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mardi 30 juin 2009

Un Aller simple



Didier Van CAUWELAERT, "Un Aller simple", Albin Michel, 1994, Le Livre de Poche
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Il fait chaud. C’est le dernier jour d’école. J’écris dans mon jardin. L’école, elle est juste derrière les palissades. J’entends les derniers parents dire au revoir aux instituteurs puis les voitures monter doucement vers la route. Pendant deux mois, le quartier va être plongé dans un calme auquel on ne s’habituera pas. On n’y peut rien : dix mois par an, on vit au rythme de cette petite école primaire derrière laquelle on a fait construire notre maison. C’est pratique ; on a beaucoup d’enfants. Un jour, ils grandiront et on n’aura plus à aller de l’autre côté du jardin… Il y a des gens aussi que l’on ne verra plus… C’est la vie.


C’est l’été aussi et, même en Belgique, il peut être beau. Parfois, il l’est. Tout à l’heure, j’ai parlé avec ce vieux monsieur tout blanc, pour la dernière fois peut-être. Quand il fait beau comme aujourd’hui, on parle parfois longtemps. Il venait conduire et rechercher son petit-fils tous les jours. En septembre, le gamin ira à « la grande école ». C’est dommage, je suis un peu triste. Il nous arrivait de parler de livres. Il aime les livres et il sait combien je les aime aussi. Lui, il lit de tout, absolument de tout et c’est un très bon critique.


Ses conseils ne m’ont jamais déçue. Il apprécie surtout les grands auteurs russes et Joyce. Il dit que c’est une sorte de dieu, qu’un jour il y aura sa statue dans toutes les écoles. J’aime bien quand il dit ça. Je trouve que j’ai de la chance de connaître un vieux monsieur qui voue un culte à James Joyce mais il n’y a pas que ça. Il est comme moi : il aime les histoires, les vraies, celles qui le surprennent au détour d’une journée. Van Cauwelaert, il aime bien. Il dit qu’il ne s’en lasse pas et que ce n’est pas grave s’il n’écrit pas comme Dostoïevski. Il a raison et puis Van Cauwelaert, il écrit bien. Moi, je trouve qu’il écrit bien et surtout, qu’il raconte encore mieux. Avec lui, on ne voit pas les pages passer et ça, ça relève de la magie. « Un Aller simple », rien que le titre, déjà il est plein de promesses, non ? Allez, dites oui !


Merci.


On ferme les yeux (à moitié) et on imagine une vallée que l’on invente. C’est là qu’on veut aller, dans une légende qui n’existera que pour nous, parce qu’on le veut… Partir dans un lieu qui n’existe pas, parce qu’on nous chasse, parce qu’on est différents, parce qu’on nous trahit, parce qu’on nous guide, parce qu’il faut bien aller quelque part… peu importent les raisons puisqu’on écrira. Écrire ses illusions, sans s’en rendre compte, devenir le narrateur d’un roman que l’on n’a pas forcément choisi… c’était ça, le défi de ce livre. Ensuite, se retrouver dans des endroits dont on ne soupçonnait même pas l’existence et en faire des petits coins de paradis.


La pièce a six mètres sur sept ; j’ai mesuré avec mes jambes. C’est la première fois que j’ai une chambre d’hôtel à moi, et ça fait quelque chose au début. J’ai joué avec la télé, les robinets, les petits savons, l’espèce de machine à laver les chiens, qui sert finalement à cirer les chaussures, et puis je me suis embêté.
Je suis resté un moment sur la terrasse, à regarder la mer, le sable, la lune, les étoiles, la rambarde, les carreaux par terre. Ça sentait je ne sais pas quoi, plutôt bon. L’air était léger, presque trop, ça manquait de voitures, il y avait trop de silence. Je me disais : je suis peut-être dans le pays de mes ancêtres.


Aziz a vingt ans. Il est d’origine française mais il a été recueilli petit par des Tziganes et il est devenu un des leurs, ou presque. Depuis qu’il a douze ans, il passe ses journées à voler des autoradios. Il vit à Marseille et tout va bien pour lui. Il se perd souvent dans les pages de son vieil Atlas (« Elevé au milieu des nomades immobiles, je désirais partir, souvent, si fort, mais partir sans personne, c’est un peu comme rester. ») Il s’apprête même à se fiancer avec Lila qu’il aime depuis toujours. Malheureusement, le jour des fiançailles, les choses tournent mal : descente de police, arrestation, accusation de vol et justement, la France à la recherche d’un « exemple », rapatrier dans son pays d’origine un « illégal » en mettant tout en œuvre pour le réinsérer, l’aider à renouer avec ses racines… Aziz, il est forcément marocain ; c’est écrit sur les papiers. Sauf que les papiers sont faux…

Un attaché humanitaire inaugure avec lui cette mission d’un genre nouveau et les voilà partis tous les deux à la recherche d’une vallée qu’Aziz, qui n’a jamais quitté Marseille, invente petit à petit.


À savoir quand même que « Un Aller simple » a remporté le Prix Goncourt en 1994. Le roman est souvent proposé aux adolescents dans les écoles parce que, au-delà du côté attachant et drôle du héros, il aborde des thèmes comme la tolérance, l’amitié, la trahison, la manipulation de la presse, les clichés, le mensonge, la relation père-fils, le deuil, l’amour, la séparation, le pardon… et on pourrait en ajouter deux pages mais bon…une fois qu’on se laisse aller à discuter de la « thématique des livres » si on n’a pas encore ouvert le livre, on n’a plus envie de le lire… (enfin, en ce qui me concerne).
J’ai marqué plein de pages que j’aimerais montrer ici (« La journée est passée comme déjà un souvenir, et un souvenir de rien ; on m’avait oublié, c’était la fin de tout et de pas grand-chose… » p.24) mais puisqu’il faut bien choisir, autant rapporter la 28.

Aziz vient d’être arrêté. Son meilleur ami, qui est policier, tente de le réconforter.

- Le seul qu’ils ont trouvé à reconduire, avant toi, c’était un Noir de Basse-Terre. Ils lui avaient déjà pris son billet. Il a fallu qu’on leur rappelle que la Guadeloupe, c’est français. Tu te rends compte ?

Je me rendais compte, mais c’était leur problème. Moi, j’étais marseillais, de cœur, d’accent et de naissance – en tout cas j’avais le bénéfice du doute, et si on devait me reconduire quelque part c’était au virage de la Frioune : mon pays c’était les Bouches-du-Rhône, ma cité Vallon-Fleuri et mon équipe l’OM.


Pignol a poussé un long soupir qui enfonçait ma défense :
- Tu es le premier étranger qui a des papiers, Aziz, et qui vient de quelque part.
- Et si je dis que c’est pas vrai ?
- Tu y gagnes quoi ? Deux ans aux Baumettes pour usage de faux et vol de bijou. Tu tiens vraiment à être français ?


Il avait tourné vers moi des yeux où notre amitié revenait une dernière fois, pour dire à dieu. Il pensait visiblement que mon départ, c’était la chance de ma vie. Rien ne me retenait, je n’avais aucun avenir ; ça ne servait à rien de rester. Là-bas, je pourrai recommencer une autre existence, avec l’aide d’une personne spécialisée. Il m’a serré le genou, très fort, il m’a dit :
- Tu vas me manquer.


J’étais déjà parti, dans sa tête. C’est fou comme les gens s’habituent vite.


(Extrait de Didier Van Cauwelaert, « Un Aller simple »)

lundi 8 juin 2009

La Maison des lumières




Didier VAN CAUWELAERT, « La maison des lumières », Albin Michel, 2009.

Chaque année, pour son anniversaire, j’offre un Van Cauwelaert à une de mes amies. C’est facile de lui faire un cadeau, elle souffle toujours ses bougies le jour du printemps, pile au moment où cet auteur qu’elle aime bien sort un livre. Si les dates ne coïncident pas, je lui offre un ancien. Là aussi, c’est facile : il en a écrit 19, des romans, et il n’y a pas si longtemps que je la connais ; j’ai encore de la marge. En faisant cela, ma copine ne se rend pas compte mais je rends un petit service à l’humanité. Habituellement, elle est plutôt du genre à se pâmer pour des auteurs qui… ah ! non, pas de critiques négatives, j’aime pas ça. Ça ne sert à rien. Si on n’aime pas quelque chose, on n’en parle pas, non ? Van Cauwelaert, j’aime bien… un peu, beaucoup, passionnément, ça dépend. Ce n’est pas mon écrivain préféré mais j’ai une petite tendresse pour ses histoires originales.


Bref, moi, j’avoue, c’est un truc qui m’énerve, offrir des livres. Un vrai calvaire même ! Surtout si j’ai envie de les lire (raison pour laquelle je me suis lancée l’an dernier dans la fabrication artisanale de confitures que j’offre aux occasions). Mais mon amie, elle est tellement habituée à son cadeau que j’aurais peur de la brusquer. Bien sûr, elle promet toujours de me passer son Van Cauwelaert que j’ai quand même payé 16 euros 85 mais, comme elle ne lit pas toujours assez vite à mon goût, je dois attendre et ça, j’aime pas non plus, donc en fin de compte, j’achète tous les Van Cauwelaert en double exemplaire et mon petit libraire sympa s’en trouve ravi.



Petite bémol toutefois, depuis deux ans, j’ai remarqué, mon amie retient une grimace quand je lui tends son paquet joliment emballé. « Ah… encore un Van Cauw… Tu trouves pas qu’il tourne en rond, toi ? Ses chutes, surtout… enfin, tu vois ce que je veux dire, on est loin de « l’Education d’une fée » ou de « Ma Vie interdite », non ? Il est devenu si prévisible … » et patati patata non mais il y a des gens qui sont jamais contents ! Alors, je monte sur mes grands chevaux, pas méchamment bien sûr, mais je m’offusque un peu quand même parce que non mais je vous jure les gens, il leur faudrait à chaque fois Le bouquin du siècle, la perle rare, le livre à traduire en mandarin de toute urgence ! Elle veut pas que je lui offre le dernier d’Ormesson quand même ? Qu’est-ce qu’elle croit ? Si tous les gens qui écrivent se mettaient à pondre des chefs d’œuvre, où irait le monde ? Un grand livre, c’est rare et heureusement, non ? L’effet de surprise, c’est bien aussi de temps en temps…



Est-ce que « La maison des lumières » est un grand livre ? Non, forcément… Est-ce que c’est grave , qu’il ne le soit pas ? Non plus. Alors quoi ? Est-ce que je me suis bien amusée en le lisant ? Mais oui ! d’abord parce que je l’ai lu sous ma couette par un jour pluvieux et ça, ça change les données : plonger dans les petits univers de Van Cauwelaert quand il pleut, avec une tasse de chocolat chaud sur la table de nuit et les corvées qu’on envoie balader, ça n’a pas de prix.



Les univers de Van Cauwelaert ? Qu’est-ce qu’ils ont de particulier ? Page 28 ok ok, elle arrive mais il faudrait quand même vous mettre au parfum, non ? Il parle de quoi ce bouquin à la fin parce que ça fait 571 mots que je me disperse…

Jérémie Rex a 25 ans, il est boulanger à Arcachon et très amoureux de la belle Candice qui vient de l’éconduire. Comble de la malchance, le pauvre bougre a gagné un voyage pour deux personnes à Venise, où il se rend seul… Là, il rencontre un gars étrange qui chasse des fantômes qu’il ne trouve jamais. Lors de la visite d’un musée, il lui arrive une aventure extraordinaire : il est aspiré dans le tableau de Magritte, « L’empire des lumières » que sa bien-aimée affectionne tellement. Arrêt cardiaque, hallucinations, Near Death Experience… ? à vous de le découvrir. Ce qui est clair, c’est que le destin de Jérémie va basculer. Scientifiques, sorciers, agents immobiliers, tout le monde se coupe en quatre pour expliquer ce phénomène étrange : lors de son « coma », Jérémie a vécu une folle nuit d’amour et il entend bien remettre ça !



Vous comprenez mieux maintenant, les univers de Van Cauwelaert ? « Ceci n’est pas une pomme », ça vous dit quelque chose ? Magritte encore… eh bien dans ses romans, c’est la même chose : on vous plonge dans la vie apparemment banale d’un personnage un peu désabusé. De prime abord, il n’a rien de spécial, mise à part une histoire d’amour souvent tristounette, mais à mesure qu’on tourne les pages, il se transforme en une sorte de héros de l’improbable. Une équivoque, on va dire ça comme ça. « L’Empire des lumières », il est fascinant ce tableau. Moi, je le trouve fascinant. Qui l’a vu de près a forcément dû s’interroger sur l’absence de portes, sur la vie silencieuse claquemurée derrière ces volets… Ceci n’est pas une peinture, c’est (peut-être que ça l’est) une réponse, un des sens caché de l’existence, une raison. Ceci n’est pas un chef d’œuvre, c’est 179 pages de bonne humeur, de personnages attachants, d’évasion…

Allez, il se fait tard : page 28 ! Jérémie rencontre le chasseur de fantômes et ils discutent de leur ex petites amies.



Je n’arrive pas à croire que notre avenir soit derrière nous. Chaque fois que je la regarde sur mon portable, j’invente un nouveau temps de conjugaison. Le présent antérieur.


- Elle est très belle, dit Philippe Necker d’un ton morne. Moi, je n’ai que ça.
Il me tend une photo de lui, enlaçant une femme sans tête. Coupée en rond par des ciseaux.
-Elle s’appelait Marie-Louise. La fille pour qui je suis parti a voulu l’effacer de ma vie, à tout point de vue, ensuite elle m’a jeté pour un autre, et Marie-Louise est morte. Jamais je n’aurais dû la quitter. Je n’ai plus personne et je n’ai plus de photo.


Je compatis. Cela dit, je ne sais pas ce qui est pire. Devoir faire un effort de mémoire pour reconstituer le visage d’une défunte, ou se trimballer quarante-huit beaux souvenirs d’une vivante qui se refuse.
Extrait de Didier Van Cauwelaert, "La maison des lumières".



Une dernière chose avant d’éteindre mon ordinateur (j’écris sans lunettes, ça devient pénible) : si vous n’avez jamais lu de Van Cauwelaert, c’est par celui-ci qu’il faut commencer. Après, vous avez l’embarras du choix. « Un Aller simple », prix Goncourt, est bien aussi.