Jiang RONG, « Le Totem du loup », Bourin éditeur, 2004, (2007 pour la traduction française).
Il y a quelques années, j’ai donné cours à des Chinois, de jeunes adultes. Je leur apprenais le français. J’aimais bien. Parfois, ils me manquent. En l’espace de quelques semaines, j’avais appris à bien les connaître et à déceler en eux les différences de culture. La Chine, c’est tellement grand… Il y avait quand même un trait de caractère ou deux dont ils étaient tous affublés : l’humilité et le respect des règles et, par rapport à une certaine « exubérance occidentale », j’appréciais beaucoup. Il faut dire, je n’étais pas habituée à pareil conformisme. Je disais «On écrit en bleu » et tout le monde le faisait. Je disais « On se tait » et c’était le silence. Un jour, un élève avait bavardé et je l’avais sermonné gentiment « Mais enfin, Xaio Hi, on chahute maintenant ? » L’assemblée l’avait fusillé du regard et le calme était revenu. Forcément, quand j’avais lu dans le magazine Lire que « Le Totem du loup » était enfin traduit en français, je l’avais acheté tout de suite. 566 pages. Que je n’avais pas vues passer.
Il y a quelques semaines, le livre est sorti en format poche. Je l’ai vu tout à l’heure chez mon libraire. Envie de vous en parler. Vous devez le connaître ce roman d’aventure, initiatique et écologique à la fois parce qu’un jour, vous verrez, on racontera l’histoire de ce livre en tant qu’objet, en tant que phénomène, autant que l’histoire du livre en elle-même.
Chen Zhen est un jeune homme envoyé par le régime de Mao en Mongolie Intérieure. Mao, la Révolution culturelle, les livres interdits, la rééducation, les crimes par millions… Le héros se prend de passion pour le peuple mongole et son besoin de liberté, pour ses valeurs écologiques et humaines, pour sa force et aussi surtout pour son totem, symbole de toutes ces valeurs réunies : le loup.
Le loup est un animal extraordinaire. Plus on tourne les pages, plus on le respecte. Le loup est d’une intelligence rare, il est serviable et individualiste à la fois. Il préfère mourir que d’être privé de sa liberté. Le loup est tenace, confiant en son instinct et fidèle à la meute, au compagnon ou à la compagne qu’il choisit. Il est loyal, émotif mais aussi rancunier, obstiné. Le loup n’oublie pas, il traque, piste pour se venger ou venger le mal fait aux siens. Il joue un rôle primordial dans l’équilibre de la flore et de la faune. Enfin, il donne l’exemple en évitant, malgré sa grande sensibilité, de s’engager dans toute action inconsidérée. Le loup a pratiquement disparu de nos régions ; on l’a exterminé (mais ce n’est pas un scoop).
Avec ce roman, on se rend compte combien cet animal hors du commun mérite notre respect et bien plus, on lit entre les lignes un message adressé au peuple chinois : « Prenez exemple sur le loup, sur sa force, son besoin de liberté. Ne vous comportez pas comme des moutons. »
Quatrième de couverture :
« C’était la première fois que Chen Zhen traversait la steppe en cavalier solitaire : il ne s’était pas rendu compte du danger qui l’attendait. Mais il était déjà trop tard pour rebrousser chemin. Soudain, il faillit tomber de sa monture en voyant, à quarante mètres devant lui, une horde de loups dont le pelage étincelait sous la dernière lueur du soleil. Plus de trente bêtes se tenaient là dont certaines avaient la taille d’un léopard. Au milieu trônait le roi des loups, reconnaissable à la fourrure blanchâtre qui, sur sa poitrine et son ventre, brillait d’un éclat de platine. Tout en lui respirait la puissance de son rang. A un signal connu d’elle seule, la meute s’était levée d’un bond. La queue raidie à l’horizontale, les loups s’apprêtaient à s’élancer et à s’abattre sur leur proie comme autant de flèches projetées d’un arc bandé. »
Vendu, en Chine, à plus de vingt millions d’exemplaires, Le Totem du Loup est un fascinant roman d’aventures. Mais c’est aussi le récit d’une initiation, celle de Chen Zhen, jeune étudiant chinois qui doit apprendre, au contact des tribus mongoles, comment survivre… Les hordes de loups règnent encore sur la steppe. Les cavaliers nomades, héritiers de Gengis Khan, craignent et vénèrent cet animal qu’ils ont choisi pour emblème. La rencontre avec cette culture va bouleverser le jeune Chinois. Il sera d’autant plus ébranlé que cet univers qui le séduit tant est sur le point de disparaître…
L’article pourrait s’arrêter là. Il parle de lui-même. Vingt millions d’exemplaires vendus en Chine, dont 17 millions en édition pirate quand même… pour un livre qui contient un message politique évident et qui n’a pas été censuré alors que la censure, en Chine, continue à faire rage. Mais il serait dommage d’ignorer que ce récit est en grande partie autobiographique. L’auteur, Lü Jiamin de son vrai nom, a vraiment été envoyé en Mongolie Intérieure. Sa « réinsertion » de jeune intellectuel a duré onze ans. Il a mis 6 ans à l’écrire et ne compte pas en écrire d’autre. Il est aujourd’hui professeur à Pékin et est très avare en interview. Les droits ont été vendus à prix d’or à plus de 24 pays et une adaptation cinématographique devrait sortir prochainement.
Au-delà de ces considérations politiques (que j’abrège car elles pourraient être nombreuses : je m’étais beaucoup documentée sur les circonstances de parution du livre), écologiques ou commerciales, le roman est avant tout doté d’une puissance narrative envoûtante et nombreux sont les passages où on sent l’émotion monter. Nous, on vit en Occident, on se croit à l’abri, civilisé, et puis un jour on lit « Le Totem du loup », on s’égare en Mongolie et on en vient à douter : qui devrait donner l’exemple à qui…
Quelques considérations politiques quand même avant la page 28 : si l’ouvrage n’a pas été censuré, c’est peut-être parce qu’il était devenu le livre de chevet de toutes les classes sociales en Chine, de tous les milieux, sans distinction des opinions philosophiques ou sociales.
L’éditeur français lui a consacré un site :
http://www.letotemduloup.fr/index.html
Page 28
Cette année-là, la neige était arrivée plus tôt que d’habitude et adhérait solidement au sol. La base des herbes, prise sous la neige, n’avait pas eu le temps de jaunir et gardait un parfum de fraîcheur. Les gazelles avaient fui la famine qui sévissait chez le voisin de Nord pour trouver refuge dans cet oasis d’hiver. Exténuées et affamées, elles refusaient d’aller plus loin. En un instant elles avaient eu l’estomac bien garni. Seuls les loups et le vieux Bilig savaient l’erreur fatale qu’elles avaient ainsi commise. Cette bande de gazelles était sans commune mesure avec celles que l’on pouvait apercevoir dans la steppe des années auparavant. Les cadres de la ferme avaient expliqué à Chen qu’on pouvait alors en voir qui comptaient quelques dix mille têtes. Mais au début des années 1960, une famine sans précédent frappa la Chine. L’armée du Nord avait alors organisé des chasses à grande échelle. On utilisait même des chars militaires pour poursuivre les gazelles à la mitrailleuse ! Ces derniers temps, en raison de la tension qui régnait à la frontière, le massacre avait cessé. On pouvait de nouveau voir d’importants attroupements, même s’ils n’atteignaient jamais les chiffres d’antan. Quand il faisait paître ses moutons, Chen Zhen voyait souvent des gazelles passer en trombe, à la lisière de son troupeau. L’horizon s’en trouvait bouché et la steppe devenait jaune. Il les regardait, médusé, enviant ces animaux qui gambadaient, rapides et libres, et disparaissaient en un clin d’œil.
(Extrait de Jiang Rong, « Le Totem du loup »
Il y a quelques semaines, le livre est sorti en format poche. Je l’ai vu tout à l’heure chez mon libraire. Envie de vous en parler. Vous devez le connaître ce roman d’aventure, initiatique et écologique à la fois parce qu’un jour, vous verrez, on racontera l’histoire de ce livre en tant qu’objet, en tant que phénomène, autant que l’histoire du livre en elle-même.
Chen Zhen est un jeune homme envoyé par le régime de Mao en Mongolie Intérieure. Mao, la Révolution culturelle, les livres interdits, la rééducation, les crimes par millions… Le héros se prend de passion pour le peuple mongole et son besoin de liberté, pour ses valeurs écologiques et humaines, pour sa force et aussi surtout pour son totem, symbole de toutes ces valeurs réunies : le loup.
Le loup est un animal extraordinaire. Plus on tourne les pages, plus on le respecte. Le loup est d’une intelligence rare, il est serviable et individualiste à la fois. Il préfère mourir que d’être privé de sa liberté. Le loup est tenace, confiant en son instinct et fidèle à la meute, au compagnon ou à la compagne qu’il choisit. Il est loyal, émotif mais aussi rancunier, obstiné. Le loup n’oublie pas, il traque, piste pour se venger ou venger le mal fait aux siens. Il joue un rôle primordial dans l’équilibre de la flore et de la faune. Enfin, il donne l’exemple en évitant, malgré sa grande sensibilité, de s’engager dans toute action inconsidérée. Le loup a pratiquement disparu de nos régions ; on l’a exterminé (mais ce n’est pas un scoop).
Avec ce roman, on se rend compte combien cet animal hors du commun mérite notre respect et bien plus, on lit entre les lignes un message adressé au peuple chinois : « Prenez exemple sur le loup, sur sa force, son besoin de liberté. Ne vous comportez pas comme des moutons. »
Quatrième de couverture :
« C’était la première fois que Chen Zhen traversait la steppe en cavalier solitaire : il ne s’était pas rendu compte du danger qui l’attendait. Mais il était déjà trop tard pour rebrousser chemin. Soudain, il faillit tomber de sa monture en voyant, à quarante mètres devant lui, une horde de loups dont le pelage étincelait sous la dernière lueur du soleil. Plus de trente bêtes se tenaient là dont certaines avaient la taille d’un léopard. Au milieu trônait le roi des loups, reconnaissable à la fourrure blanchâtre qui, sur sa poitrine et son ventre, brillait d’un éclat de platine. Tout en lui respirait la puissance de son rang. A un signal connu d’elle seule, la meute s’était levée d’un bond. La queue raidie à l’horizontale, les loups s’apprêtaient à s’élancer et à s’abattre sur leur proie comme autant de flèches projetées d’un arc bandé. »
Vendu, en Chine, à plus de vingt millions d’exemplaires, Le Totem du Loup est un fascinant roman d’aventures. Mais c’est aussi le récit d’une initiation, celle de Chen Zhen, jeune étudiant chinois qui doit apprendre, au contact des tribus mongoles, comment survivre… Les hordes de loups règnent encore sur la steppe. Les cavaliers nomades, héritiers de Gengis Khan, craignent et vénèrent cet animal qu’ils ont choisi pour emblème. La rencontre avec cette culture va bouleverser le jeune Chinois. Il sera d’autant plus ébranlé que cet univers qui le séduit tant est sur le point de disparaître…
L’article pourrait s’arrêter là. Il parle de lui-même. Vingt millions d’exemplaires vendus en Chine, dont 17 millions en édition pirate quand même… pour un livre qui contient un message politique évident et qui n’a pas été censuré alors que la censure, en Chine, continue à faire rage. Mais il serait dommage d’ignorer que ce récit est en grande partie autobiographique. L’auteur, Lü Jiamin de son vrai nom, a vraiment été envoyé en Mongolie Intérieure. Sa « réinsertion » de jeune intellectuel a duré onze ans. Il a mis 6 ans à l’écrire et ne compte pas en écrire d’autre. Il est aujourd’hui professeur à Pékin et est très avare en interview. Les droits ont été vendus à prix d’or à plus de 24 pays et une adaptation cinématographique devrait sortir prochainement.
Au-delà de ces considérations politiques (que j’abrège car elles pourraient être nombreuses : je m’étais beaucoup documentée sur les circonstances de parution du livre), écologiques ou commerciales, le roman est avant tout doté d’une puissance narrative envoûtante et nombreux sont les passages où on sent l’émotion monter. Nous, on vit en Occident, on se croit à l’abri, civilisé, et puis un jour on lit « Le Totem du loup », on s’égare en Mongolie et on en vient à douter : qui devrait donner l’exemple à qui…
Quelques considérations politiques quand même avant la page 28 : si l’ouvrage n’a pas été censuré, c’est peut-être parce qu’il était devenu le livre de chevet de toutes les classes sociales en Chine, de tous les milieux, sans distinction des opinions philosophiques ou sociales.
L’éditeur français lui a consacré un site :
http://www.letotemduloup.fr/index.html
Page 28
Cette année-là, la neige était arrivée plus tôt que d’habitude et adhérait solidement au sol. La base des herbes, prise sous la neige, n’avait pas eu le temps de jaunir et gardait un parfum de fraîcheur. Les gazelles avaient fui la famine qui sévissait chez le voisin de Nord pour trouver refuge dans cet oasis d’hiver. Exténuées et affamées, elles refusaient d’aller plus loin. En un instant elles avaient eu l’estomac bien garni. Seuls les loups et le vieux Bilig savaient l’erreur fatale qu’elles avaient ainsi commise. Cette bande de gazelles était sans commune mesure avec celles que l’on pouvait apercevoir dans la steppe des années auparavant. Les cadres de la ferme avaient expliqué à Chen qu’on pouvait alors en voir qui comptaient quelques dix mille têtes. Mais au début des années 1960, une famine sans précédent frappa la Chine. L’armée du Nord avait alors organisé des chasses à grande échelle. On utilisait même des chars militaires pour poursuivre les gazelles à la mitrailleuse ! Ces derniers temps, en raison de la tension qui régnait à la frontière, le massacre avait cessé. On pouvait de nouveau voir d’importants attroupements, même s’ils n’atteignaient jamais les chiffres d’antan. Quand il faisait paître ses moutons, Chen Zhen voyait souvent des gazelles passer en trombe, à la lisière de son troupeau. L’horizon s’en trouvait bouché et la steppe devenait jaune. Il les regardait, médusé, enviant ces animaux qui gambadaient, rapides et libres, et disparaissaient en un clin d’œil.
(Extrait de Jiang Rong, « Le Totem du loup »
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