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vendredi 26 juin 2009

Tempêtes et cadavres

Tempêtes et cadavres, Éditions Volpilière, 2009.

Je dis toujours, à mes enfants, mes élèves, les gens que je rencontre chez mon petit libraire sympa : lire, c’est voyager et, quand on voyage, on est amenés à sillonner bien des routes. Il y a celles que l’on connait, tous ces paysages gravés dans un coin de notre tête et qui nous rassurent et puis les autres, découvertes en fonction des aléas du périple. Je sais de quoi je parle : je me perds partout. Que ce soit à pied, en voiture ou même en bus, je n’arrive jamais à destination dans les temps voulus. J’arrive après mille petits détours et aucun GPS n’est venu à bout de mon manque « d’intelligence spatiale » (c’est comme ça que cela s’appelle : il paraît qu’une partie de mon cerveau est déficiente…)

Avec les livres, c’est pareil : je fais confiance à certains auteurs ou certaines maisons d’édition. Je sais qu’à l’arrivée, mon album à souvenirs sera enrichi de personnages, de passages, d’émotions… bref, de tout ce qu’un bon roman peut nous apporter. À force de « prospecter » dans les librairies ou sur Internet, forcément, on en arrive à faire des découvertes… C’est bon, là ? Vous avez compris ? J’ai découvert un livre, un recueil qui m’a décapsulé le vocabulaire, décoiffé la syntaxe et relooké ma conception des nouvelles. Vous savez bien (je l’ai déjà écrit ici), je lis toujours les recueils de nouvelles par petites doses, je m’en sers comme petits pansements, ou comme petits interludes. Celui-ci pourtant, je l’ai lu d’une traite ou presque parce que… enfin, vous savez bien, n’est-ce pas, pourquoi on lit un livre d’une traite.
Je l’avais reçu le matin, puis emporté sur mon lieu de travail où une collègue me l’a emprunté. Elle l’a lu d’un bloc elle aussi. Son enthousiasme m’a titillé les mains. Que j’ai dégainées : hop ! voiture, maison, transat, lecture.

Alors, comment vous convaincre que ce recueil écrit par sept auteurs vaut la peine d’être lu ? Comment vous dire que ça fait un bien fou de sortir des sentiers battus ? Que ça vaut le coup de faire une « lecture expérimentale positive » ? Pas facile avec des nouvelles : impossible de les résumer, d’aborder tous les personnages, les cadres et patati patata tout ce qu’on déballe toujours à propos de ses lectures. Une seule solution : un plongeon, en pleine tempête. Fermez les yeux, vous allez voir ! Heu… Non, ouvrez-les, ce sera plus facile pour lire mais faites comme s’ils étaient fermés, ok ?

Un cambriolage qui tourne au carnage.
La sueur qui perle sur le front.
Une petite amie maniaque de la propreté.
Des corps abandonnés dans des fossés.
Des demandes en mariage.
Des bébés qui naissent.
Le miracle de la vie.
Encore des morts.
Une île paradisiaque.
Une autre.
Des cadavres alignés.
Des avis de tempête.
Des photos.
Une vie qui bascule.
Une maison de retraite.
Des scénarios sans bavure.
Des nœuds coulants.
Avis de tempête.
Des sourires.
Des lettres au fond des poches.
Des cadavres.
Encore.
Crise économique.
Licenciements.
Une rumeur.
Le désespoir.
Et toutes les blessures qui remontent à l’enfance.
Des fenêtres que l’on traverse.
Le vide.
Tempêtes.
Cauchemars.
Profit. Rentabilité. Votes à mains levées.
Cauchemars cauchemars.
Tempêtes.
Des maisons à protéger.
Et des vies.
Flash info.
Apocalypse peut-être…
Une maison où l’on s’engouffre, pour se protéger.
De la tempête et aussi de…
Des maléfices.
Le silence des salles enfumées.
Des corps qui disparaissent.
Des arbres déracinés.
Du linge qui claque sur les cordes.
Un téléphone qui sonne qui sonne qui sonne…
Une chambre…


Un dernier mot avant la page 28 : les styles des auteurs, tellement différents, valent le détour puisqu’on aime voyager. C’est du bon et moi, j’ai envie de dire « merci les éditions Volpilière » et G@rp, Catherine H., Alain Galindo, Maya Byss, Nicolas Gramain, Vincent Cuomo, François Baure !

Les titres des nouvelles :

Où il est question du bon côté des choses
Autant en emporte la tempête
J’y étais, dans la tempête !
Brain storming.
Marilyn et le soukougnan
Niveau III pour licence IV
Fait d’hiver

Et la Page 28 :

Hervé sentit un frisson lui parcourir l’échine. Il avait beau avoir déjà vu des scènes de crime durant ses dix ans de carrière, il n’arrivait pas à rester détaché. En un sens, il s’en félicitait. Pour lui, c’était la preuve que, malgré les ignominies les plus infâmes qu’il côtoyait chaque jour, il restait humain. Pour l’instant.
— L’agresseur ou les agresseurs ont-ils pris quelque chose ? lança-t-il.
Elodie Hénin se tourna vers lui. Lieutenante de police stagiaire gâtée pour une de ses premières missions. Accessoirement, une histoire d’un soir qu’Hervé préférait oublier. Il n’avait pas été glorieux cette nuit-là. Pour tout dire, il avait même été un peu rapide en action. Elodie avait tenté de le rassurer, de lui expliquer que cela pouvait arriver. Mais il ne pouvait s’empêcher de se sentir gêné aux entournures. Virilité bafouée ou un truc de ce genre.
— Non, à première vue, ils n’ont rien pris, dit-elle. Rien n’a été fracturé ni ouvert. Nous continuons à chercher mais je pense que ce n’est pas un cambriolage classique ayant mal tourné.
— Alors, récapitulons. On a… qui ?
— Alfred Mangin et sa femme, Caroline. Trente-six ans de mariage quand même. Lui est à la retraite depuis un an. Ancien ébéniste. Elle aussi est retraitée. Elle a travaillé comme secrétaire. Aucun problème à signaler. Un couple sans histoire, d’après les voisins.
— Oh, il en suffit d’une pour qu’une vie bascule, murmura Hervé. Qui d’autre ? Leur fils ?
— Oui, Pierre. 17 ans. Un lycéen banal. Studieux, calme, amoureux aussi.
— Appelle l’équipe scientifique et… merci pour ces éléments, Elodie, conclut-il doucement.
Elle tourna les talons, un grand sourire aux lèvres. Tout n’était peut-être pas définitif entre eux. Il lui faudrait peut-être faire face à ses défaillances.
Pensif, Hervé jeta un coup d’œil au salon où se trouvaient les cadavres. Dans tout ce fatras, un détail lui sauta à la figure.
(Extrait de Autant en emporte la tempête, dans Tempêtes et cadavres)


Important aussi: le service des éditions Volpilière m'a sidérée. On commande, si on a un souci avec le site ou les démarches (pourtant simples), on peut envoyer un petit mail auquel on nous répond tout de suite. Quatre jours après, on reçoit le livre (10 euros) avec un petit mot d'un des auteurs qui nous souhaite une bonne lecture. On peut aussi commander en librairie.

mercredi 17 juin 2009

Kaléidoscope

g@rp, « Kaléidoscope », InLibroVeritas, 2006.


Dans ma vie, il y a deux personnes qui m’impressionnent beaucoup. Il y a mon grand frère et mon amie Vinciane. Mon frère, c’est Buzz l’éclair. Je lui téléphone, je dis : « Raymond, c’est pas toi qui as mon taille-haie par hasard ? J’en aurais besoin un de ces jours. » À peine ai-je raccroché qu’on sonne à la porte. J’ouvre. C’est Raymond ! Je trouve ça assez flippant mais je ne me pose plus trop de questions depuis longtemps. Il va avoir 40 ans, on ne le changera plus et puis, on naît tous avec un petit don ou l’autre : Raymond, il a hérité de celui de vélocité. Ma vieille amie Vinciane (47 ans déclarés sur son CV), c’est autre chose. À croire qu’elle a beaucoup plus de pieds sous ses jupes que vous et moi parce qu’elle a un mal fou à les traîner. Vinciane n’est jamais à l’heure, Vinciane a besoin de plusieurs mois pour vous souhaiter bonne année, elle met 4 heures pour vous raconter qu’elle est tombée en descendant du bus et qu’on a vu sa petite culotte (je n’invente rien), 5 ans à se remettre d’une rupture après une histoire qui a duré 4 jours, 6 semaines à se rétablir d’un petit rhume pas bien méchant et j’en passe. Le comble avec elle, c’est sa vitesse de lecture : un an pour lire Anna Gavalda, deux pour Philippe Claudel. Elle achète rarement des livres, c’est moi qui la fournis. Bref. Il y a plusieurs mois, je lui ai prêté « Kaléidoscope » et, bien sûr, j’attends toujours qu’elle me le rende. J’avais très envie de vous donner envie à vous aussi de le lire et, sans le livre sous les yeux, ce n’est pas évident. J’ai bien la version informatisée en lien sur mon ordi mais moi, au-delà de 5 pages, sur écran… Je suis un peu myope et, j’avoue, sur mon PC, il y a Facebook qui me distrait beaucoup alors que dans mon canapé… Donc, relax, je vais essayer de vous présenter ce recueil de nouvelles sans l’avoir relu (ce qui peut-être intéressant : que garde-t-on d’un livre ? Ce sont les livres dont on se souvient qui nous façonnent en tant que lecteurs…)

Je me souviens d’un coup de foudre par écrans interposés, je me souviens aussi d’un chien qui se prend d’affection pour un vagabond, d’une maison close, d’un séminaire de management, d’un gardien de parking tué, d’un homme stressé levé trop tôt, de temps à tuer, d’un bistrot, d’un homme dans le bistrot avec un livre, d’une femme en admiration devant les hommes qui lisent (« C’est beau un homme qui lit. ») Et ma préférée, « Des coups et des couleurs », ce jeune adolescent qui dessine dans son coin alors que ses condisciples…
Quoi d’autres ? Des personnages attachants, des situations de la vie courante et pourtant… et toujours cette impression qui ne me lâchait pas : les nouvelles de g@rp ressemblent un peu à la vie, la vraie, sauf qu’il y a un soupçon de Vian entre les pages – parfois - à cause des jeux de mots, des petites désillusions sur lesquelles les personnages trébuchent par moment et puis il y a l’humour, incontestable (et pas indigeste pour un sou !)

Je me souviens surtout d’une grande qualité dans la construction de ses nouvelles. Des nouvelles, vous voyez de quoi on cause, là ? De ces petites histoires qui doivent surprendre, emballer, rythmer la lecture sans laisser le temps de respirer. Oui, de ça je m’en rappelle parce que doux Jésus ! des recueils de nouvelles « absolument génialissimes » qu’on m’avait conseillés et qui, in fine, s’avéraient aussi peu passionnants que le catalogue 3 Suisses automne-hiver 1978-1979, j’en ai lu (non : acheté, emprunté, perdu, jeté !)
Dernière chose avant la page 28 : la qualité du texte, j’insiste (et je ne suis pas du genre à dire que Marc Musso écrit bien). G@rp, il a un talent manifeste pour rechercher la petite tournure qui nous fait sourciller d’étonnement. Un champion des mots.

Quelques titres de nouvelles en vrac :
Le ridicule ne tue pas.
Tu et moi dans l’axe de mon cœur.
Camping gaz.
Tamagotchi.
Signé Vénus.
06h50 Corniche Kennedy (un régal, d’ailleurs primé lors d’un concours)


Page 28 :
Le décor : une maison close ; l’ambiance : la jalousie des employées à l’égard de l’une d’entre elles et derrière, toujours, le profit, la rentabilité… (Je n’en dis pas trop sur les nouvelles, d’abord parce que j’ai lu ça il y a de longs mois et parce que, comme je dis souvent, les nouvelles doivent être découvertes intégralement pour ne pas gâcher les bienfaits de leurs vertus)


- Ça ne peut pas continuer de la sorte, Madame, fit-elle en insistant sur chaque mot.
- Que veux-tu dire par là, ma fille ? Qu’est-ce qui ne peut pas continuer ?
Tout en remuant son thé, auriculaire aristocratique dressé, Madame parcourut les visages fermés de ses pensionnaires : à n’en pas douter, le problème était réel et allait exiger une solution. Accepter le dialogue ne suffirait probablement pas. Aussi reposa-t-elle lentement sa cuillère sur le bord de sa sous-tasse, se composant une attitude paisible, et attendit la suite, manifestement à l’écoute, leur offrant même le luxe de son sourire attendri numéro 32 - d’ordinaire réservé aux clients sinon mécontents du moins déçus.
Tosany chercha l’assentiment de ses consœurs avant de lancer précipitamment :
- Il n’y en a que pour elle.
Le visage de Madame se figea, trop brièvement cependant pour que sa surprise fut perceptible. De peur de voir son courage l’abandonner, Tosany ne s’était même pas interrompue.
- Les clients ne jurent que par elle. Lors de notre dernière assemblée générale (Madame leva un sourcil interrogatif. On en apprend tous les jours, se dit-elle) nous sommes parvenues à établir que la baisse de notre taux de fréquentation atteint les 30 à 40%. Chacune !

(extrait de g@rp Kaléidoscope)

samedi 13 juin 2009

Blues pour un chat noir


Boris VIAN, "Blues pour un chat noir", Le Livre de Poche (1945-1950).


J’avais promis aux petits une escapade en train. Acheter un billet, peu importe la destination, pas trop loin quand même parce que les samedis ici sont souvent chargés. Attente sur le quai. Notre train annulé. Dans 34 minutes, on aura un omnibus. C’est bien, les omnibus, ils s’arrêtent partout, découpent la Belgique de mille arrêts au milieu de nulle part. Les enfants ne tiennent pas en place, courent sur le quai. Je crie un peu. Les trains, c’est dangereux ; les rails, on s’en approche pas. Coup d’œil vers le ciel. Le bleu très clair de la veille s’est dilué, on ne le devine plus qu’à travers un tapis de nuages. La pluie bientôt. Sûrement. Le temps en Belgique… Un avion passe en ronflant. Le chant de moineaux invisibles couvre le bruit de la circulation de la Grand Route. De l’autre côté du chemin de fer, des sapins escaladent une colline. Quelques voyageurs. Je dis aux enfants « Faites comme si on était là pour sourire, comme dans les galeries marchandes en Chine », et ils sourient. Moi aussi. Après, le temps ne passe plus alors ils réclament une histoire. Dans mon sac, j’ai toujours un recueil de nouvelles « en cas où » parce que les nouvelles, c’est comme des petits pansements quand ça ne va pas, ou des petits entractes quand ça va bien. « Blues pour un chat noir » dans mon sac… Je me dis « Pourquoi pas ? si je change un peu les mots ». Je lis alors l’histoire de ce chat tombé dans un égout et qui appelle à l’aide, les passants qui l’encouragent, lui qui se lamente, les soldats américains (j’évite de nommer la péripatéticienne ; j’en fais une boulangère), les dernières nouvelles de la guerre, l’indifférence et cette fin de soirée dans un bistrot passée à enivrer monsieur chat qui raconte ses malheurs de résistant-chat… On prend des photos, le train arrive. Aller-retour pour Namur. J’ai le temps de lire une ou deux autres nouvelles et de repenser à mes cours de français, quand j’étais ado et que madame Simon nous parlait de littérature engagée. Les années noires, la libération, le surréalisme bientôt et ce déferlement d’auteurs américains sur l’Europe, Hemingway, Faulkner, Chandler (traduit par Vian) et aussi le racisme omniprésent et combattu bien sûr par Vian. (Qui n’a jamais entendu « le Déserteur » ?)



Littérature engagée ainsi avec Boris Vian, des pages et des pages qui pourraient s’écrire en prenant pour base n’importe lequel de ses romans et pourtant, mon but, c’est de donner envie d’en lire un en particulier, de proposer un recueil de nouvelles pour commencer, pourquoi pas ? (j’aime beaucoup les nouvelles, qui ne sont pas si faciles à écrire que ce que l’on pourrait croire et même, elles demandent tant de cohésion, d’imagination, le tout sur quelques pages, qu’elles sont bien souvent la plus belle « vitrine » d’un auteur : on peut dans une nouvelle déceler tant de potentiel… et je sais que faire court quand on aime écrire, c’est souvent très difficile !) Donner envie de lire Vian donc et sans aborder « l’Écume des jours », ça ne va pas être facile ! et les lecteurs aguerris risquent de serrer les mâchoires parce que non, je ne compte pas parler en long et en large de sa formation initiale d’ingénieur, de son refus du conformisme, de ses affinités avec le groupe surréaliste (quoique, en lisant 5 pages, on le comprend aisément), de sa passion pour le Jazz et de son admiration sans bornes pour Duke Ellington, pas plus que je ne m’étalerai sur le procès qu’il a dû subir après « J’irai cracher sur vos tombes », des pseudonymes sous lesquels il écrivait, de sa décision d’arrêter d’écrire après « l’Arrache-cœur ». Tout ça, on l’apprend en découvrant cet auteur qui a surtout été apprécié après sa mort (ça arrive…)




« Blues pour un chat noir » donc puisque c’est de ce recueil de nouvelles en particulier qu’il est question ici. Cinq nouvelles toutes dotées d’une chute très inattendue, empreinte d’une atmosphère souvent étrange, une ambiance d’après-guerre aussi. Paris, New York, des prostituées, des musiciens, des groupes de Jazz, des filles bien roulées, des hommes désespérés, des morts et la possibilité parfois de revenir en arrière, mais qu’on ne saisit pas forcément parce que la vie selon Vian… Le racisme aussi, encore et toujours montré du doigt, dénoncé sans relâche (sa passion pour le jazz était étroitement liée à sa haine du racisme), la couleur jaune qui flotte entre les pages (le jaune, symbole de bien des qualités chez les personnages de Vian), un goût prononcé pour la provocation aussi (à découvrir pour mieux le savourer), des soldats américains profitant en France de la libération et de son insouciance, l’indifférence alors, même quand il y a des milliers de morts, l’absurdité et la solitude auxquelles le héros Vianesque doit faire face : il y a des hommes qui tombent de l’Empire Stade Building et la vie qui continue, qui défile en tout cas derrière les fenêtres, à tous les étages ; il y a des gens qui vendent leur sueur qui aidera peut-être à faire passer les arrière-gouts des denrées vendues pendant la guerre ; des oiseaux jaunes qui sortent des verres et puis qui s’envolent ; des femmes jaunes aussi rattrapant les hommes qui tombent et puis qui les repoussent parce qu’on est « chez Vian » quand même : on passe de la naïveté à la dure réalité, de l’innocence à la révolte. Chez Vian (l’homme qui avait « inventé » la machine à effacer les rêves !), une idée, un principe traverse toutes le pages, les noircit au sens propre et figuré : la vie est bien trop précieuse et fragile pour qu’on la gâche à coups de canons. La guerre et son effroyable réalité ne provoquent que la mort dont aucun dieu ne pourra nous sauver. Dieu, la guerre (et la connerie !) sont présents dans tous ces romans (je crois) comme des cibles manifestes.

Dieu n’a d’intérêt que pour les pasteurs et pour les gens qui ont peur de mourir, pas pour ceux qui ont peur de vivre. […] Dieu ne sert à rien quand c’est des hommes que l’on a peur. (p.90)



Le style enfin. Est-ce utile de rappeler combien Vian était un adepte de la « liberté potentielle du langage » tout en respectant un évident formalisme ? Queneau, au passage, l’a beaucoup aidé à s’introduire dans les sphères , mais Vian admirait aussi beaucoup Faulkner, Kafka, Lewis Carroll… Des jeux de mots, des mots-valises, des constructions surprenantes… mais en voilà assez ! Vian, il faut le lire pour le croire. « Blues pour un chat noir » et puis, bien sûr, « L’Écume des jours », un roman comme on n’en écrira peut-être plus.


Page 28 (elle est pas mal !)


On est au cœur de la nouvelle éponyme. Un attroupement s’est formé pour tenter de sauver ce pauvre chat coincé dans un égout.


L’homme en espadrilles joua des coudes pour s’ouvrir un passage. Il ramenait un long manche à balai.
- Ah ! dit Peter Gna, ça va peut-être aller.
Mais devant l’entrée de l’égout, le bâton se raidit et le coude formé par la voûte empêcha de l’y introduire.
- Il faudrait chercher la plaque de l’égout et la desceller, suggéra la sœur de Peter Gna.
Elle traduisit à l’Américain sa proposition.
- Oh ! Yeah ! dit-il.
Et il se mit immédiatement à la recherche de la plaque. Il passa sa main dans l’ouverture rectangulaire, tira, lâcha prise et s’assomma sur le mur de la maison laa plus proche.
- Soignez-le, commanda Peter Gna à deux femmes de la foule, qui relevèrent l’Américain et l’emmenèrent chez elles pour s’assurer du contenu des poches de sa vareuse. Elles trouvèrent notamment une savonnette Lux et une grosse barre de chocolat fourré O’Henry. En revanche, il leur passa une bonne blennorragie qu’il tenait d’une blonde ravissante rencontrée deux jours plus tôt à Pigalle.
L’homme au bâton se tapa la tête du plat de la main et dit « Euréchat ! »… et remonta chez lui.
- Il se fout de moi, dit le chat. Écoutez, vous, là-haut, si vous ne vous grouillez pas un peu, je m’en vais…

dimanche 7 juin 2009

Vu de la Lune




"Vu de la Lune", collectif, Gallimard, 2005




Pas eu le temps de lire beaucoup aujourd’hui. Je suis sur le dernier Engel mais j’ai des difficultés à me concentrer. Je dois faire trop de choses à la fois… Pourtant, des livres que j’ai aimés, j’en ai des camions dans ma bibliothèque. Je me suis dit que je pourrais vous parler de l’un d’eux, n’importe lequel, pris au hasard, mais ils sont si mal rangés… Parfois, je me dis « Dans dix ans, au train où les étagères s’ajoutent, il va falloir déménager, acheter Versailles ou expulser nos voisins… »

C’est ma fille, l’avant-dernière, qui m’a demandé tout à l’heure… Elle était dans son bain et elle aime bien que je vienne lui lire une ou deux pages pendant qu’elle fait trempette. Je trouve ça chouette : elle a 8 ans et elle aime les histoires, les mots, même et surtout sans images (parfois ça m’inquiète parce que je l’avais surprise un jour en train de lire une page de B Easton Ellis, « Luna Park »…) mais bref, je m’égare (souvent). Ce soir, elle a voulu que je lui relise l’histoire du petit garçon qui n’aimait pas le football. J’ai dit « Non, je te l’ai déjà lue dix fois ! » mais je suis quand même allée chercher le livre et je lui ai raconté l’histoire de ce grand garçon qui lave les cheveux de son papa. J’ai dû changer un mot ou deux parce qu’elle est petite mais elle a écouté en faisant des grands yeux.

« Vu de la Lune », c’est un « recueil de nouvelles optimistes ». C’est ce qui est écrit sur la quatrième de couverture. Un hymne à la vie, 21 écrivains qui laissent croire que la vie vaut la peine d’être vécue… Les recueils de nouvelles, je ne les lis jamais d’une traite. J’en lis une au hasard dans les embouteillages, dans mon café le matin, dans ma cuisine, dans les salles d’attente, dans les ascenseurs en panne (ça m’est arrivé)… Celui-ci, je me souviens, je l’avais acheté à Redu. Vous connaissez Redu ? Un petit village au fond de la Belgique où les rues sont remplies de bouquinistes. C’est Le village du livre. J’aime bien, quand on arrive, ça sent le fumier et à l’entrée, il y a un petit bistrot où on mange des gaufres nappées de la meilleure Chantilly du monde. Dans les librairies, les livres sont très mal rangés. Une vraie pagaille ! mais c’est ce qui fait le charme de Redu : on n'en revient jamais avec les livres qu’on voulait rapporter. Si vous ne connaissez pas Redu, tapez « Redu » sur Google et vous saurez…

« Vu de la Lune », je l’avais trouvé tombé de son rayonnage. J’avais lu « Philippe Claudel (j’adore Claudel !), Cyril Montana, Vincent Ravalec, François Vallejo, Thomas Gunzig… et j’en passe. Hop, je l’avais acheté (on fait toujours de bonnes affaires à Redu !) Sur le chemin du retour, j’avais lu une ou deux histoires aux enfants. Celle de l’auto-stoppeuse, du petit garçon qui n’aimait pas le football (je crois que je la connais par cœur). En rentrant, j’avais lu celle de Vallejo, ma préférée, « Je reste ». Aujourd’hui, je me rends compte qu’il y en a encore une ou deux que je n’ai pas lues. Je le ferai demain. Ça va vite, les nouvelles et puis celles-ci, même (surtout ?) si les styles sont tous très différents, elles ont un point commun : elles sont sans prétention. Optimistes et sans prétention.


Ce recueil, il a été « commandé » par l’actrice, Sylvie Loeillet (Caméra café). Il faut le savoir, c’est pas courant. Elle raconte dans son prologue qu’elle a été très malade, que les livres, les mots l’ont guérie. Ça sert à ça, je crois, les bons recueils de nouvelles, mettre des petits pansements sur nos petits tracas. Le pouvoir des mots parfois… Des nouvelles, il y en a 21 et je ne peux pas faire allusion à chacune d’entre elles. Choisir aussi, c’est difficile et subjectif alors, dans ces cas-là, qu’est-ce qu’on fait ? Page 28 bien sûr !

« L’armoire », une nouvelle de Cyril Montana. L’histoire d’un gars qui va chez Ikea. « La fortune favorise les audacieux, et elle les fait même parfois tomber amoureux, un petit peu, peut-être… »

Mais plus rien ne pouvait m’arrêter, j’étais parti, lancé dans les airs à Mach 2. J’ai fait tout un détour par différentes allées pour qu’elle ne se doute de rien quand je suis passé à une dizaine de mètres d’elle. Elle était peut-être un peu jeune pour mes trente-quatre balais. Au pif, elle avait la vingtaine, et ce n’était pas un problème pour moi, pas grave, ma grand-mère avait bien vingt ans de moins que mon grand-père quand elle l’a rencontré, alors je pouvais tenter de continuer la tradition familiale… Ce petit pull blanc la rendait immaculée et fragile en même temps. Elle donnait envie de la prendre dans ses bras, jolie, fine, mignonne. J’étais hypnotisé. Je suis retourné voir Charles, histoire de ne pas passer pour un casse-couilles de service, un vieux crevard qui cherche à se mettre des petites jeunettes sous la dent. J’ai donc rejoint le beau-père qui avait un peu avancé. Je ne lâchais pas la petite des yeux. Quand elle est passée devant nous, j’ai encore eu l’impression qu’elle m’avait regardé. Elle était avec sa mère. La cinquantaine, brune, bourgeoise et belle. Il y en a qui disent que plus tard, en vieillissant, les filles ressemblent à leurs mères […] À un moment, elle m’a manqué, et bien que ça ait fait gueuler mon beau-père, je suis monté sur les paquets…

J’ai cherché sur Internet : il n’y a pas beaucoup de liens qui mènent à ce recueil. J’en ai trouvé un, en anglais. Allez, on lit : ça ne vous fera pas de tort !

Philippe Claudel, Cyril Montana, Thomas Gunzig, Serge Joncour, Emmanuel Pierrat, Alain Mabanckou, Vincent Ravalec, Christophe Dufossé, Marie Nimier, and others of the new French-lit brat-pack come together in this anthology of optimism.
The project is the brainchild of renowned actress Sylvie Loeillet. Diagnosed with a brain tumor, she immediately knew that dying was out of the question, living and remaining optimistic her only option. And it was on her sick-bed, books piled high on the bedside table, that she realized she was completely unable to do the one thing she loved most: read. From the depths of her illness, she felt in need of a special kind of writing, one that, without sacrificing any literary value, could help readers regain optimism, and with it hope. From this was born View From the Moon.