jeudi 18 juin 2009

Firmin


Sam SAVAGE, "Firmin", Actes Sud 2009 (pour la traduction française)


Il faudrait que je diminue ma consommation de café. Ça me speed à un point que j’en retournerais bien ma bibliothèque pour vous parler de tous les livres que j’ai lus. Mais du café, j’en ai besoin pour rester debout. Avec la vie que je mène… J’ai bien essayé il y a quelques années de me faire sponsoriser par Duracell mais ils ont refusé, prétextant que j’étais beaucoup moins célèbre que le lapin blanc. Donc, je bois du café. Surtout le mardi. Pourquoi le mardi pardi ? vous demandez-vous probablement, morts de curiosité et les mains déjà plaquées sur les joues. Facile à comprendre : le mardi, j’ai une journée de dingue (je vous passe les détails).


Ainsi, mardi dernier en fin d’après-midi, il me restait encore mille choses à faire et notamment des courses pour nourrir les six estomacs sur pattes que j’élève. J’étais dans la seule rue commerçante de mon village. Je traînais derrière moi ma progéniture (ah ! et devant aussi, Matthieu, tu attends, s’te plait !), bien décidée à ne pas zieuter vers la vitrine de mon petit libraire sympa, le ministre des finances de la famille – à savoir ma fille de 11 ans – ayant décrété que j’avais explosé le budget livre de ce mois ( ?).


Difficile pourtant de résister. Dans l’étalage, il y en a pour tous les goûts mais dans notre coin du monde, les lecteurs se font rares et je suis donc souvent la première à remarquer l’arrivée d’un nouveau livre. Celui-là, je n’étais pas censée le remarquer : ma fille me menaçait du bout des yeux qu’elle roulait vers le ciel, « Maman, on va acheter de la tarte ! » « Oui bon ça va, j’arrive… » J’avance. Regard en coin. Un nouveau livre, entouré d’une large bandelette jaune : « Si lire est ton plaisir, ce livre a été écrit pour toi. » Si c’est pas de la provocation ça… Je fais un autre pas, en arrière. Le titre, « Firmin ». La couverture : un affreux rat tout penaud assis sur une pile de livres. L’auteur : Sam Savage. « Connais pas… » On reprend la marche. Une hésitation : « Et si jamais ce livre… » Devant moi, les enfants qui s’impatientent. Derrière la vitrine le libraire. « Coucou ! », c’est ce qu’il dit avec sa main. Subitement, une certitude : il n’y a pas de hasard, il n’y a que des rencontres, heureuses ou malheureuses. Je viens de rencontrer un livre. Je veux le connaître !


Je l’ai lu, d’une traite (un peu plus de deux heures). Je vous raconte ?



Boston. Les années soixante. La cave d’une librairie comme on en voit rarement, pleine de trésors, de livres rares. Naissance d’une fratrie de rats (mais si !). Une mère alcoolique, obèse, ingrate. Douze frères et sœurs qui ne laissent pas la possibilité au petit Firmin de se rassasier. Le pauvre enfant est obligé de se nourrir de papier qu’il mâche à longueur de journée, à s’en décoller les mâchoires. Il avale des mots, des pages, des chapitres entiers. Tout est bon pour calmer sa faim : astronomie philosophie, géographie, la Bible, le Coran… Un jour, il se rend compte qu’il sait lire alors il consomme moins de pages, se contentant « de la frugalité des marges ». Les médecins sont unanimes : il s’agit d’un cas banal de biblioboulimie. Firmin, en grandissant, s’interroge beaucoup sur son mal et, à force de lire, il est capable de l’expliquer très simplement : D’après les recherches que j’ai effectuées par la suite, il ressort clairement que je ne devais de telles dispositions, organiquement parlant, qu’à une croissance stable de mes lobes temporal et frontal, accompagnée, j’imagine, d’une dilatation anormale du gyrus angulaire. (p.40)


Firmin évolue ainsi, dans les recoins de la librairie, lisant et relisant les plus grands classiques. Il y reste quand toute la famille s’en va, avec pour seule compagnie le vieux libraire duquel il doit se cacher mais qui devient, dans ses rêves, son meilleur ami. Seul au milieu de milliers de livres qu’il dévore, il devient personnage de Joyce, Faulkner et bien d’autres. Fervent admirateur de Fred Aster, il rêve, chaque jour un peu plus, d’une vie héroïque, persuadé que l’on est « immensément riche quand on est libre « et que « chaque jour qui passe nous rend un peu plus faibles, un peu plus fous » Sa folie, c’est sa condition de rat qui ne peut communiquer, rire, pleurer, battre des mains, son aspect répugnant aussi alors que son cœur est celui d’un personnage digne de Flaubert. « Je n’avais jamais eu de courage d’un point de vue physique, ou d’une toute autre manière d’ailleurs, et j’ai toujours eu du mal à affronter la pure bêtise d’une vie ordinaire qui ne serait pas devenue une histoire, d’où ce besoin précoce de me rassurer avec l’idée ridicule que j’avais vraiment une Destinée. »
(p.54)



« Firmin » donc, au-delà de « l’autobiographie d’un grignoteur de livres », c’est aussi le récit d’une quête de reconnaissance, de liberté, de communication et de partage. Derrière les aventures de ce rat surdoué, on devine sans peine une belle métaphore : « Firmin », c’est une vie qui passe, peuplée de rêves et d’illusions. Et, quand on referme le livre, on sait qu’on se souviendra de cette phrase : « Si vous êtes seul, je crois que ça aide d’être un peu fou ».


Page 28 ? Non, on change d’air aujourd’hui. D’abord parce que mon libraire avait emballé le livre dans du cellophane et il a pesté quand j’ai demandé à voir la page 28. Je l’ai donc acheté sans la lire. Ensuite, mon scanner est en panne et je n’ai pas le courage de retranscrire toute une page. Enfin, j’ai trouvé sur Internet un extrait et en bonus, je vous mets la « BO » que vous pourrez visionner quand vous aurez tout lu.Un mot de l'auteur, j'allais oublier: américain et la soixantaine bien sonnée; c'est son premier roman!



Dans les premiers temps, mon appétit était primitif, orgiaque, imprécis, goinfre – une bouchée de Faulkner ou une bouchée de Flaubert, je ne faisais pas la différence -, mais il ne m'a pas fallu longtemps pour discerner quelques nuances. J'ai tout d'abord remarqué que chaque livre avait un goût propre – sucré, aigre, amer, aigre-doux, rance, salé, acide. J'ai également constaté que chacune de ces saveurs – puis, au fur et à mesure que mes sens s'aiguisaient, que la saveur de chaque page, chaque phrase et finalement chaque mot – s'accompagnait d'une série d'images et de représentations dont je ne savais pourtant rien vu mon expérience très limitée de la prétendue réalité : gratte-ciels, ports, chevaux, cannibales, arbre en fleur, li défait, femme noyée, garçon volant, tête tranchée, ouvriers levant les yeux au hurlement d'un idiot, sifflet d'un train, rivière, radeau, rayons obliques du soleil dans une forêt de bouleaux, main caressant une cuisse nue, casemate dans la jungle, ou moine agonisant. Au début, je me contentais de manger, de mâcher joyeusement, guidé par les diktats du goût. Mais, bientôt, j'ai commencé à lire ici et là, aux alentours de mes repas. Et au fil des jours je me suis mis à lire de plus en plus et à mastiquer de moins en moins, jusqu'à ce que je passe finalement la plupart de mes heures de veille à lire, ne rognant plus que dans les marges. Et comme j'ai regretté les trous terribles que j'avais laissés dans ces œuvres ! Pour les livres qui n'existaient qu'en un seul exemplaire, j'ai dû parfois attendre des années avant de pouvoir combler ces lacunes. Je n'en suis pas fier.
Extrait de Sam Savage, « Firmin », pp.31-32.

PS: Il y a deux lectures possibles pour ce roman: on peut le lire comme un conte, un vrai, ou le savourer pour toutes les allusions, les clins d'œil à la grande littérature, ou mieux, les deux en même temps.




4 commentaires:

  1. Bon, il y a la taille des polices qui déconnent encore! Je vais chercher le dépanneur...

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  2. Bon, plus je tente de rétrécir ou d'unifier la police du texte, plus c'est carnaval, et plus j'essaye, plus mon mari râle parce que, ma foi, monsieur n'a que faire de la littérature: il veut aller acheter une voiture. Maintenant! (y a qu'à demander, je sors la CB... Non mais...)
    (fin de la tranche de vie)

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  3. C'était effectivement assez singulier, ces polices ;-)

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