mardi 16 juin 2009

Naissance de l'édition


Parce que j'ai acheté le journal aujourd'hui.

Parce que je l'ai trouvé triste.

Parce qu'Alexandre Dumas, je l'aime bien.

Parce que cet article prenait la poussière.
Parce que je n'ai pas envie de dormir.

Un peu d'histoire, ok?



Naissance de l’éditeur

La disparition progressive du mécénat a fait place à l’édition, telle – ou presque - que nous la connaissons aujourd’hui. L’éditeur va progressivement devenir un personnage influent avec lequel l’écrivain va devoir compter pour vivre de sa plume. Cette mutation dans la profession s’explique par des facteurs techniques, commerciaux et politiques.



Depuis l’invention de l’imprimerie, en effet, et jusqu’à la Monarchie de Juillet, l’histoire du livre n’a connu que des évolutions lentes. Sous l’Ancien Régime, les livres publiés étaient en majorité en latin et à caractère religieux. Ceux-ci étaient un objet rare auquel une minorité de lettrés seulement avaient accès. En 1789, les troubles relatifs aux changements de régimes ainsi que la crise économique plongent la librairie dans une torpeur dont elle ne sortira progressivement qu’à partir de 1830. De plus, une série de lois compliquées et incohérentes en matière de publication, couplées au blocus sur les importations d’ouvrages français vers le sud de l’Europe aggravent encore la situation.



La prépondérance des événements politiques restreint ainsi les habitudes des lecteurs qui se tournent davantage vers les quotidiens et les affiches de propagande. Paradoxalement, si le livre se fait de plus en plus rare, on assiste toutefois à une pénétration de l’écrit qui, à long terme, aura une influence bénéfique sur le livre. Le peuple, en majorité analphabète, va de fait s’accoutumer aux références écrites. Ultérieurement, la société lui offrira la possibilité d’apprendre à lire.



Pour l’heure, les libraires souffrent de la diminution de leur clientèle et nombre d’entre eux sont contraints de déposer leur bilan. Cette état de fait va persister jusqu’à la fin du règne de Charles X, qui tentent de rétablir l’autorité des Bourbons, leur porte un coup fatal : en 1830, il fait rédiger les Ordonnances de Saint-Cloud qui mettent un frein à la liberté de la presse en général et à tout écrit publié sans autorisation. Les Parisiens crient au scandale. C’est la Révolution de Juillet. Le Roi, prié de quitter la France, est remplacé par Louis-Philippe dont le règne sera marqué par un libéralisme tout à fait nouveau. C’est à cette époque que, lentement mais sûrement, le peuple se met à lire.





Alphabétisation des masses et croissance de la presse

Le XIXe siècle a donc instauré un nouveau type d’écrit à caractère politique: affiches, pamphlets, ouvrages historiques deviennent de plus en plus nombreux. Cette nouvelle littérarité est à elle seule une véritable révolution. Il s’agit en fait d’une offre qui répond à une demande.
Des lois sont promulguées, favorables à l’apprentissage de la lecture (ainsi, la loi Guizot en 1833).


Les maisons d’édition se développent à cette époque et se tournent de plus en plus vers le goût du public. Après la Monarchie de Juillet, l’Ancien Régime a définitivement sombré aux oubliettes : les mentalités ont changé. Les auteurs ne sont plus des noms associés à des mécènes. Ils deviennent des figures incarnées et portées par la montée des valeurs individualistes. Il s’agit pour eux d’apposer leur signature non seulement dans l’espace culturel mais aussi dans le catalogue des éditeurs qui cherchent avant tout à fidéliser leurs auteurs. Écrivain devient un métier à part entière et les auteurs signent des contrats proportionnés à leur talent et à leur renommée.



L’extension constante du public va donc de paire avec la croissance vertigineuse du nombre d’imprimés. Rappelons que nous sommes en plein essor industriel : les progrès en matière d’imprimerie permettent de produire des livres à une cadence sans précédent. Les éditeurs, cherchant de plus en plus à atteindre les masses, proposent des livres au format réduit, moins coûteux et plus attrayants. Le livre devient donc un objet plus accessible mais ne nous leurrons pas : tout le monde ne peut encore se l’offrir. Les cabinets de lecture, dont la fréquentation est moins onéreuse que l’achat des livres, connaissent alors un regain de fréquentation tandis que la presse à bon marché prend véritablement son essor. En 1836, Emile Girardin lance le quotidien « La Presse ». Le même jour, Armand Dutacq fait paraître « Le Siècle ». Le prix de ces quotidiens, financés par des annonces, a baissé de moitié. Les deux hommes, qui privilégient le journalisme d’information aux dépens du journalisme d’opinion imaginent de fidéliser les lecteurs et d’en augmenter le nombre en revoyant le concept du feuilleton. Cet encadré de la première page, qui proposait initialement des critiques artistiques, contient désormais une histoire éditée au jour le jour. Balzac, le premier, livre à la presse La vieille fille (publié en 1836 dans « la Presse), premier roman découpé avec une stratégie de lecture évidente. Avant cela, l’auteur de La Comédie humaine avait déjà saisi les potentialités offertes par la presse : il y faisait publier ses romans tout en signant des contrats avec ses éditeurs qui, au même moment, mettaient sous presse ses ouvrages. Les lecteurs avaient ainsi le choix entre deux versions. Emile Girardin, propriétaire de « La Presse » y voit une tactique publicitaire : Balzac est un romancier apprécié et l’engouement pour le roman, genre en pleine éclosion, ne peut que faire augmenter le tirage.


Le roman-feuilleton : un genre nouveau

Le succès des romans feuilletons est immédiat et, très vite, chaque quotidien veut posséder son propre feuilleton. C’est à cette époque qu’un dénommé Eugène Sue publie Les Mystères de Paris dont le succès est phénoménal. Les journaux se vendent, s’arrachent comme des petits pains ou sont loués pour une demi-heure. On ne parle plus de « feuilleton » mais de « roman-feuilleton ». Un certain Alexandre Dumas, déjà connu pour ses drames historiques, fait alors paraître dans « Le Siècle » Les trois Mousquetaires. Tout Paris est à ses pieds et découvre un concept nouveau : le suspens, concept instauré par Dumas et par les deux auteurs auquel il est étroitement associé dans l’histoire du roman-feuilleton : Eugène Sue et Frédéric Soulié.


Le but du roman-feuilleton étant d’abord de fidéliser le lecteur, l’éditeur du journal veut le laisser sur sa faim afin de l’obliger à acheter le journal du lendemain. La recette est simple et efficace : des héros attachants dans un décor bien planté et des rebondissements nombreux. Ainsi, parallèlement au roman-feuilleton naissait le roman d’aventures et avec lui, la littérature populaire. Le public du XIXe siècle (tout comme celui d’aujourd’hui) avait soif d’évasion. Dumas allait lui en offrir sur un plateau…


Véritable phénomène social, le roman-feuilleton a bouleversé les techniques d’écriture mais aussi les thèmes de la littérature : l’écriture, déterminée par le rythme de parution se voulait accessible au plus grand nombre. L’auteur multipliait des événements autour d’une intrigue relativement simple tout en accentuant le cadre idéologique. Qu’il publie un roman policier, de cape et d’épée ou de science-fiction, on retrouve toujours cet affrontement entre le bien et le mal, entre un bon et un méchant. L’écrivain, libéré de son mécène, fait entrer en scène des héros singuliers et qui font rêver les lecteurs. Nous sommes en plein mouvement romantique. Alexandre Dumas connaît son apogée en nous dressant le portrait d’un jeune gascon maladroit et qui rêve de devenir mousquetaire… Les Français se replongent dans des temps perdus et en redemandent. Cependant, l’écrivain qui confie à la presse le soin de publier ses romans est constamment contraint de se plier aux désirs et réactions des lecteurs. La rétroaction du public, par le courrier des lecteurs et par la fluctuation des ventes, est si forte que le « feuilletoniste » est sous la menace permanente d’être infléchi.



Les éditeurs, de leur côté, s’empressent de publier les feuilletons qui ont eu du succès dans un format toujours plus abordable. Une série de contrefaçons circulent malgré cela en France mais aussi en Suisse et en Belgique où les aventures des mousquetaires, notamment, passionnent les foules. Connaissant la renommée des auteurs, les imprimeurs belges, qui échappaient à la réglementation française, faisaient publier les romans-feuilletons dès la parution du dernier chapitre. Les auteurs ne touchaient évidemment aucun droit sur ces ouvrages, qui étaient souvent remplis de fautes. Les contrefaçons belges furent même un véritable fléau pour les éditeurs français qui se virent, en réaction, contraints d’abaisser une nouvelle fois le prix des livres, les rendant ainsi toujours plus accessibles au public.


Les romans-feuilletons furent ainsi une des grandes affaires lucratives du XIXe siècle. Probablement est-ce leur côté populaire qui fit gronder la voix des plus réticents : Sainte-Beuve, dans la très sérieuse « Revue des deux mondes » les qualifia de littérature industrielle. La littérature populaire, lors de son éclosion, marquait un profond décalage avec l’âge classique. Certains esprits, quoique fort éclairés, allaient avoir besoin de temps pour admettre l’émergence de ce genre nouveau.



Quoi qu’il en soit, le roman-feuilleton, et Dumas avec lui, avait rempli son rôle : la littérature n’était plus l’apanage d’un lectorat ciblé et fortuné. La presse, elle, venait de cautionner un genre nouveau qui allait faire les beaux jours de la librairie : le roman, qui, par la même occasion, se substituait à la poésie comme genre de référence. Qu’il soit diffusé par voie de presse ou dans les quotidiens, le roman instaurait à lui seul un système culturel nouveau et dominant qui allait perdurer jusque dans la seconde moitié du XXe siècle en cédant sa place à la radio d’abord, puis à la télévision. Des auteurs, de plus en plus nombreux, allaient écrire pour les masses et les genres littéraires ne cesseraient plus de se diversifier. Dumas, le premier, allait s’essayer à de nombreux genres. Sa vie témoigne en effet de la diversité des œuvres qu’il nous a laissés. Il m’a paru utile de la retracer, d’abord pour montrer la richesse de l’œuvre de l’auteur mais aussi pour le situer dans son siècle.


Sources:

DURAND, Pascal et GLINOER, Anthony, Naissance de l’Editeur, l’édition à l’âge romantique, les Impressions nouvelles, Bruxelles, 2005, p. 62.

PARINET, Elisabeth, UNE Histoire de l’édition à l’époque contemporaine, XIXe-XXe S., Editions du Seuil, coll. Points-Histoire, Paris, 2004, p.7.

Dominique Kalifa, «L'ère de la culture-marchandise», Revue d'histoire du XIXe siècle, 1999-19, Aspects de la production culturelle au XIXe siècle, [En ligne], mis en ligne le 29 juin 2005. URL : http://rh19.revues.org/document152.html. Consulté le 11 novembre 2005.

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