible autrement : tout le monde se réveillera un jour. Il le faut, se dire qu’on doit lever le bout de son nez, retirer ses œillères. Pas facile : on est si petits, nous, tellement bien au chaud aussi…

Grandir, faire grandir l’humanité et la doter d’un « h » majuscule. Elle le vaut bien, non ?

C’est Kant qui avait expliqué ça. Il parlait de majorité et de minorité pour évoquer la conscience de l’individu doté du pouvoir de décision et d’action, d’humanité donc.

Un peu de littérature, de philosophie.


“La paresse et la lâcheté sont les causes qui expliquent qu’un si grand nombre d’hommes, après que la nature les a affranchis depuis longtemps d’une direction étrangère, restent cependant volontiers leur vie durant, mineurs, et qu’il soit si facile à d’autres de se poser en tuteurs des premiers. Il est si aisé d’être mineur ! Si j’ai un livre qui me tient lieu d’entendement, un directeur qui me tient lieu de conscience, un médecin qui décide pour moi de mon régime, etc., je n’ai vraiment pas besoin de me donner de peine moi-même. Je n’ai pas besoin de penser, pourvu que je puisse payer ; d’autres se chargeront bien de ce travail ennuyeux. Que la grande majorité des hommes tienne aussi pour très dangereux ce pas en avant vers leur majorité, outre que c’est une chose pénible, c’est ce à quoi s’emploient fort bien les tuteurs qui, très aimablement, ont pris sur eux d’exercer une haute direction de l’humanité. Après avoir rendu bien sot leur bétail, et avoir soigneusement pris garde que ces paisibles créatures n’aient pas la permission d’oser faire le moindre pas hors du parc où ils les ont enfermées, ils leur montrent le danger qui les menace, si elles essaient de s’aventurer seules au dehors. Or ce danger n’est vraiment pas si grand ; car, elles apprendraient bien enfin, après quelques chutes, à marcher ; mais un accident de cette sorte rend néanmoins timide, et la frayeur qui en résulte détourne ordinairement d’en refaire l’essai. Il est donc difficile pour chaque individu de sortir de la minorité, qui est presque devenue pour lui nature.”

Extrait de Emmanuel Kant, « Qu’est-ce que les Lumières ? » (1784)

Il en va ainsi pour toutes les valeurs humaines et les positions que l’on pourrait prendre. Il suffit de se dire « Je suis donc j’agis ».


Et demain, peut-être, l’homme cessera d’inventer sans cesse des armes nouvelles et abominables en ne prenant plus ce prétexte grossier de l’homme préhistorique qui lui aussi.


Demain peut-être, si le monde enfin s’éveille, si toutes ces petites gens qui sont en bien plus grand nombre et bien plus forts que les minorités qui nous tiennent en laisse réalisent enfin qu’on peut changer les choses et qu’on a bien assez de catastrophes naturelles pour ajouter à cela les nôtres, alors, peut-être, on rendra insensé cet adage stupide (et infamant pour l’animal concerné) qui dit que l’homme est un loup pour l’homme.


Maddy désabusée


Ps : Avec la vente du pétrole et celle de la drogue, l’armement est le commerce le plus lucratif, et les loups, on les a exterminés.

Et, pendant que j’écris ceci, dans ma maison douillette, sur mon ordinateur flambant neuf, j’ai devant moi, sur une pile de livres, le dernier roman de Harold Coberd, « Un hiver avec Baudelaire ». Je l’avais chroniqué dernièrement. Une partie des droits d’auteur est reversée à une association qui vient en aide aux sans abris. Un petit pas vers un monde meilleur…

Des actions ciblées et ponctuelles, il y en a plein. À nous de chercher : chaque humain qui grandit pose une pierre au grand « h » de l’humanité.


lundi 20 juillet 2009

Le Totem du loup


Jiang RONG, « Le Totem du loup », Bourin éditeur, 2004, (2007 pour la traduction française).

Il y a quelques années, j’ai donné cours à des Chinois, de jeunes adultes. Je leur apprenais le français. J’aimais bien. Parfois, ils me manquent. En l’espace de quelques semaines, j’avais appris à bien les connaître et à déceler en eux les différences de culture. La Chine, c’est tellement grand… Il y avait quand même un trait de caractère ou deux dont ils étaient tous affublés : l’humilité et le respect des règles et, par rapport à une certaine « exubérance occidentale », j’appréciais beaucoup. Il faut dire, je n’étais pas habituée à pareil conformisme. Je disais «On écrit en bleu » et tout le monde le faisait. Je disais « On se tait » et c’était le silence. Un jour, un élève avait bavardé et je l’avais sermonné gentiment « Mais enfin, Xaio Hi, on chahute maintenant ? » L’assemblée l’avait fusillé du regard et le calme était revenu. Forcément, quand j’avais lu dans le magazine Lire que « Le Totem du loup » était enfin traduit en français, je l’avais acheté tout de suite. 566 pages. Que je n’avais pas vues passer.

Il y a quelques semaines, le livre est sorti en format poche. Je l’ai vu tout à l’heure chez mon libraire. Envie de vous en parler. Vous devez le connaître ce roman d’aventure, initiatique et écologique à la fois parce qu’un jour, vous verrez, on racontera l’histoire de ce livre en tant qu’objet, en tant que phénomène, autant que l’histoire du livre en elle-même.

Chen Zhen est un jeune homme envoyé par le régime de Mao en Mongolie Intérieure. Mao, la Révolution culturelle, les livres interdits, la rééducation, les crimes par millions… Le héros se prend de passion pour le peuple mongole et son besoin de liberté, pour ses valeurs écologiques et humaines, pour sa force et aussi surtout pour son totem, symbole de toutes ces valeurs réunies : le loup.


Le loup est un animal extraordinaire. Plus on tourne les pages, plus on le respecte. Le loup est d’une intelligence rare, il est serviable et individualiste à la fois. Il préfère mourir que d’être privé de sa liberté. Le loup est tenace, confiant en son instinct et fidèle à la meute, au compagnon ou à la compagne qu’il choisit. Il est loyal, émotif mais aussi rancunier, obstiné. Le loup n’oublie pas, il traque, piste pour se venger ou venger le mal fait aux siens. Il joue un rôle primordial dans l’équilibre de la flore et de la faune. Enfin, il donne l’exemple en évitant, malgré sa grande sensibilité, de s’engager dans toute action inconsidérée. Le loup a pratiquement disparu de nos régions ; on l’a exterminé (mais ce n’est pas un scoop).

Avec ce roman, on se rend compte combien cet animal hors du commun mérite notre respect et bien plus, on lit entre les lignes un message adressé au peuple chinois : « Prenez exemple sur le loup, sur sa force, son besoin de liberté. Ne vous comportez pas comme des moutons. »

Quatrième de couverture :

« C’était la première fois que Chen Zhen traversait la steppe en cavalier solitaire : il ne s’était pas rendu compte du danger qui l’attendait. Mais il était déjà trop tard pour rebrousser chemin. Soudain, il faillit tomber de sa monture en voyant, à quarante mètres devant lui, une horde de loups dont le pelage étincelait sous la dernière lueur du soleil. Plus de trente bêtes se tenaient là dont certaines avaient la taille d’un léopard. Au milieu trônait le roi des loups, reconnaissable à la fourrure blanchâtre qui, sur sa poitrine et son ventre, brillait d’un éclat de platine. Tout en lui respirait la puissance de son rang. A un signal connu d’elle seule, la meute s’était levée d’un bond. La queue raidie à l’horizontale, les loups s’apprêtaient à s’élancer et à s’abattre sur leur proie comme autant de flèches projetées d’un arc bandé. »


Vendu, en Chine, à plus de vingt millions d’exemplaires, Le Totem du Loup est un fascinant roman d’aventures. Mais c’est aussi le récit d’une initiation, celle de Chen Zhen, jeune étudiant chinois qui doit apprendre, au contact des tribus mongoles, comment survivre… Les hordes de loups règnent encore sur la steppe. Les cavaliers nomades, héritiers de Gengis Khan, craignent et vénèrent cet animal qu’ils ont choisi pour emblème. La rencontre avec cette culture va bouleverser le jeune Chinois. Il sera d’autant plus ébranlé que cet univers qui le séduit tant est sur le point de disparaître…


L’article pourrait s’arrêter là. Il parle de lui-même. Vingt millions d’exemplaires vendus en Chine, dont 17 millions en édition pirate quand même… pour un livre qui contient un message politique évident et qui n’a pas été censuré alors que la censure, en Chine, continue à faire rage. Mais il serait dommage d’ignorer que ce récit est en grande partie autobiographique. L’auteur, Lü Jiamin de son vrai nom, a vraiment été envoyé en Mongolie Intérieure. Sa « réinsertion » de jeune intellectuel a duré onze ans. Il a mis 6 ans à l’écrire et ne compte pas en écrire d’autre. Il est aujourd’hui professeur à Pékin et est très avare en interview. Les droits ont été vendus à prix d’or à plus de 24 pays et une adaptation cinématographique devrait sortir prochainement.


Au-delà de ces considérations politiques (que j’abrège car elles pourraient être nombreuses : je m’étais beaucoup documentée sur les circonstances de parution du livre), écologiques ou commerciales, le roman est avant tout doté d’une puissance narrative envoûtante et nombreux sont les passages où on sent l’émotion monter. Nous, on vit en Occident, on se croit à l’abri, civilisé, et puis un jour on lit « Le Totem du loup », on s’égare en Mongolie et on en vient à douter : qui devrait donner l’exemple à qui…


Quelques considérations politiques quand même avant la page 28 : si l’ouvrage n’a pas été censuré, c’est peut-être parce qu’il était devenu le livre de chevet de toutes les classes sociales en Chine, de tous les milieux, sans distinction des opinions philosophiques ou sociales.

L’éditeur français lui a consacré un site :
http://www.letotemduloup.fr/index.html


Page 28

Cette année-là, la neige était arrivée plus tôt que d’habitude et adhérait solidement au sol. La base des herbes, prise sous la neige, n’avait pas eu le temps de jaunir et gardait un parfum de fraîcheur. Les gazelles avaient fui la famine qui sévissait chez le voisin de Nord pour trouver refuge dans cet oasis d’hiver. Exténuées et affamées, elles refusaient d’aller plus loin. En un instant elles avaient eu l’estomac bien garni. Seuls les loups et le vieux Bilig savaient l’erreur fatale qu’elles avaient ainsi commise. Cette bande de gazelles était sans commune mesure avec celles que l’on pouvait apercevoir dans la steppe des années auparavant. Les cadres de la ferme avaient expliqué à Chen qu’on pouvait alors en voir qui comptaient quelques dix mille têtes. Mais au début des années 1960, une famine sans précédent frappa la Chine. L’armée du Nord avait alors organisé des chasses à grande échelle. On utilisait même des chars militaires pour poursuivre les gazelles à la mitrailleuse ! Ces derniers temps, en raison de la tension qui régnait à la frontière, le massacre avait cessé. On pouvait de nouveau voir d’importants attroupements, même s’ils n’atteignaient jamais les chiffres d’antan. Quand il faisait paître ses moutons, Chen Zhen voyait souvent des gazelles passer en trombe, à la lisière de son troupeau. L’horizon s’en trouvait bouché et la steppe devenait jaune. Il les regardait, médusé, enviant ces animaux qui gambadaient, rapides et libres, et disparaissaient en un clin d’œil.

(Extrait de Jiang Rong, « Le Totem du loup »

Vie et mort en quatre rimes


Amos OZ, « Vie et mort en quatre rimes », Gallimard, 2008.

Quand je me mets à parler d’Amos Oz, j’ai parfois du mal à pouvoir m’arrêter. C’est plus fort que moi, je l’avoue, et j’aime ses romans à un point que j’en viens à rêver que mes enfants partagent le même enthousiasme plus tard. Pour l’anecdote, j’avais un jour remplacé une photo d’Hanna Montana dans la chambre de mon aînée par celle du grand écrivain mais elle n’a pas apprécié (du tout). Chaque chose en son temps…



Un brin de causette avant la chronique ? Vous savez ce que je fais quand on va manger chez Flunch ? Je parle à voix basse à mes enfants (les petits parce que les grands, je crois que je les agace à force) et je leur désigne une personne, puis une autre. « Vous avez vu la dame avec son chemisier rose ? Elle a l’air vieille, pas vrai ? Vous savez quel âge elle a ? 37 ans. Mais si ! Elle fait beaucoup plus vieille parce qu’elle exagère avec le solarium. C’est très mauvais pour la peau. Six séances par semaine ! Et puis elle fume beaucoup, 4 paquets de cigarettes par jour parce qu’elle s’énerve : ça fait 6 ans qu’elle est amoureuse de Marcel, un beau policier en uniforme. Elle ne le voit que lorsqu’il est en intervention une semaine sur deux alors, pour le plaisir de l’avoir à ses côtés, elle appelle sans arrêt la police. Pour un oui, pour un non, elle appelle. Elle met le feu à son paillasson, vole ses propres géraniums, casse ses nains de jardin, s’envoie des lettres d’insulte, rentre chez elle par effraction… Tout est bon pour Christiane quand il s’agit d’attirer le beau Marcel, et avoir la peau satinée comme une vedette de cinéma, c’est bien la moindre des choses, croit-elle. Malheureusement, le brave Marcel reste de marbre et la pauvre femme fume et fume pour se consoler en rempotant des géraniums dans son appartement vide. Pendant ce temps, le policier dorlote ses canaris, qui sont ses seuls compagnons, sans se douter que le cœur d’une femme qui vieillit de désespoir ne bat que pour lui. Et là, plus à gauche, c’est Chantale. Elle n’a pas l’air très propre sur elle. Sa maison ressemble à un dépotoir. Le désordre est tel que personne n’y rentre jamais et même, les employés du gaz n’accèdent plus au compteur depuis de longues années. Ce n’est pas de sa faute : depuis la mort de son mari, elle vit avec un grand chagrin, un de ces chagrins qui vous rendent aveugle. C’est pour ça qu’elle marche sur des détritus sans y prêter attention. Chez elle, il y a des puces et des rats mais elle s’en fiche, elle ne les voit pas. Tous les jeudis, elle vient chez Flunch, en souvenir de son amour parti trop tôt… Celui-là ? Il travaille pour Mobistar. Il vend des abonnements. Il a l’air triste parce qu’il n’a pas atteint son quota de contrats et il risque de perdre son boulot… Des gens gais ? mais oui, il y en a plein ! Vous voyez, à la table près de l’entrée ? C’est Jean-Luc. Il vient de terminer son premier roman. Regardez la grosse enveloppe posée sur la table… Il s’apprête à l’envoyer à Paris. Paris, vous imaginez ? Il deviendra peut-être célèbre. Et là, Raymond, 42 ans qui a enfin trouvé une fiancée.



La causette est terminée. Ce n’était pas vraiment de la causette, c’était une introduction - un peu longue d’accord et ok, je ne suis pas écrivain - sur le thème (ou un des thèmes plutôt) de ce roman d’Amos Oz : les mystères de la création littéraire. Tout un programme ! Où un écrivain trouve-t-il l’inspiration ? Avec quels procédés passe-t-il de la réalité à l’imaginaire ?



C’est le fil conducteur de ce livre qui est salué comme un petit bijou par les uns, comme une parenthèse pas bien méchante dans la carrière de l’écrivain par les autres. Quoi qu’il en soit, ce roman se lit de fait comme un petit interlude prometteur : pas question de se prendre la tête ; Oz s’occupe de tout : les personnages, le décor, l’intrigue assez prenante pour nous garder sagement assis dans le canapé, les jambes repliées. Pas la peine de nous appeler, on lit là, ça se voit pas ? En plus, c’est un roman qui aborde des thèmes importants comme la vie et la mort, bien sûr, la fragilité de l’existence ou celle de l’Etat.



Dans une petite ville d’Israël, un écrivain célèbre est invité dans un centre culturel afin de célébrer un de ses romans. Il sait d’avance quelles questions lui seront posées, il sait que des extraits seront lus, qu’il sera félicité et en effet, tout se déroule comme prévu. Il fait chaud, il s’ennuie, répond aux questions comme un automate, écoute et puis n’écoute plus, pus vraiment. Il regarde les gens et laisse aller son imagination. Un tel vit avec sa vieille mère impotente et malade, tel autre s’est fait éconduire, le moindre détail est récupéré pour tisser des trames qui s’entrelacent, s’effacent et réapparaissent tout au long du récit. Il y a aussi ce vieux poète cité lors du débat, auteur de « Vie et mort en quatre rimes », décédé depuis longtemps sûrement mais qui reprend vie dans la tête de l’écrivain. À la fin de la conférence, il s’en va avec la lectrice, la timide Rochale Reznik… Rochale est bien réelle mais l’auteur ressent le besoin d’appeler à l’aide tous ses portraits brossés car les choses ne se passent pas comme prévu. Ainsi, il continue à construire des destinées, s’attachant et nous liant à des personnages banals, des petites gens en quête de bonheur, d’amour…



Au fur et à mesure que nous tournons les pages, nous ne savons plus très bien où est la réalité et où est la fiction mais qu’importe ? puisque c’est un roman du génial Amos Oz, toujours tellement défaitiste et magique à la fois. Un roman - c’est ça qu’il faut retenir et dire - qui fait l’apologie de l’imagination. Un plaidoyer.


Page 28, le personnage principal, appelé « l’auteur » s’ennuie et laisse aller son imagination (et ce n’est que le début). Il emploie la 3e personne pour parler de lui, il se détache :



Et là-bas, les jambes variqueuses écartées, il aperçoit une femme corpulente à la large face : il y des années qu’elle a cessé de faire attention et abandonné les régimes, elle n’a cure de la beauté, son apparence la laisse froide, car elle a choisi d’évoluer dans les plus hautes sphères. Bouche bée, toute à la douceur de l’événement culturel qu’elle est en train de vivre, elle ne quitte pas du regard le conférencier, le spécialiste de littérature.
Juste derrière elle, un adolescent, dans les seize ans, s’agite sur son siège, l’air malheureux : c’est peut-être un poète en herbe avec son visage boutonneux et ses cheveux noirs frisés, pareils à de la paille de fer poussiéreuse. Les affres de son âge et les tourments qu’il vit la nuit, dans l’obscurité, retroussent ses lèvres en un rictus proche des larmes, et, à travers ses lunettes épaisses comme des chopes de bière, il avoue à l’auteur une passion secrète : ma souffrance est la tienne, ton âme est la mienne, toi seul peut comprendre, ne suis-je pas le solitaire qui e consume entre les pages de tes livres ?


(Extrait de Amos Oz, « Vie et mort en quatre rimes »)


Ensuite, ces personnages, et bien d’autres, ne quitteront plus la tête de l’auteur occupé à séduire la gentille Rochale. Mais en rester là reviendrait à donner une image bien légère de ce roman alors qu’il regorge de petites et grandes questions sur l’existence, le quotidien quand il se fait meurtrier ou sauveur et même, aussi parce qu’Amos Oz est un écrivain engagé qui milite pour la paix, qui prône le boycotte des écrivains antisémites prix Nobel de littérature, ainsi que le retrait unilatéral des troupes dans les Territoires occupés, qui affirme que la calamité, c’est la lâcheté personnelle des groupes dirigeants et qui s’insurge sans relâche contre le fanatisme sous toutes ses formes ou contre la mondialisation. Il distille dans les pages des allusions, des petites phrases incisives qui donnent tort à tous ceux qui n’auraient pas reconnu ce roman comme un grand roman du génial écrivain israélien.



Bon, d’accord, je ne suis pas objective avec Amos Oz, sûrement… mais c’est que j’ai tellement envie qu’on le découvre comme on découvre un pays, une région : lire c’est voyager…


vendredi 17 juillet 2009

Le rapport de Brodeck


Philippe CLAUDEL, « Le rapport de Brodeck », Editions Stock, 2007.


Petite voix : « Allez, Maddy, tu l’as lu ce livre. Il y a deux ans mais tu l’as lu. Tu l’as adoré, ce roman ! Tu n’as pas besoin de le relire pour partager ton enthousiasme, ok ? Alors tu le poses là, à côté de ton ordinateur et ça va aller tout seul. »

Rentrée littéraire 2009. Des chiffres. Des titres annoncés. Des futurs best-sellers ? On verra. On espère. Tant mieux mais on aimerait bien de la qualité aussi, de la variété, du choix et puis de toute façon, nous, on ne lit pas qu’au mois de septembre (quelle drôle d’idée !) Vous vous souvenez ? De livres que vous avez dévorés en une soirée ? C’était seulement au mois de septembre ? Pile au moment où les enfants rentrent à l’école, recommencent la natation, l’équitation, le tennis, le karaté et les cours de solfège et où vous courez dans tous les sens pour les inscrire, payer les assurances, parce que c’est pas possible ce qu’elle nous coute cette satané rentrée et puis il faut déjà allonger pour les prochains stages d’immersion linguistique en Friesland et pour la cotisation annuelle à l’association des parents ! Alors, s’il faut encore faire chauffer la CB chez Carrefour pour acheter les livres que tout le monde achètera et dont tout le monde parlera au boulot dans le train à la poste chez le docteur le coiffeur le vétérinaire le notaire et ma grand-mère non mais t’as lu le dernier Beigbeder ? parce qu’il y a le dernier Nothomb aussi vachement bien et puis ça te fera des vacances ! T’as vu ta mine? C’est la rentrée qui te met dans cet état ? Tu devrais lire pour te relaxer.


Message reçu.



Qui me rappelle la rentrée littéraire 2007. Claudel. Si vous ne l’avez jamais lu, une phrase qui traine dans mes dossiers (je n’avais pas noté les sources. C’était du copié-collé d’un site, un article consacré à Philippe Claudel.)



« C’est cruel, un roman de Philippe Claudel. Cruel pour les autres écrivains. Et cruel pour nous tous, tant l’âme humaine y est décrite sans amortisseurs. »



Philippe Claudel qui avoue qu’avant d’être publié, il écrivait en secret. Il avait peur de mal faire ; il doutait. Si un jour cet homme n’a pas sa statue au-dessus de la Tour Eiffel, je n’y comprends plus rien… Claudel n’est pas un écrivain. Il en a l’air mais c’est un peintre, un génie. Un démon parfois. Il écrit et ses mots nous susurrent « Attention, on vous emmène ! » Il peint l’âme humaine comme aucun Guillaume Levy ne le fera jamais. Il peint en noir. En rouge. Et ça fait mal. Et c’est beau. À en pleurer. Il y a des métaphores qui chantent, des phrases qui hurlent et des odeurs qui écœurent, souvent celle de l’être humain quand il s’oublie en tant que tel.



« Le rapport de Brodeck », rentrée littéraire 2007, Prix des Lycéens et on s’en fiche on le lit quand on veut !



Le roman se présente comme une enquête. Brodeck, revenu dans son village natal après la 2e guerre mondiale, est chargé par les habitants d’écrire un rapport. Il y a eu un évènement. Un scandale. Un lynchage. Une mise à mort. Ils ont tué l’Anderer, l’autre, celui qui était différent. Brodeck sait écrire. Il est le seul et il revient de l’enfer. Il voudrait vivre, un peu, autant que ce soit possible après… tout ce qu’il a vécu mais il n’a pas le choix. Il y a le curé, qui boit pour oublier, il y a les hommes à l’auberge, Fedorine qui prend soin de lui depuis qu’il est petit… Il ressort donc sa vieille machine à écrire et se souvient, nous emmenant avec allégresse d’un temps à un autre. Le temps avec l’Anderer et le temps d’après.



Ce n’est pas facile. Ma lecture remonte à deux ans. Des souvenirs ? Oui, les mots de patois, les métaphores champêtres, des petites vérités qui s’entrelacent entre les lignes, des grandes maximes et aussi l’horreur, la cruauté de l’être humain quand il se trouve devant un être différent, la jalousie, le venin, les mensonges, l’automne, la grisaille, le froid… Mais aussi le silence, une resserre à l’arrière de la maison, le froid encore, l’innocence…



C’était moi ! Le seul ! Le seul…
Le seul.
Oui, j’étais le seul.
En me disant ces mots, j’ai compris soudain combien cela sonnait comme un danger, et que, être innocent au milieu des coupables, c’était en somme la même chose que d’être coupable au milieu des innocents.



Des extraits ? Oui, je les préfère à un bavardage inutile.


Je m'appelle Brodeck et je n'y suis pour rien. Je tiens à le dire. Il faut que tout le monde le sache…
Moi je n'ai rien fait, et lorsque j'ai su ce qui venait de se passer, j'aurais aimé ne jamais en parler, ligoter ma mémoire, la tenir bien serrée dans ses liens de façon à ce qu'elle demeure tranquille comme une fouine dans une nasse de fer…
Mais les autres m'ont forcé: «Toi, tu sais écrire, m'ont-ils dit, tu as fait des études.»…
La machine, elle est très vieille. Plusieurs de ses touches sont cassées. Je n'ai rien pour la réparer…
Ne me demandez pas son nom, on ne l'a jamais su…
Mais pour moi, il a toujours été De Anderer…
La vérité, ça peut couper les mains et laisser des entailles…
Ça s'est passé à l'auberge Schloss, il y a environ trois mois. Juste après... juste après le... je ne sais pas comment dire…
On n'en pouvait plus, vous savez…
Chacun était comme replié dans son silence…
Que l'on me comprenne bien, je le redis, moi, j'aurais pu me taire, mais ils m'ont demandé de raconter…
Il ne faut pas que j'aille trop vite…
A l'auberge Schloss, je n'y viens presque jamais…
Depuis que je suis revenu de la guerre, je ne recherche pas la compagnie des hommes…
On ne se rend jamais trop compte combien le cours d'une vie peut dépendre de choses insignifiantes…
Je suis sorti avec dans mon oreille la musique de mon enfant…
On ne voyait pas leurs visages…



Voilà pour les « images apéritives ». Un peu de page 28 à présent (parce que Claudel le vaut bien)


Brodeck dresse le portrait de Fédorine qui a pris soin de lui depuis son enfance.



La vieille Fédorine ne quitte jamais la cuisine. C’est son grand royaume. Elle passe les heures de la nuit sur sa chaise. Elle ne dort pas. Elle dit qu’elle a passé l’âge. Je n’ai jamais su au juste quel est son âge. Elle dit elle-même qu’elle ne s’en souvient pas, et que cela de toute façon ne l’a pas empêchée de naître et ne l’empêchera pas de mourir. Elle dit aussi qu’elle ne dort pas parce qu’elle ne veut pas se faire surprendre par la mort mais qu’elle veut la regarder bien en face lorsqu’elle viendra. Elle chantonne les yeux clos, elle ravaude les histoires et les souvenirs, elle fait des tapisseries avec des songes très usés, ses mains posées devant elle sur ses genoux, et dans ses mains, ses main s sèches et gravées de veines tordues et de rides droites comme des lames de couteau, on peut y lire sa vie.
J’ai raconté à Fédorine mes années loin de notre monde. C’est elle qui m’a soigné quand je suis revenu, Emélia était trop fiable encore. Fédorine n’est occupé de moi comme lorsque j’étais petit. Elle a retrouvé les gestes. Elle a nourri ma bouche cassée à la cuillère, a pansé mes blessures, a remis peu à peu du gras sur mes os à vif, m’a veillé lorsque la fièvre était trop forte, que je grelottais comme si on m’avait plongé dans une auge de glace, et que je délirais. Les semaines ont passé ainsi. Elle ne m’a pas posé de questions. Elle a attendu que les mots sortent d’eux-mêmes. Et elle a écouté, longtemps.

(Extrait de Philippe Claudel, « Le rapport de Brodeck »)

Une dernière chose avant de refermer ce livre : cet article ne fait que l’évoquer en le survolant. Tant de détails me reviennent en tête mais vous devez les découvrir vous-même, vous insinuer dans ce village étrange situé au milieu de nulle part. Il n’y a pas une personne qui ne m’ait pas dit « Merci de me l’avoir conseillé ». Pas une.

Petite voix : « Moi par contre, j’aimerais bien qu’on le relise ! »




mercredi 15 juillet 2009

Les tribulations d'une caissière


Anna Sam, "Les Tribulations d'une caissière", Stock, 2008, Le Livre de Poche.


Elle s'appelle Anna, elle a vingt-huit ans, un diplôme universitaire de littérature et huit ans d'expérience derrière une caisse de supermarché.Un métier peu propice aux échanges, ponctué de gestes automatiques. Anna aurait pu se sentir devenir un robot si elle n'avait eu l'idée de raconter son travail, jour après jour. Elle vous a vu passer à la caisse. Vous avez été des clients faciles ou des emmerdeurs, riches ou pauvres, complexés de la consommation ou frimeurs. Vous l'avez confondue avec une plante verte ou vous lui avez dit bonjour, vous avez trépigné à l'ouverture du magasin ou avez été l'habitué nonchalant des fermetures.Anna, vous l'avez draguée, méprisée, insultée. Il ne se passe rien dans la vie d'une caissière ? Maintenant, prenez votre chariot et suivez Anna jusqu'à sa caisse.



Pas la peine d’écarquiller les yeux : j’ai osé. Mais si ! Et j’ai encore le toupet de m’en vanter sur le blog.


Bon, je recommence. Le début ne me plait pas. C’est vrai, non ? Pourquoi il faudrait toujours se justifier ? Je dis tout le temps que j’aime lire, découvrir. Je n’évoque pas systématiquement tous les livres que je lis. Il y en a, depuis le début de ce blog, que j’ai lus (rarement dans leur entièreté) puis rangés dans un coin sombre de ma bibliothèque parce que non mais c’est pas possible à ce train-là on est tous des écrivains de génie. J’achète des livres de manière compulsive et parfois, j’ai des regrets. Le pire, ce sont les livres qu’on m’offre. J’ai eu droit à tout, même des Guillaume Musso ou le dernier Angiot.


Je re-recommence parce que, vraiment, ça ne me plait pas ce début d’article. J’écris pour vous parler de « Les Tribulations d’une caissière » et je vous raconte ma vie !
Ce livre s’est retrouvé sur ma PAL après un coup de fil enflammé de mon fantastique mari qui ne sait plus comment faire pour me dorloter.


« Allô ? C’est moi. Je suis chez Carrefour. Les livres de poche sont en promotion. T’en achètes un, t’en as deux gratuits. T’en veux ?
- Ah oui ! J’en veux. Il y a quoi ?
- Guillaume Musso…
- Non merci.
- Philippe Claudel…
- Je les ai tous.
- Eric-Emmanuel Schmidt, Oscar et…
- Je l’ai.
- Marc Le…
- Quoi d’autre ?
- Anna Sam, Les tribu…
- Bof, oui, pourquoi pas, s’il est gratuit. Continue… »


Et voilà. Merci Carrefour. J’ai aussi gagné Un Oscar Wilde et un Boris Vian.


Aujourd’hui, il a fait super bon. On a découpé des pastèques et lézardé sur la terrasse. Après 500 pages de Nabokov, j’avais besoin de m’aérer la syntaxe. 180 pages en grande surface avec une caissière rigolote pendant que les petits pataugeaient dans la piscine... Je me suis bien amusée.



Alors, on parle du livre quand même ? Parce que si vous avez le temps, je peux vous raconter tant qu’on y est quand je vais dans les grandes surfaces faire les sacro-saintes courses de la semaine avec mes 6 estomacs sur pattes qui veulent acheter de tout et surtout ce qu’ils n’aimeront pas j’en mets ma main au feu mais comme ça passe à la TV maman on veut des saucisses au fromage et au piment et des glaces Stchroumpf c’est super dégueu mais c’est tout bleu et Tamara elle en a dans son congélateur Tamara elle en a de la chance nous on n’a jamais rien allez maman dis oui. Après, quand j’ai dit « oui », ils exigent autre chose ou disparaissent mystérieusement dans le dédale des allées en ameutant tout le magasin avec leurs cris de Sioux et je dois parfois faire des appels à l’accueil des fois qu’ils auraient été kidnappés ça arrive une caissière me l’avait assuré une fois histoire de me calmer parce que j’essayais de lui arracher le micro pour brailler « Matthieu, c’est maman, tu as 3 secondes pour revenir ! »


Je reprends mon souffle ; je m’étais encore égarée. Tout ça pour vous dire dans quel état j’arrive, moi, systématiquement à la caisse et là, ce n’est pas gagné. Je dois encore empêcher mes monstres de lancer à tout va les articles sur la tête de la caissière, le caddie de tomber à force d’être tiré dans tous les sens (c’est arrivé !) « C’est à moi ! Non à moi ! Maman ! Hein c’est à moi ! », une de mes filles de s’exclamer « Maman pourquoi la dame derrière nous elle a de la moustache ? » ou le présentoir à chewing-gums d’être dévalisé. Avec un peu de malchance, j’aurai oublié ma CB ou ma petite dernière aura passé le portique avec un article non scanné et l’alarme se déclenchera.
Bref, vous comprendrez pourquoi, jusqu’ici, je n’avais jamais pris la peine de me pencher sur « le cas des caissières ». Je disais « Bonjour », « Merci », « Au revoir » et j’avais bien assez à faire pour en plus me sentir interpelée par sa patience, sa nonchalance ou que sais-je encore ? Les caissières sont des êtres humains, pas des machines. On l’oublie parfois. Souvent. Combien de caissières avons-nous vues se faire insulter, vilipender pour des prix, des pratiques dont elles ne sont en aucun cas responsables.


C’est vrai qu’il y a plus grave comme malheur mais en attendant, nous sommes tous régulièrement en contact avec ces femmes (ou ces hommes il y en a) et ce, sans imaginer ce que peut être leur quotidien. Et je vous assure qu’en lisant ce livre, qui se lit comme un roman, vous comprendrez, compatirez, rirez aussi, souvent.
Je vous passe le détail des situations burlesques ou déplorables pour ne pas gâcher l’éventuel plaisir de la lecture. Attention, on n’est pas « au rayon grande littérature » là. Avant d’être un livre, c’était un blog et ça se sent mais qu’importe, lire, c’est voyager, à gauche, à droite et même chez Carrefour par une belle après-midi comme aujourd’hui.



Un extrait, pas la page 28, pas le plus révélateur de ce que peut être le « cauchemar » d’une caissière mais un extrait très cocasse quand même. Notre charmante caissière a travaillé brièvement en Belgique, espérant secrètement qu’une fois la frontière passée, les problèmes seraient loin derrière. C’était sans compter sur le charme des Belges, mes compatriotes.


Histoires belges : petit passage de l’autre côté de la frontière

Vous en avez marre des supermarchés français ? Vous avez envie de prendre l’air et voir si l’herbe est plus verte dans les supermarchés belges ? C’est parfaitement compréhensible et j’ai moi-même tenté l’expérience, pleine d’espoir. Hélas, rien ne se ressemble plus qu’un patron belge et un patron français, une vie de caissière belge et une vie de caissière française, un client belge et un client français. Les seules différences : plus de variétés de spéculos et de gaufres et, bien sûr, l’accent ! Aussi, si vous tentez quand même (ne venez pas vous plaindre après), préparez-vous à vivre ce genre de scène :
Caissière française : 9,99 euros, s’il vous plaît, madame.
Cliente belge (avec un accent belge à couper au couteau) : J’co…rend pas qu’es vo… di… !
Caissière française : Pardon ? Excusez-moi, je ne comprends pas. Vous pouvez répéter ?
Cliente belge : …ai… qu’es vo acon à l’in ?
Caissière française : Pardon ? … Je ne comprends toujours pas. 9,99 euros, s’il vous plait.
Le client derrière décide d’intervenir.
Client belge (à la cliente belge, avec un accent à couper au couteau) : Vo de…ez ante, ante neuf… ros !
Cliente belge : Ah ! j’co… pris !
Client belge (à la caissière française, sans presqu’aucun accent belge) : ça y est elle a compris, je lui ai traduit ce que vous avez dit.
Caissière française : Merci. Elle a un sacré accent !
Cliente belge (au client belge) : El’ e as ‘ici, el’ a acré ‘cent !
Client belge (à la caissière française) : Elle me dit de vous dire que vous n’êtes pas d’ici et que vous avez un sacré accent.
Tout n’est qu’une question de point de vue. Un conseil : mettez-vous au belge accéléré.

(Extrait de Anna Sam, « les tribulations d’une caissière », pp.170-172.)

Voilà, ce livre est aussi plein d’ironie, de perspicacité sur les « clients » que nous sommes tous.

lundi 13 juillet 2009

Lolita


Vladimir Nabokov, « Lolita », Gallimard, 1955, Folio Poche.



Ce n’est pas facile de parler d’un livre pareil. Désolée pour l’entrée en matière mais c’est ainsi : on ne clame pas à tue-tête « J’ai lu ‘Lolita’ et c’est super ! » Je l’ai devant moi, ouvert à plat et je ne sais pas par quel bout le prendre. Il faut dire que ce n’est pas le genre de livre qu’on trimballe pour bouquiner dans un jardin public. J’en ai parlé aujourd’hui avec un ami. C’est un peintre. Il peint divinement bien et peu de choses dans la vie le choquent. Enfin, je crois… les gens, on ne les connait jamais vraiment. Il m’a avoué tout à l’heure, on était sur ma terrasse, on parlait littérature et il a dit : « Quand je le lisais, je le cachais. J’avais peur qu’on sache que je lisais ‘Lolita’ et pourtant, c’est un chef-d’œuvre. Et toi, qu’est-ce que tu en penses ? Pourquoi tu le lis au fait ?» Bonne question, je me suis dit tout en cherchant quelque chose à lui répondre. Je l’ai pratiquement terminé. La fin, je la connais. Je me souviens du film de Stanley Kubrick, vaguement.



Vladimir Nabokov, en 1959, il avait défrayé la chronique comme on dit. Un scandale. Son livre était un scandale, pas un de ces scandales mièvres qui finissent par devenir des lieux communs, mais un vrai de vrai qui, aujourd’hui, le serait encore. Confession, obsession, perversité, pédophilie, aliénation mais aussi romantisme, douceur, sentiment… non-sens aussi. Non-sens parce que les normes ne se discutent pas : ce récit est scandaleux (mais c’est du Nabokov quand même…) Les normes, dans Lolita, elles apparaissent à toutes les pages, en filigrane, chaque fois que Humbert Humbert, le personnage principal, le « monstre », évoque son attirance pour les nymphettes (entendez par là les gamines de 8 à 14 ans dotées d’un charme particulier ou vues comme telles).



Vous voyez comme c’est difficile d’évoquer ce roman ? J’ai lu à gauche à droite des articles afin de me faire une idée. Habituellement, quand je fais une de mes petites « chroniques », je ne consulte pas d’autres avis ; je me mets devant mon ordinateur et je laisse aller les idées, les impressions… Là, le thème est différent, sensible, tabou.En fin de compte, moi, je l’ai lu pour la prose d’abord (et quelle prose !) et aussi en me focalisant sur l’aspect « psychiatrique » : Humbert Humbert, c’est un malade, un aliéné, un coupable qui reconnait tous ses crimes. Il y a aussi tous ces opposés qu’il montre du doigt : l’Europe et l’Amérique des années 50, la femme et l’enfant, la normalité et son contraire, la monstruosité… Et, à propos de psychiatrie, ce qui est comique (mais si !) dans le livre, c’est la vision qu’a le narrateur de la psychanalyse freudienne et son côté outrageusement charlatan.



Vous avez vu ? Je cafouille.


Allez, on structure !



Un petit mot de Nabokov qui est né à Saint Petersburg en 1899 dans un milieu aristocratique anglophile. Parfait trilingue (maîtrise du russe, de l’anglais et du français), il décide, après quelques ouvrages rédigés dans sa langue maternelle, de rédiger ses romans dans celle de Shakespeare. Mon ami m’a dit aussi qu’il avait croisé James Joyce, dans un taxi…



Je m’égare à nouveau.



Avant-propos où on annonce la couleur : vous allez lire la confession d’un condamné publiée à titre posthume par un médecin.


Lolita, ou la confession d’un veuf de race blanche, tel était le double titre de l’étrange document que reçut le signataire de cette note préliminaire. L’auteur de l’ouvrage, « Humbert Humbert » est décédé en prison d’un infarctus du myocarde, le 16 novembre 1952, à quelques jours de l’ouverture de son procès. […] Considérée sous l’angle purement romanesque, Lolita met en lumière des situations et des passions qui, si l’on en étiolait le récit par des biais insipides, resteraient insupportablement obscures aux yeux du lecteur.



Ça commence fort !
Sur 500 pages, Nabokov tient un pseudo journal intime, raconte la passion dévorante d’un homme pour une gamine de 12 ans. À force d’essayer de l’approcher, il finit par épouser la mère. Après une vie de couple très brève, celle-ci meurt de façon tragique et Humbert Humbert devient ainsi le « tuteur » de Lolita. Il l’embarque dans une espèce de road trip à travers les Etats-Unis afin de mieux la posséder. Et en effet, il la possède mais les pages restent toujours très chastes (Nabokov est capable d’écrire pendant trois pages un doigt qui se retient d’effleurer). Humbert Humbert, s’il est capable de dévoiler ses pensées les plus sulfureuses à ses lecteurs, est bien trop « romantique » pour se laisser aller à raconter, donner des détails.



Tout au long du livre, Humbert Humbert s’adresse tantôt au lecteur, tantôt aux jurés. Il raconte, raconte, se confesse, se juge… et Nabokov réussit l’impensable pari de faire de cet être pervers un personnage sympathique aux allures de rentier cultivé et sensible. Sûrement est-ce un des aspects fascinants de l’ouvrage : on est du côté du « méchant », on sait qu’on devrait le détester mais on est subjugué par sa culture, son éloquence, son raffinement…



A noter aussi toutes les descriptions remarquables des lieux visités par le « couple » infernal.Une chose doit être dite aussi à propos de ce livre : il n’est pas question de « leçon de morale », nulle part. Il est question, simplement question, de bousculer les normes, de braquer les projecteurs sur l’aliénation (dans son sens premier) avec un sujet effectivement scandaleux.



Page 28


Le nombre des nymphettes authentiques est infime en comparaison des légions de fillettes ordinaires (qu’elles soient passagèrement disgraciées, ou « mignonnes », voire même « adorables »), qui sont des créatures essentiellement humaines, banales, replètes et sans forme, avec des tresses en queue de cochon, à la peau froide et au ventre ballonné, et qui deviendront – peut-être - des femmes d’une grande beauté (songez à ces affreuses gamines mafflues, en bas noirs et capelines blanches, qui se sont métamorphosées en éblouissantes Vénus de l’écran). Présentez à un homme normal une photographie de groupe (écolières ou girl-scouts) en le priant de désigner la plus jolie petite fille, et ce n’est peut-être pas la nymphette qu’il choisira. Il faut être un artiste doublé d’un fou, un de ces êtres infiniment mélancoliques, aux reins ruisselants d’un poison subtil, à la moelle perpétuellement embrasée par une flamme supra-voluptueuse (oh ! cette torture sous le masque !), pour discerner aussitôt, à des signes ineffables – la courbe féline d’une pommette, la finesse d’une jambe duveteuse, et cent autres indices que le désespoir et la honte et des larmes de tendresse me retiennent d’énumérer – la nymphette démoniaque cachée parmi les enfants bien normales auxquelles elle reste inconnue, ignorant elle-même le pouvoir fantastique qu’elle détient.


(Extrait de Vladimir Nabokov, « Lolita »)

Dernière chose: à mon ami finalement j'ai répondu "Je le lis parce que "La Transparence des choses" et parce que "Ada ou l'ardeur"."


Note à moi-même: impression d'en avoir parlé bien mal de ce livre. Tant de scènes d'anthologie, et pas que celles dites "scandaleuses", tant de personnages évoqués brièvement mais avec quelle prose, tant de coups portés aussi à la "Normalité"...

Non mais...


Je mets mes lunettes et prends mon air sérieux:


1. Je lis ce que je veux.


2. J'aime pas l'élitisme, surtout en littérature.


3. J'aime les histoires, j'aime les voyages de papier.


4. Je me fous du marketing et du populaire.


5. Les livres, c'est comme les frites Mc Cain, c'est ceux qui en parlent le plus qui en lisent le moins.


samedi 11 juillet 2009

La Route


Cormac MC CARTHY, « La Route », Editions de l’Olivier, 2008.



Il pleut. Par moment, un rayon de soleil nous fait croire qu’il va percer et puis non, il pleut à nouveau. C’est une pluie de Belgique, fine et tenace, un mois de juillet qui ressemble aux précédents, capricieux, décourageant. Les enfants sont survoltés… Je n’en pouvais plus. Je les ai collés devant un vieux film. J’ai dit, Vous regardez et je poserai des questions pour savoir qui est le plus intelligent. Les grands ne sont plus dupes : ils ont jeté les yeux au ciel et filé dans leur chambre. Les petits par contre devraient me laisser deux heures de répit, le temps pour moi de parler d’un livre, de vous donner envie de le lire. C’est pour ça que j’écris mes petites critiques qui n’en sont pas : donner envie. De lire. Lire.



Je suis plongée dans Nabokov. 500 pages… Plus de 100 pages par jour, avec le train train, c’est difficile donc, je parcours du doigt ma bibliothèque… Cormac Mc Carthy, « La Route » !



Lire « La Route ». Ma chronique pourrait s’arrêter là. Mc Carthy. Une valeur sûre. Un géant. Un survivant parmi les maîtres américains. Une ermite qui peut prendre 20 ans pour peaufiner un roman (20 ans !) Mc Carthy. L’auteur de « Non, ce pays n’est pas pour le vieil homme ». Mc Carthy et le souffle titanesque de ses récits. Mc Carthy. Prix Pulitzer, rien que ça… Cela vaut-il la peine que j’en dise plus ? Peut-être, pour ceux qui ne le connaissent pas encore. À ceux-là alors, je dis « lisez ‘La Route’ et vous comprendrez ».



Quatrième de couverture ? Pourquoi pas.


L'apocalypse a eu lieu. Le monde est dévasté, couvert de cendres. Un père et son fils errent sur une route, poussant un caddie rempli d'objets hétéroclites et de vieilles couvertures. Ils sont sur leurs gardes car le danger peut surgir à tout moment. Ils affrontent la pluie, la neige, le froid. Et ce qui reste d'une humanité retournée à la barbarie. Cormac Mc Carthy raconte leur odyssée dans ce récit dépouillé à l'extrême.



Des images ? Oui, sous forme de mots, ceux de l’auteur parce que je n’oserais jamais y substituer les miens.


Les nuits obscures au-delà de l’obscur et les jours chaque jour plus gris que celui d’avant…

Ils étaient sur la route…

Ils poussaient le caddie…

La route était déserte…

Il faut qu’on fasse demi-tour…

Est-ce qu’on va mourir ?

Un jour. Pas maintenant…

Si tu mourais je voudrais mourir aussi…

Ils traversèrent la ville…

Les flocons gris mouillés, tournoyant et tombant, surgis de rien…

Il avait rêvé qu’il marchait dans un bois en fleur…

Et les rêves si riches en couleurs…

Manger.

Je veux que tu boives tout.

C’est parce que j’en aurai jamais d’autre à boire, hein ?

C'est long jamais.

L’obscurité de la lune invisible.

Ils sont partis. Ils ont emporté le monde avec eux...

Pas d’autre histoire à raconter.

Descendre et quitter la neige…

Qu’est-ce qui leur est arrivé ?

Je ne sais pas exactement…

On n’est pas des survivants. On est des morts-vivants.

Un des types qui s’approchait…

Continue d’avancer…

Ne regarde pas. Regarde-moi. Si t’appelles t’es mort.

D’accord…

Si tu as peur, appelle-moi et je viendrai…

J’ai peur…

On ne va pas mourir…

D’accord…

Quand ils se furent éloignés…

Sur le matelas gisait un homme amputé des jambes…

S’il vous plait, aidez-nous…

Dépêche-toi. Pour l’amour de dieu dépêche-toi…



Que dire en réalité de ce roman, de ce chef d’œuvre qui n’ait déjà été dit, écrit ? Lisez les critiques et vous comprendrez. Radoter pour radoter n’a aucun sens. Mieux vaut aller droit au but. « la Route », c’est le roman de l’entre-deux. Deux mondes, le nôtre et celui de demain, peut-être… On ne sait pas exactement où on est, ni depuis combien de temps le monde a été réduit en cendres. On sait qu’on descend vers le Sud, qu’il ne reste rien, que sa vie à protéger, et des cendres, des ruines, des cadavres, des conserves avariées, des carcasses, des ombres et la peur au ventre. La peur encore et la pluie, le vent, la nuit, la neige, des ombres encore et toujours il y a forcément quelqu’un juste derrière ne pas se retourner ! et surtout cet amour d’un père pour son fils, cet amour écrit si simplement et qui bouleverse. C’est ça, « La Route », un bouleversement, le livre le plus beau que j’aie jamais lu mais aussi le plus ignoble : 244 pages de phrases dépouillées, de philosophie et d’apocalypse. 244 pages que vous n’êtes pas près d’oublier !



Page 28 quand même, pour donner le ton.



La porte moustiquaire pourrie gisait derrière la maison sur la terrasse cimentée.
On va entrer là-dedans ?
Pourquoi pas ?
J’ai peur.
Tu ne veux pas savoir où j’habitais ?
Non.
Il n’y a rien à craindre.
Il y a peut-être quelqu’un ici.
Je ne crois pas.Mais suppose que si ?

Il s’était arrêté les yeux levés sur le pignon de sa chambre d’autrefois.
Tu veux attendre ici ?
Non.
Tu dis toujours ça.
Je te demande pardon.Je sais.
Mais tu le dis quand même.

Ils se débarrassèrent de leurs sacs à dos et les laissèrent sur la terrasse et se frayèrent un chemin sur la véranda en repoussant du pied les détritus et entrèrent dans la cuisine. Le petit ne lâchait pas sa main. Tout était plus ou moins comme il s’en souvenait. Les pièces vides. Dans le réduit derrière la salle à manger il y avait un petit lit en fer sans literie, une table métallique pliante. La même grille en fonte dans la petite cheminée. […] C’était ici qu’on fêtait Noël quand j’étais petit. Il se retourna et regarda la cour dévastée…

(Extrait de Cormac Mc Carthy, « La Route »)