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mardi 21 juillet 2009

Quand la littérature s'engage...


Aujourd’hui, je voulais changer le monde, un peu. J’ai dit ça, autour de moi et sur la toile : « Je veux changer le monde alors je t’attends, le monde. À nous deux, on sera des millions, même plus. Ne traîne pas ».


J’ai attendu, le soleil a tourné autour de la maison mais personne n’est venu. J’étais triste. Ma fille de 8 ans m’a dit « Maman, pourquoi tu es triste ? » Je lui ai expliqué, avec des images qu’elle ne pouvait voir que dans sa tête, combien le monde avait besoin de nous. Je lui ai raconté avec des mots aigre-doux les guerres, les enfants armés, les gens battus à mort, les bébés squelettiques, les bombes qui arrachent les jambes, les pays qu’on efface et les gens qu’on expulse vers nulle part. « Moi, je veux bien t’aider, c’est ce qu’elle m’a dit, mais comment on peut faire ? »

J’ai réfléchis et je suis toujours en train de le faire.Moi, je ne suis personne, je n’ai pas assez de bras et autour de moi, rares sont les gens qui se sentent concernés. Enfin, je n’en sais rien : ils ont tellement de choses en tête… Ils sont peut-être seulement fatigués…

Je suis certaine que c’est temporaire tout ça, l’indifférence et les injustices et les atrocités et la famine et les bombes et… et qu’un jour, ils se réveilleront, tous ces gens. Des milliards ils sont. Des milliards on est. Ça risque de prendre du temps… Mais ce n’est pas possible autrement : tout le monde se réveillera un jour. Il le faut, se dire qu’on doit lever le bout de son nez, retirer ses œillères. Pas facile : on est si petits, nous, tellement bien au chaud aussi…

Grandir, faire grandir l’humanité et la doter d’un « h » majuscule. Elle le vaut bien, non ?

C’est Kant qui avait expliqué ça. Il parlait de majorité et de minorité pour évoquer la conscience de l’individu doté du pouvoir de décision et d’action, d’humanité donc.

Un peu de littérature, de philosophie.


“La paresse et la lâcheté sont les causes qui expliquent qu’un si grand nombre d’hommes, après que la nature les a affranchis depuis longtemps d’une direction étrangère, restent cependant volontiers leur vie durant, mineurs, et qu’il soit si facile à d’autres de se poser en tuteurs des premiers. Il est si aisé d’être mineur ! Si j’ai un livre qui me tient lieu d’entendement, un directeur qui me tient lieu de conscience, un médecin qui décide pour moi de mon régime, etc., je n’ai vraiment pas besoin de me donner de peine moi-même. Je n’ai pas besoin de penser, pourvu que je puisse payer ; d’autres se chargeront bien de ce travail ennuyeux. Que la grande majorité des hommes tienne aussi pour très dangereux ce pas en avant vers leur majorité, outre que c’est une chose pénible, c’est ce à quoi s’emploient fort bien les tuteurs qui, très aimablement, ont pris sur eux d’exercer une haute direction de l’humanité. Après avoir rendu bien sot leur bétail, et avoir soigneusement pris garde que ces paisibles créatures n’aient pas la permission d’oser faire le moindre pas hors du parc où ils les ont enfermées, ils leur montrent le danger qui les menace, si elles essaient de s’aventurer seules au dehors. Or ce danger n’est vraiment pas si grand ; car, elles apprendraient bien enfin, après quelques chutes, à marcher ; mais un accident de cette sorte rend néanmoins timide, et la frayeur qui en résulte détourne ordinairement d’en refaire l’essai. Il est donc difficile pour chaque individu de sortir de la minorité, qui est presque devenue pour lui nature.”

Extrait de Emmanuel Kant, « Qu’est-ce que les Lumières ? » (1784)

Il en va ainsi pour toutes les valeurs humaines et les positions que l’on pourrait prendre. Il suffit de se dire « Je suis donc j’agis ».


Et demain, peut-être, l’homme cessera d’inventer sans cesse des armes nouvelles et abominables en ne prenant plus ce prétexte grossier de l’homme préhistorique qui lui aussi.


Demain peut-être, si le monde enfin s’éveille, si toutes ces petites gens qui sont en bien plus grand nombre et bien plus forts que les minorités qui nous tiennent en laisse réalisent enfin qu’on peut changer les choses et qu’on a bien assez de catastrophes naturelles pour ajouter à cela les nôtres, alors, peut-être, on rendra insensé cet adage stupide (et infamant pour l’animal concerné) qui dit que l’homme est un loup pour l’homme.


Maddy désabusée


Ps : Avec la vente du pétrole et celle de la drogue, l’armement est le commerce le plus lucratif, et les loups, on les a exterminés.

Et, pendant que j’écris ceci, dans ma maison douillette, sur mon ordinateur flambant neuf, j’ai devant moi, sur une pile de livres, le dernier roman de Harold Coberd, « Un hiver avec Baudelaire ». Je l’avais chroniqué dernièrement. Une partie des droits d’auteur est reversée à une association qui vient en aide aux sans abris. Un petit pas vers un monde meilleur…

Des actions ciblées et ponctuelles, il y en a plein. À nous de chercher : chaque humain qui grandit pose une pierre au grand « h » de l’humanité.


samedi 13 juin 2009

Blues pour un chat noir


Boris VIAN, "Blues pour un chat noir", Le Livre de Poche (1945-1950).


J’avais promis aux petits une escapade en train. Acheter un billet, peu importe la destination, pas trop loin quand même parce que les samedis ici sont souvent chargés. Attente sur le quai. Notre train annulé. Dans 34 minutes, on aura un omnibus. C’est bien, les omnibus, ils s’arrêtent partout, découpent la Belgique de mille arrêts au milieu de nulle part. Les enfants ne tiennent pas en place, courent sur le quai. Je crie un peu. Les trains, c’est dangereux ; les rails, on s’en approche pas. Coup d’œil vers le ciel. Le bleu très clair de la veille s’est dilué, on ne le devine plus qu’à travers un tapis de nuages. La pluie bientôt. Sûrement. Le temps en Belgique… Un avion passe en ronflant. Le chant de moineaux invisibles couvre le bruit de la circulation de la Grand Route. De l’autre côté du chemin de fer, des sapins escaladent une colline. Quelques voyageurs. Je dis aux enfants « Faites comme si on était là pour sourire, comme dans les galeries marchandes en Chine », et ils sourient. Moi aussi. Après, le temps ne passe plus alors ils réclament une histoire. Dans mon sac, j’ai toujours un recueil de nouvelles « en cas où » parce que les nouvelles, c’est comme des petits pansements quand ça ne va pas, ou des petits entractes quand ça va bien. « Blues pour un chat noir » dans mon sac… Je me dis « Pourquoi pas ? si je change un peu les mots ». Je lis alors l’histoire de ce chat tombé dans un égout et qui appelle à l’aide, les passants qui l’encouragent, lui qui se lamente, les soldats américains (j’évite de nommer la péripatéticienne ; j’en fais une boulangère), les dernières nouvelles de la guerre, l’indifférence et cette fin de soirée dans un bistrot passée à enivrer monsieur chat qui raconte ses malheurs de résistant-chat… On prend des photos, le train arrive. Aller-retour pour Namur. J’ai le temps de lire une ou deux autres nouvelles et de repenser à mes cours de français, quand j’étais ado et que madame Simon nous parlait de littérature engagée. Les années noires, la libération, le surréalisme bientôt et ce déferlement d’auteurs américains sur l’Europe, Hemingway, Faulkner, Chandler (traduit par Vian) et aussi le racisme omniprésent et combattu bien sûr par Vian. (Qui n’a jamais entendu « le Déserteur » ?)



Littérature engagée ainsi avec Boris Vian, des pages et des pages qui pourraient s’écrire en prenant pour base n’importe lequel de ses romans et pourtant, mon but, c’est de donner envie d’en lire un en particulier, de proposer un recueil de nouvelles pour commencer, pourquoi pas ? (j’aime beaucoup les nouvelles, qui ne sont pas si faciles à écrire que ce que l’on pourrait croire et même, elles demandent tant de cohésion, d’imagination, le tout sur quelques pages, qu’elles sont bien souvent la plus belle « vitrine » d’un auteur : on peut dans une nouvelle déceler tant de potentiel… et je sais que faire court quand on aime écrire, c’est souvent très difficile !) Donner envie de lire Vian donc et sans aborder « l’Écume des jours », ça ne va pas être facile ! et les lecteurs aguerris risquent de serrer les mâchoires parce que non, je ne compte pas parler en long et en large de sa formation initiale d’ingénieur, de son refus du conformisme, de ses affinités avec le groupe surréaliste (quoique, en lisant 5 pages, on le comprend aisément), de sa passion pour le Jazz et de son admiration sans bornes pour Duke Ellington, pas plus que je ne m’étalerai sur le procès qu’il a dû subir après « J’irai cracher sur vos tombes », des pseudonymes sous lesquels il écrivait, de sa décision d’arrêter d’écrire après « l’Arrache-cœur ». Tout ça, on l’apprend en découvrant cet auteur qui a surtout été apprécié après sa mort (ça arrive…)




« Blues pour un chat noir » donc puisque c’est de ce recueil de nouvelles en particulier qu’il est question ici. Cinq nouvelles toutes dotées d’une chute très inattendue, empreinte d’une atmosphère souvent étrange, une ambiance d’après-guerre aussi. Paris, New York, des prostituées, des musiciens, des groupes de Jazz, des filles bien roulées, des hommes désespérés, des morts et la possibilité parfois de revenir en arrière, mais qu’on ne saisit pas forcément parce que la vie selon Vian… Le racisme aussi, encore et toujours montré du doigt, dénoncé sans relâche (sa passion pour le jazz était étroitement liée à sa haine du racisme), la couleur jaune qui flotte entre les pages (le jaune, symbole de bien des qualités chez les personnages de Vian), un goût prononcé pour la provocation aussi (à découvrir pour mieux le savourer), des soldats américains profitant en France de la libération et de son insouciance, l’indifférence alors, même quand il y a des milliers de morts, l’absurdité et la solitude auxquelles le héros Vianesque doit faire face : il y a des hommes qui tombent de l’Empire Stade Building et la vie qui continue, qui défile en tout cas derrière les fenêtres, à tous les étages ; il y a des gens qui vendent leur sueur qui aidera peut-être à faire passer les arrière-gouts des denrées vendues pendant la guerre ; des oiseaux jaunes qui sortent des verres et puis qui s’envolent ; des femmes jaunes aussi rattrapant les hommes qui tombent et puis qui les repoussent parce qu’on est « chez Vian » quand même : on passe de la naïveté à la dure réalité, de l’innocence à la révolte. Chez Vian (l’homme qui avait « inventé » la machine à effacer les rêves !), une idée, un principe traverse toutes le pages, les noircit au sens propre et figuré : la vie est bien trop précieuse et fragile pour qu’on la gâche à coups de canons. La guerre et son effroyable réalité ne provoquent que la mort dont aucun dieu ne pourra nous sauver. Dieu, la guerre (et la connerie !) sont présents dans tous ces romans (je crois) comme des cibles manifestes.

Dieu n’a d’intérêt que pour les pasteurs et pour les gens qui ont peur de mourir, pas pour ceux qui ont peur de vivre. […] Dieu ne sert à rien quand c’est des hommes que l’on a peur. (p.90)



Le style enfin. Est-ce utile de rappeler combien Vian était un adepte de la « liberté potentielle du langage » tout en respectant un évident formalisme ? Queneau, au passage, l’a beaucoup aidé à s’introduire dans les sphères , mais Vian admirait aussi beaucoup Faulkner, Kafka, Lewis Carroll… Des jeux de mots, des mots-valises, des constructions surprenantes… mais en voilà assez ! Vian, il faut le lire pour le croire. « Blues pour un chat noir » et puis, bien sûr, « L’Écume des jours », un roman comme on n’en écrira peut-être plus.


Page 28 (elle est pas mal !)


On est au cœur de la nouvelle éponyme. Un attroupement s’est formé pour tenter de sauver ce pauvre chat coincé dans un égout.


L’homme en espadrilles joua des coudes pour s’ouvrir un passage. Il ramenait un long manche à balai.
- Ah ! dit Peter Gna, ça va peut-être aller.
Mais devant l’entrée de l’égout, le bâton se raidit et le coude formé par la voûte empêcha de l’y introduire.
- Il faudrait chercher la plaque de l’égout et la desceller, suggéra la sœur de Peter Gna.
Elle traduisit à l’Américain sa proposition.
- Oh ! Yeah ! dit-il.
Et il se mit immédiatement à la recherche de la plaque. Il passa sa main dans l’ouverture rectangulaire, tira, lâcha prise et s’assomma sur le mur de la maison laa plus proche.
- Soignez-le, commanda Peter Gna à deux femmes de la foule, qui relevèrent l’Américain et l’emmenèrent chez elles pour s’assurer du contenu des poches de sa vareuse. Elles trouvèrent notamment une savonnette Lux et une grosse barre de chocolat fourré O’Henry. En revanche, il leur passa une bonne blennorragie qu’il tenait d’une blonde ravissante rencontrée deux jours plus tôt à Pigalle.
L’homme au bâton se tapa la tête du plat de la main et dit « Euréchat ! »… et remonta chez lui.
- Il se fout de moi, dit le chat. Écoutez, vous, là-haut, si vous ne vous grouillez pas un peu, je m’en vais…