dimanche 14 juin 2009

Comme un roman


Daniel PENNAC, "Comme un roman", Gallimard, 2002, Folio Poche.



J’ai une amie qui arrive toujours chez moi avec un livre bien sympa qu’elle me présente en tournant et retournant les pages afin de retrouver Le passage qui l’a émerveillée. Chaque fois, elle le pose aussi à plat que possible, retient sa respiration puis me lit quelques phrases, parfois des pages entières, dans la cuisine, pendant que je hache menus des légumes. Quand elle a fini, elle évoque en faisant des grands yeux les personnages qui lui ont plu, leurs côtés amusants ou plus sombres et tous ces endroits où elle n’est jamais allée. Systématiquement, elle se souvient ensuite d’un autre passage, rejette une mèche de ses longs cheveux blonds et c’est reparti. Certains jours, ma soupe a le temps de se préparer, presque toute seule : avec MC qui lit, je ne vois pas le temps passer…


Avant de s’en aller, elle me laisse le livre si elle l’a fini ou elle promet de me le prêter dans le cas contraire mais quoi qu’il en soit, elle a gagné son « pari », me donner envie de lire le roman en question, le tout sans grand discours, sans analyse soporifique, sans réussir l’incroyable prouesse de « pondre » 50 pages à partir d’un extrait de 10 pages. MC, elle aime partager un point c’est tout. La psychologie des personnages, les données historiques, sociales, économiques, les champs lexicaux, les thématiques, elle n’en a que faire. Pas qu’elle ne les décèle pas, non, loin de là mais pour elle, un roman, c’est avant tout des images qui se dessinent dans notre tête et quand ses petites esquisses lui plaisent, elle a envie de me les montrer. Le reste, elle dit que c’est l’affaire des professionnels, des critiques et autres historiens de la littérature. De plus, comme par magie, ses enfants sont de bons lecteurs alors que moi, je désespère souvent de voir ma marmaille sagement assise, un livre dans les mains. Un de mes fils a eu une période où il dévorait 3 romans par semaine, une de mes filles (8 ans) a l’air de cultiver un petit culte à l’objet livre mais rien dans tout ça de vraiment extraordinaire. Je me suis longtemps demandé pourquoi : comment, alors que j’ai passé tant d’heures à leur lire des histoires, à en inventer, à mimer D’Artagnan, Kamo et j’en passe, comment en sont-ils arrivés là, rivés à leurs consoles ou préférant crapahuter dans le jardin dans le but cynique de me rapporter des araignées (vivantes !) ?


La réponse, je l’ai trouvée dans « Comme un roman » de Daniel Pennac. Sacré Pennac ! Toujours à nous surprendre là où on l’attend le moins. Un essai sur la lecture… franchement… déjà que les essais et moi, depuis que j’ai été traumatisées avec ceux d’Elisabeth Badinter… J’avoue : il faut vraiment que le style soit simple, la construction efficace et la lecture en elle-même pas rébarbative s’il vous plait ! j’aime l’action. Mission réussie par Pennac parce que, franchement, ça se lit tout seul et puis surtout maintenant je sais pourquoi mes enfants lisent moins que ce que j’avais espéré et je peux mettre des mots sur tous les crimes que j’ai commis en tant que professeur de français (chaque page marquée au Bic rouge égalant à un crime : j’en prends pour perpét là !)



Un extrait ? Ah ! la page 28 impossible, elle est trop courte (5 lignes) donc, que fait-on quand on ne peut pas lire de page 28 digne de ce nom ? La page 1 bien sûr !

Le verbe lire ne supporte pas l'impératif. Aversion qu'il partage avec quelques autres : le verbe « aimer »… le verbe « rêver »…
On peut toujours essayer, bien sûr. Allez-y : « Aime-moi ! » « Rêve ! » « Lis ! » « Lis ! Mais lis donc, bon sang, je t'ordonne de lire ! » -Monte dans ta chambre et lis !
Résultat?
Néant.
Il s'est endormi sur son livre. La fenêtre, tout à coup, lui a paru immensément ouverte sur quelque chose d'enviable. C'est par là qu'il s'est envolé. Pour échapper au livre. Mais c'est un sommeil vigilent : le livre reste ouvert devant lui. Pour peu que nous ouvrions la porte de sa chambre nous le trouverons assis à son bureau, sagement occupé à lire. Même si nous sommes monté à pas de loup, de la surface de son sommeil il nous aura entendu venir.
- Alors, ça te plaît?
Il ne nous répondra pas non, ce serait un crime de lèse-majesté. Le livre est sacré, comment peut-on ne pas aimer lire ? Non, il nous dira que les descriptions sont trop longues. (extrait de Daniel Pennac, "Comme un roman")



Tout au long des 200 pages, Pennac présente 5 thèses défendant les droits imprescriptibles du lecteur : le droit de ne pas lire, le droit de sauter des pages, le droit de ne pas finir un livre, celui de relire, de lire n’importe quoi, n’importe où…
Dans la première partie, il donne vie à un enfant qui grandit, bercé chaque soir par la voix de sa mère lui contant mille histoires toutes plus merveilleuses les unes que les autres. Après, l’enfant grandit, apprend à lire et là, la distance entre les livres et lui, livré à lui-même puisqu’il sait lire, ne va cesser de grandir. Mais est-ce la seule raison qui pousse les enfants, les adolescents à rejeter le livre ? Non, bien sûr, il y en a bien d’autres : la télévision, la paresse, la provocation, l’obligation, la solitude, l’ignorance…



Sur chacun de ses points, Pennac (toujours très étonnant, je trouve) argumente en tentant de « dédramatiser » et en donnant des pistes pour aborder la lecture avec nos enfants, pour la partager avec notre entourage (on partage mieux avec les gens que l’on apprécie : Quand un être cher nous donne un livre à lire, c’est lui que nous cherchons d’abord dans les lignes, ses goûts… p.97)
Grâce à son expérience de lecteur et de professeur, il explique de quelle manière on peut réussir à faire aimer les livres, la lecture, sans forcément en passer par des « évaluations écrites », des « échéances » et autres tortures infligées à tant d’élèves.




Enfin, il me donne à moi le droit d’évoquer mes lectures sans m’étaler, de le faire, comme mon amie MC, avec la seule envie de partager.


Allez, encore un tout petit extrait parce que vous n’avez pas eu la page 28.

Mais c’est, plus quotidiennement, le refuge du livre contre le crépitement de la pluie, le silencieux éblouissement des pages contre la cadence du métro, le roman planqué dans le tiroir de la secrétaire, la petite lecture du prof quand planchent ses élèves, et l’élève de fond de classe lisant en douce, en attendant de rendre copie blanche

(p.92)

2 commentaires:

  1. J'aurais voulu mettre tant d'extraits... mais ça gâcherait les futures lectures. Il y a des pages qui sont de vraies pages d'anthologie! un régal! :)

    RépondreSupprimer
  2. Je confirme des deux mains sur le clavier ! Un régal, qui vise juste, très juste.

    RépondreSupprimer