jeudi 9 juillet 2009

Venge-moi!



Patrick CAUVIN, « Venge-moi ! », Albin Michel 2007, Le Livre de Poche.



Quand j’étais petite, ma maman me racontait parfois l’occupation allemande pendant la guerre : les tickets de rationnement, le couvre-feu, les bombardements, les privations, les dénonciations… Un jour, elle avait parlé de ce drame atroce qu’elle avait vécu en direct. Une horde de soldats allemands encerclant une maison, une famille belge tirée dehors, un vieux couple, des cris, des brimades et puis une deuxième famille, un homme, une femme, plus jeunes, une petite fille aussi, quatre ou cinq ans. Des Juifs. Nouvelle vague de hurlements et une voisine sortie pour implorer les Allemands, les supplier d’épargner l’enfant. Elle se proposait de la recueillir, ce n’était qu’une enfant… Après de longues négociations, la fillette avait été sauvée mais les adultes avaient reçu l’ordre de réintégrer la maison, qui avait explosé quelques minutes après…


S’il vous est arrivé de parler avec une personne qui a connu ce genre d’horreurs (peu importe de quel côté de l’horreur elle se trouvait), vous avez dû remarquer l’insistance qu’elle peut mettre pour imprégner notre mémoire de ses propres souvenirs. Écrire pour ne pas oublier, parler aussi, raconter… Le rappel doit être fréquent, vif et brûlant. Nous faire mal avec des mots, des images pour nous éviter d’en souffrir un jour… Il est des faits, des drames, des tragédies que l’on ne peut oublier, des souffrances vécues à jamais sur les « territoires de la mémoire ».


Cauvin, que j’aime tant lire (et entendre parler), s’est glissé dans la peau de Simon, fils d’une mère déportée. Cette femme incarne à elle seule toute l’horreur de la Shoa. Son appartement est un musée et sa vie une valse lente entre les ombres d’un passé proche (on est dans les années 60), notamment celle de son mari également déporté, et jamais revenu… Simon grandit ainsi, tristement. Il n’a pas d’ami, ou si peu. Il n’a que sa mère, Paris et la solitude qu’il ressent dans sa chambre d’enfant quand son regard s’égare sur les toits en zinc de la capitale. Un jour, sa mère s’éteint en lui demandant l’impensable : son père et elle avaient été dénoncés par une femme. Elle dit, dans un dernier soupir « Je sais qui c’est. Venge-moi. » Simon s’en va alors vers ce passé meurtrier pour le fouiller, vers le Nord, l’Ardenne belge et son silence et là, alors qu’il croyait arriver au bout de ses peines…

Je n’aime pas les résumés apéritifs. J’aime les émotions, les sensations, les images que l’on se crée.

Images : Paris. L’après-guerre. L’insouciance. Les colonies de vacances. Les filles avec des queues de cheval. Paris. La solitude. Le métro. L’école. L’université. Une mère. Des reliques. Des tentures sombres. La mère encore. Un fantôme. Des pas qui résonnent encore et malgré les années. Un passé qui rend fou. L’aveu d’une mourante. Le départ à travers les Ardennes, le long de la Semois. Un hôtel sans client. Des questions. Des pourquoi, des comment. Venger pour tenir une promesse. Venger sans conviction. Venger quand même. Revenir sur ses pas. Paris. Les archives. Une lettre…

Cette histoire est sombre, pesante. Cauvin ne cesse jamais de surprendre et il parvient, grâce à sa prose qui se lit comme on écoute une musique, à nous dresser au fil des pages des portraits de personnages sans pareil (« En fait, j’ai réussi mon vieux rêve d’enfance : être invisible. J’y suis finalement arrivé, sans effort, il m’a suffi d’être celui que je suis. C’est presque un don. Exister est pour moi exister à peine, être c’est n’être pas, comme ne le dit pas Shakespeare. » p. 37).

Cauvin, pour le faire découvrir, pour le faire apprécier, il n’y a qu’une seule façon, le donner à lire. Cauvin se lit, à voix haute, avec ses mots qui résonnent page après page comme autant de petits chefs d’œuvre. Cauvin, c’est ma musique préférée. Cauvin est interdit de page 28. Cauvin va beaucoup plus loin : page 89 (une description envoutante de l’Ardenne Belge).


Impression que la nuit s’installe ici plus longtemps qu’ailleurs et a du mal à disparaître. Peut-être ai-je trouvé le lieu où elle prend naissance.La Semois est là, sur la droite. Quelques barques grises attachées à la berge. Il doit y avoir un pont un peu plus loin, mais le brouillard m’empêche d’en être sûr. Pays de fantômes ? Les gosses du coin doivent faire d’étranges rêves.J’ai trouvé le monument aux morts derrière l’église. Pas de statue de bronze, une simple stèle avec quatorze noms gravés. Rien ne correspond à la photo.Je repars.Je roule lentement pour rester à l’unisson de cet univers ralenti. J’ai mis le chauffage car l’humidité qui monte de la rivière est pénétrante.Je suis en Belgique.Pendant toute une période de mon adolescence, j’ai lu beaucoup de récits de voyages. Lorsque les écrivains sortent de chez eux, ils semblent toujours perdus, un rien les épate et ils en font des tartines pour peu qu’ils se retrouvent devant un paysage inhabituel, une montagne, la mer, une ville lointaine : du coup, ils inventent le pittoresque, la forme romanesque de l’incompréhension. La plupart du temps, ils sont ravis, ce sont des amateurs du dépaysement.
(Extrait de Patrick Cauvin, « Venge-moi ! »)

2 commentaires:

  1. Nom di dju! ce que je peux en voir avec ces saletés de police! oups! pardon.

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  2. Bon, sur Internet explorer, c'est ok les polices et sur Firefox c'est carnaval... Service d'entretien svp! (et j'ai bien tapé sur Bloc note)

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