lundi 20 juillet 2009

Vie et mort en quatre rimes


Amos OZ, « Vie et mort en quatre rimes », Gallimard, 2008.

Quand je me mets à parler d’Amos Oz, j’ai parfois du mal à pouvoir m’arrêter. C’est plus fort que moi, je l’avoue, et j’aime ses romans à un point que j’en viens à rêver que mes enfants partagent le même enthousiasme plus tard. Pour l’anecdote, j’avais un jour remplacé une photo d’Hanna Montana dans la chambre de mon aînée par celle du grand écrivain mais elle n’a pas apprécié (du tout). Chaque chose en son temps…



Un brin de causette avant la chronique ? Vous savez ce que je fais quand on va manger chez Flunch ? Je parle à voix basse à mes enfants (les petits parce que les grands, je crois que je les agace à force) et je leur désigne une personne, puis une autre. « Vous avez vu la dame avec son chemisier rose ? Elle a l’air vieille, pas vrai ? Vous savez quel âge elle a ? 37 ans. Mais si ! Elle fait beaucoup plus vieille parce qu’elle exagère avec le solarium. C’est très mauvais pour la peau. Six séances par semaine ! Et puis elle fume beaucoup, 4 paquets de cigarettes par jour parce qu’elle s’énerve : ça fait 6 ans qu’elle est amoureuse de Marcel, un beau policier en uniforme. Elle ne le voit que lorsqu’il est en intervention une semaine sur deux alors, pour le plaisir de l’avoir à ses côtés, elle appelle sans arrêt la police. Pour un oui, pour un non, elle appelle. Elle met le feu à son paillasson, vole ses propres géraniums, casse ses nains de jardin, s’envoie des lettres d’insulte, rentre chez elle par effraction… Tout est bon pour Christiane quand il s’agit d’attirer le beau Marcel, et avoir la peau satinée comme une vedette de cinéma, c’est bien la moindre des choses, croit-elle. Malheureusement, le brave Marcel reste de marbre et la pauvre femme fume et fume pour se consoler en rempotant des géraniums dans son appartement vide. Pendant ce temps, le policier dorlote ses canaris, qui sont ses seuls compagnons, sans se douter que le cœur d’une femme qui vieillit de désespoir ne bat que pour lui. Et là, plus à gauche, c’est Chantale. Elle n’a pas l’air très propre sur elle. Sa maison ressemble à un dépotoir. Le désordre est tel que personne n’y rentre jamais et même, les employés du gaz n’accèdent plus au compteur depuis de longues années. Ce n’est pas de sa faute : depuis la mort de son mari, elle vit avec un grand chagrin, un de ces chagrins qui vous rendent aveugle. C’est pour ça qu’elle marche sur des détritus sans y prêter attention. Chez elle, il y a des puces et des rats mais elle s’en fiche, elle ne les voit pas. Tous les jeudis, elle vient chez Flunch, en souvenir de son amour parti trop tôt… Celui-là ? Il travaille pour Mobistar. Il vend des abonnements. Il a l’air triste parce qu’il n’a pas atteint son quota de contrats et il risque de perdre son boulot… Des gens gais ? mais oui, il y en a plein ! Vous voyez, à la table près de l’entrée ? C’est Jean-Luc. Il vient de terminer son premier roman. Regardez la grosse enveloppe posée sur la table… Il s’apprête à l’envoyer à Paris. Paris, vous imaginez ? Il deviendra peut-être célèbre. Et là, Raymond, 42 ans qui a enfin trouvé une fiancée.



La causette est terminée. Ce n’était pas vraiment de la causette, c’était une introduction - un peu longue d’accord et ok, je ne suis pas écrivain - sur le thème (ou un des thèmes plutôt) de ce roman d’Amos Oz : les mystères de la création littéraire. Tout un programme ! Où un écrivain trouve-t-il l’inspiration ? Avec quels procédés passe-t-il de la réalité à l’imaginaire ?



C’est le fil conducteur de ce livre qui est salué comme un petit bijou par les uns, comme une parenthèse pas bien méchante dans la carrière de l’écrivain par les autres. Quoi qu’il en soit, ce roman se lit de fait comme un petit interlude prometteur : pas question de se prendre la tête ; Oz s’occupe de tout : les personnages, le décor, l’intrigue assez prenante pour nous garder sagement assis dans le canapé, les jambes repliées. Pas la peine de nous appeler, on lit là, ça se voit pas ? En plus, c’est un roman qui aborde des thèmes importants comme la vie et la mort, bien sûr, la fragilité de l’existence ou celle de l’Etat.



Dans une petite ville d’Israël, un écrivain célèbre est invité dans un centre culturel afin de célébrer un de ses romans. Il sait d’avance quelles questions lui seront posées, il sait que des extraits seront lus, qu’il sera félicité et en effet, tout se déroule comme prévu. Il fait chaud, il s’ennuie, répond aux questions comme un automate, écoute et puis n’écoute plus, pus vraiment. Il regarde les gens et laisse aller son imagination. Un tel vit avec sa vieille mère impotente et malade, tel autre s’est fait éconduire, le moindre détail est récupéré pour tisser des trames qui s’entrelacent, s’effacent et réapparaissent tout au long du récit. Il y a aussi ce vieux poète cité lors du débat, auteur de « Vie et mort en quatre rimes », décédé depuis longtemps sûrement mais qui reprend vie dans la tête de l’écrivain. À la fin de la conférence, il s’en va avec la lectrice, la timide Rochale Reznik… Rochale est bien réelle mais l’auteur ressent le besoin d’appeler à l’aide tous ses portraits brossés car les choses ne se passent pas comme prévu. Ainsi, il continue à construire des destinées, s’attachant et nous liant à des personnages banals, des petites gens en quête de bonheur, d’amour…



Au fur et à mesure que nous tournons les pages, nous ne savons plus très bien où est la réalité et où est la fiction mais qu’importe ? puisque c’est un roman du génial Amos Oz, toujours tellement défaitiste et magique à la fois. Un roman - c’est ça qu’il faut retenir et dire - qui fait l’apologie de l’imagination. Un plaidoyer.


Page 28, le personnage principal, appelé « l’auteur » s’ennuie et laisse aller son imagination (et ce n’est que le début). Il emploie la 3e personne pour parler de lui, il se détache :



Et là-bas, les jambes variqueuses écartées, il aperçoit une femme corpulente à la large face : il y des années qu’elle a cessé de faire attention et abandonné les régimes, elle n’a cure de la beauté, son apparence la laisse froide, car elle a choisi d’évoluer dans les plus hautes sphères. Bouche bée, toute à la douceur de l’événement culturel qu’elle est en train de vivre, elle ne quitte pas du regard le conférencier, le spécialiste de littérature.
Juste derrière elle, un adolescent, dans les seize ans, s’agite sur son siège, l’air malheureux : c’est peut-être un poète en herbe avec son visage boutonneux et ses cheveux noirs frisés, pareils à de la paille de fer poussiéreuse. Les affres de son âge et les tourments qu’il vit la nuit, dans l’obscurité, retroussent ses lèvres en un rictus proche des larmes, et, à travers ses lunettes épaisses comme des chopes de bière, il avoue à l’auteur une passion secrète : ma souffrance est la tienne, ton âme est la mienne, toi seul peut comprendre, ne suis-je pas le solitaire qui e consume entre les pages de tes livres ?


(Extrait de Amos Oz, « Vie et mort en quatre rimes »)


Ensuite, ces personnages, et bien d’autres, ne quitteront plus la tête de l’auteur occupé à séduire la gentille Rochale. Mais en rester là reviendrait à donner une image bien légère de ce roman alors qu’il regorge de petites et grandes questions sur l’existence, le quotidien quand il se fait meurtrier ou sauveur et même, aussi parce qu’Amos Oz est un écrivain engagé qui milite pour la paix, qui prône le boycotte des écrivains antisémites prix Nobel de littérature, ainsi que le retrait unilatéral des troupes dans les Territoires occupés, qui affirme que la calamité, c’est la lâcheté personnelle des groupes dirigeants et qui s’insurge sans relâche contre le fanatisme sous toutes ses formes ou contre la mondialisation. Il distille dans les pages des allusions, des petites phrases incisives qui donnent tort à tous ceux qui n’auraient pas reconnu ce roman comme un grand roman du génial écrivain israélien.



Bon, d’accord, je ne suis pas objective avec Amos Oz, sûrement… mais c’est que j’ai tellement envie qu’on le découvre comme on découvre un pays, une région : lire c’est voyager…


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