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mardi 4 août 2009

Pour me faire plaisir



"Très vite dans ma vie il a été trop tard. À dix-huit ans il était déjà trop tard. Entre dix-huit et vingt-cinq ans mon visage est parti dans une direction imprévue. À dix-huit ans j’ai vieilli. Je ne sais pas si c’est tout le monde, je n’ai jamais demandé. Il me semble qu’on m’a parlé de cette poussée du temps qui vous frappe quelquefois alors qu’on traverse les âges les plus jeunes, les plus célébrés de la vie. Ce vieillissement a été brutal. Je l’ai vu gagner un à un mes traits, changer le rapport qu’il y avait entre eux, faire les yeux plus grands, le regard plus triste, la bouche plus définitive, marquer le front de cassures profondes. Au contraire d’en être effrayée j’ai vu s’opérer ce vieillissement de mon visage avec l’intérêt que j’aurais pris par exemple au déroulement d’une lecture. Je savais aussi que je ne me trompais pas, qu’un jour il se ralentirait et qu’il prendrait son cours normal. Les gens qui m’avaient connue à dix-sept ans lors de mon voyage en France ont été impressionnés quand ils m’ont revue, deux ans après, à dix-neuf ans. Ce visage-là, nouveau, je l’ai gardé. Il a été mon visage. Il a vieilli encore bien sûr, mais relativement moins qu’il n’aurait dû. J’ai un visage lacéré de rides sèches et profondes, à la peau cassée. Il ne s’est pas affaissé comme certains visages à traits fins, il a gardé les mêmes contours mais sa matière est détruite. J’ai un visage détruit."


Extrait de Marguerite Duras, "L'Amant"

dimanche 21 juin 2009

Des murs



Parce qu'il faut parfois poser son livre et regarder autour de nous...
Un article de mon amie Régine:






Des enfants meurent, sont victimes d'actes de violence, vivent dans des conditions inacceptables... Parce que les mots seraient trop nombreux, insoutenables pour décrire...


http://www.unicef.org/french/infobycountry/oPt.html

mardi 16 juin 2009

Le temps de lire


Une dame, mère de deux enfants, me disait aujourd’hui dans un jardin public : « Je ne comprends pas comment vous avez le temps de fumer ou de lire. Je n’ai que deux enfants et je n’ai plus une minute à moi alors la lecture, vous pensez… » J’ai écrasé ma cigarette, refermé mon livre, me suis levée du banc où je paraissais depuis une heure et j’ai lancé : « Je ne comprends pas comment vous avez le temps de ne jamais en prendre ; ça doit être exténuant. »
Elle n’a rien compris, sûrement parce que ce que j’ai répondu ne veut pas dire grand-chose. Pas le temps de lire ? Même pas un chapitre, même pas une page, un mot ? C’est vrai mais le temps de lire, c’est comme les crèmes glacées : c’est rare quand on m’en offre.



Où trouver le temps de lire ?
Grave problème.
Qui n’en est pas un.
Dès que se pose la question du temps de lire, c’est que l’envie n’y est pas. Car, à y regarder de près, personne n’a le temps de lire. […] La vie est une entrave perpétuelle à la lecture. […]
Le temps de lire est toujours du temps volé. (Tout comme le temps d’écrire, d’ailleurs, ou le temps d’aimer.) […]
C’est sans doute la raison pour laquelle le métro […] se trouve être la plus grande bibliothèque du monde.
Le temps de lire, comme le temps d’aimer, dilate le temps de vivre.
Si on devait envisager l’amour du point de vue de notre emploi du temps, qui s’y risquerait ? Qui a le temps d’être amoureux ? A-t-on jamais vu, pourtant, un amoureux ne pas prendre le temps d’aimer. […]
La question n’est pas de savoir si j’ai le temps de lire ou pas (temps que personne, d’ailleurs, ne me donnera), mais si je m’offre ou non le bonheur d’être lecteur.


(Extrait de Daniel PENNAC, Comme un roman).


jeudi 11 juin 2009

Des histoires et des mots



Des histoires et des mots




C’est Aristote, qui, le premier, avait fait remarquer que les mots sont formés de parties insignifiantes, des syllabes autrement dit qui ne veulent rien dire. Pourtant, dès que ces parties sont assemblées, elles nous paraissent logiques ou même parfois remarquables. La magie du logos… D’accord, je caricature un peu Aristote mais c’est que tout ça me rappelle des souvenirs un peu traumatisants. Pour vous dire, un jour dans une librairie, je suis tombée sur un livre avec une affreuse couverture orange. Ça s’appelait, je crois, « Théorie de la phrase et de la proposition chez Aristote ». Je suis partie en courant. Un traumatisme resurgi du passé…



Rentrée chez moi pourtant, je me suis souvenue d’un livre sur Platon, une sorte de guide du « platonicien débutant ». J’ai fouillé mes étagères, je l’ai retrouvé, relu les pages que j’avais marquées. Tout ça, j’avais oublié. Tous les efforts que Platon avait déployés pour nous prouver par A+B que toute la pensée humaine était enfermée chez son maître. Socrate, même s’il se refusait à écrire, il reste aujourd’hui encore une présence, une référence. On aborde un sujet, on ne s’en rend pas compte mais il est là, derrière. Les questions, il les avait soulevées, pas toutes évidemment mais les plus intemporelles, celles finalement qui importent vraiment : la justesse, la confusion, le conventionnalisme, l’amour, la démocratie, la mort, la solitude et j’en passe. Ce que j’apprécie dans ce livre de « vulgarisation », c’est que, dès les premières pages, il me donne ce droit qui me titille depuis si longtemps : parler simplement, écrire simplement aussi, surtout. Socrate, il prônait la simplicité et des livres remarquables écrits simplement, j’en ai lu.



Parfois, à force de vouloir exercer un art, on le fige et on n’y voit plus que ces efforts censés l’imposer. C’est un peu dommage… Certains romans sont dépourvus de fioritures et pourtant, on sent dans leurs pages une pensée jaillissante et qui nous marquera bien plus longtemps que certaines constructions exceptionnellement habiles, voire brillantes. Je ressens la même chose avec les peintures (bien que je sois assez ignare en ce domaine) de Camille Pissarro. Quand je vais au musée d’Orsay, je n’y vais que pour lui, je lui mets des rendez-vous qui durent longtemps. À côté, il y a les tableaux des plus grands maitres mais c’est lui que je préfère. C’est pareil en musique. Suzanne Vega, j’aime bien ; j’entends ses chansons, sans penser qu’il y en a forcément des meilleures et je vois des images. Question de regard sûrement. Le pouvoir des yeux…



Qu’est-ce qu’on voit ? Qu’est-ce qu’on retient devant une œuvre d’art qui nous plait? Devant un texte, qu’il soit lu ou chanté, qui nous émeut ? Les impressions bien sûr (et entre autres), des petits enthousiasmes qui estampillent en nous une satisfaction palpable et le « remarquablement bien construit », on le vante puis on finit par l’oublier. On se souvient que c’était « hyper bien écrit mais zut ! j’ai pas d’exemples en tête là bon alors t’as qu’à le lire et tu verras bien ! » Mais je m’égare…



Socrate donc préférait une pensée concise et capable de réveiller un régiment à un long développement soporifique. D’où sa répulsion à l’écriture : pourquoi écrire un livre qui risquerait de faire de l’ombre à l’esprit qui le conçoit ? La clarté, la précision. Un point c’est tout ! (Pour les curieux et les mordus de grec ancien : Platon, « Protagoras », 334d).



Aujourd’hui, plus personne n’est capable d’une telle démarche intellectuelle. On est tous des adeptes des Post-It, des notebooks, tout se note et se consigne. On écrit, écrit, écrit…pendant que la littérature suit le mouvement, on dirait. J’ai remarqué ça : de plus en plus d’auteurs écrivent des mots des mots des mots des mots au détriment des histoires (parfois ils le font, pas tous mais il y en a). Il y a comme une nouvelle vague d’écrivains incontestablement talentueux, des génies même! Donnez-leur dix mots et ils vous couperont le souffle. Donnez-leur cent pages et vous leur décernerez le prix Goncourt… Mais s’ils écrivent incontestablement bien, il faut bien avouer que l’oubli de leurs récits est parfois fulgurant. En plus de cela, on vit au royaume cruel des étiquettes et elles sont vite collées, ces satanées étiquettes. Un vrai désastre pour beaucoup d’auteurs. Un tel écrit bien point. Un autre mal point. Celui-là écrit pour les caissières point final…



Bon, j’avoue : je schématise (des livres primés que j’ai adorés, j’en ai lu, des livres hyper bien écrits et excellents aussi), je généralise, exagère mais peut-être pas tant que ça. Revenons au pouvoir des mots. Le pouvoir des mots, oui, important le pouvoir des mots… Et quoi d’autre ? Je cherche, je cherche…



Les mots sont magiciens, sorciers, manipulateurs, associations, rapports au réel ou illusions… Combien de discours prononcés dans l’histoire ont changé le cours des événements ? Mao, Gandhi, Hitler, Churchill… Sans leurs mots…



Les mots sont volages, infidèles, trompeurs, illusoires, remplaçables… Combien de livres avons-nous lus ? Et oubliés ? Et pourquoi ? Pourquoi retient-on tel roman ? Pourquoi ses personnages et ses péripéties se gravent-elles dans un coin de notre tête alors que d’autres…


Il y a quelques mois, j’ai rangé enfin tous mes livres. Ils étaient dispersés dans toute la maison et je me suis dit : « Un peu de courage pour mettre beaucoup d’ordre. » Évidemment, ça m’a pris plusieurs journées parce que j’ai retrouvé une foule de livres, manuels que j’ai feuilletés, relus… Comme j’ai voulu faire ça bien, j’avais rangé les auteurs en les regroupant. C’est comme ça que j’ai pu remettre la main sur les livres de Kundera, «L’Art du roman » notamment… Relecture rapide et nouvelles pages marquées d’un trait rouge (mais si, j’agresse parfois mes livres au Bic rouge !) Bien sûr, aborder « L’Art du roman » de Kundera n’est pas mon intention (l’analyse de Don Quichotte, je l’ai beaucoup appréciée soit dit en passant !) Pour faire affreusement et scandaleusement court, disons que Kundera donne une idée de ce qu’est le roman pour lui à travers la lecture des auteurs qu’il affectionne (Cervantès, Diderot, Flaubert, Tolstoï…) et il n’a de cesse de souligner une des caractéristiques fondamentales du roman : la liberté de composition.



Pourquoi je parle de ça, encore ? De la liberté de composition, du pouvoir des mots, des livres inoubliables? Tout ça, ce n’est jamais que des mots (encore eux !) et, vraiment, j’avais l’impression d’avoir un message à faire passer en commençant à écrire…


Qu’est-ce qui fait qu’on aime un roman ? Qu’on a envie de le partager ? Qu’on ressent une émotion, quelle qu’elle soit ? Voilà, c’est ça, c’est de ça que je voulais parler en écrivant, à côté de ma tasse de café : les romans suscitent des émotions. Mais pourquoi tel roman et pas un autre ? Attendez… J’ai un livre de Kundera sous la main, « La Lenteur ». La postface est très bien faite. J’ai souvenir d’un passage que j’avais partagé…



L’autre trait qui confère à « La Lenteur » un caractère distinctif et « inaugural » dans l’œuvre de Kundera, c’est, bien sûr, que ce roman a été écrit directement en français. Ce fait suscitera sans doute des réactions cocardières, mais elles ont peu à voir avec sa véritable portée, qui se situe à un tout autre niveau, beaucoup plus significatif. Il y a en effet, dans ce changement d’idiome, dans cette « indifférence » au moins théorique à la langue, l’affirmation implicite d’une conception du roman qui a fort peu à voir avec le culte actuel de l’écriture. Selon ce culte, selon cette idolâtrie, la littérature – y compris le roman – ne serait qu’une sorte de jeu linguistique dominé tantôt par l’abandon aux ressources et aux « pouvoirs » insoupçonnés de la langue, tantôt par la recherche effrénée d’un « style », c’est-à-dire d’une manière prétendument originale de combiner des mots et de former des phrases dans un « texte » qui soit à lui-même sa propre origine et sa propre fin. […] Prenez la plupart des romans qui s’écrivent aujourd’hui en français, dépouillez-les de leurs joliesses d’écriture et autres « audaces » rhétoriques, traduisez-les en simple prose, et vous verrez.

François Ricard dans Kundera, « La lenteur », Gallimard, Folio, postface, pp.186-187.


Le pouvoir des mots oui… mais aussi surtout le pouvoir des histoires ; c’est là que je voulais en venir. On oublie trop souvent de raconter des histoires, des histoires qu’on n’oubliera pas, qu’on n’a pas envie d’oublier. Lewis Carroll, lui, qui avait raconté « Alice au pays des merveilles » dans une barque avant de l’écrire, l’avait bien compris.