vendredi 3 juillet 2009

Nous vieillirons ensemble


Camille de PERETTI, "Nous vieillirons ensemble", Stock, 2008, Le Livre de Poche.


Quand j’étais encore une jeunesse, j’ai travaillé dans une maison de retraite. C’était à Haarlem, une petite ville sympa près d’Amsterdam. J’étais royalement payée l’équivalent de 2,50 euros de l’heure mais j’en garde de très bons souvenirs. Parc verdoyant, chambres coquettes, hygiène irréprochable, repas exquis et ambiance bonne enfant. Théoriquement, j’étais censée faire le ménage dans les chambres mais comme on était toute une armée de dames préposées à l’entretien et que je ne vouais pas de culte particulier à la serpillière, en fin de compte, je tenais compagnie à une colonie de nonagénaires en déambulateurs qui me battaient aux échecs, me servaient le thé ou réclamaient des cours particuliers de français. Je m’en souviens comme si c’était hier. Ils avaient acheté des petits cahiers à spirales où ils notaient leurs leçons comme des écoliers consciencieux. Ils étudiaient en avalant des petits sablés. Il faisait chaud. On ouvrait bien grand les fenêtres sur le jardin en fleurs. C’était l’été. Ça sentait bon le temps qui dure longtemps.



Parfois, je devais faire appel au chef infirmier parce que des dames se crêpaient le chignon pour avoir un quart d’heure de cours en plus que les autres. Entre deux répétitions d’expressions bien françaises, les pensionnaires ne se gênaient pas pour dire du mal de leur voisin ou bien ils évoquaient leurs souvenirs, parlaient de leur famille, se réjouissaient des visites, déploraient leur rareté… Il y avait aussi une dame tellement vieille qu’elle avait enterré toute sa famille. Quand ce n’était pas moi qui nettoyais sa chambre, elle se soulageait dans ses draps, sur les murs… Un jour, une aide-soignante l’avait retrouvée morte…



Des activités avaient lieu chaque après-midi. Concours de chant, jardinage, maquillage, bricolage, jeux de quine. Le samedi, on partait en excursion avec les plus valides. On rapportait des petits gâteaux aux autres. Certains jours étaient plus pénibles : en cas de visites annulées, il fallait parfois consoler des grands-parents ou arrière-grands-parents déçus…



Que de souvenirs ! Mais au-delà de ces aspects bien pratiques, ce que je retiendrai longtemps, c’est la personnalité de chacun des pensionnaires de cette maison de retraite. Une maison de retraite, si on fait abstraction du côté médical, c’est une communauté en miniature. On y retrouve tous les travers, tous les caractères de la vie de tous les jours, tout ce qui fait qu’on est humain : la jalousie, l’amitié, l’amour, le remords, la médisance, la courtoisie, l’infidélité, les projets, l’insouciance, la culpabilité…



Dans « Nous vieillirons ensemble », Camille de Peretti nous fait faire le tour d’une maison de retraite de manière assez originale : au début du livre, on a un plan et, de chapitre en chapitre, on passe d’une pièce à l’autre. L’accueil, la salle à manger, la salle d’activités, la chapelle, le patio, les chambres. Par un beau dimanche d’octobre, on fait connaissance avec Nini, une vieille excentrique qui fume comme un camionneur, Louise Alma, la grande dame de la maison, Jocelyne Barbier, la bureautière, Marthe Buissonnette, l’épouse de pasteur, le capitaine Dreyfus qui rêve de s’évader et aussi Geneviève qui ne se souvient plus des hommes qu’elle a aimés, Josy qui passe des coups de serpillière en pansant les plaies du cœur, le directeur aux prises avec l’intendance, les enfants, les neveux, les petits-enfants quand ils pensent à venir rendre visite et surtout, au premier plan, les chamailleries d’un trio de vieilles dames attachantes.



Roman original construit à la Perec (« La vie mode d’emploi ») sans être « fracassant » qui aborde de manière rigolote et attendrissante tous les aspects du grand âge, des relations parents/enfants, de la vie qui va trop vite toujours tellement vite et des souvenirs - ah ! les souvenirs - et les projets qu’on pourrait faire à rebours…



Et pour tous ceux qui décrieraient ce roman, je voudrais qu’ils sachent que j’avais l’impression, en le lisant, de retrouver « la maison de retraite de mes 18 ans » et ça (pareil réalisme), si c’est pas un point pour Camille de Peretti… parce que mes petits souvenirs évoqués plus haut, ce n’était pas pour faire joli ! Ce roman est une perle, pas une de ces perles qui bouleversent mais une de celles qui touchent, profondément.


Page 31 pour changer un peu (et parce que j’avais marqué cette page).


Nini est une grande comédienne. Elle passe du coq à l’âne, elle divague, elle fume comme un pompier, elle tousse. On ne sait jamais quelle part de sa folie il faut prendre au sérieux. Nini énerve, elle est insupportable. Nini la vieille enfant a toujours été intenable ; depuis qu’elle vit aux Bégonias, c’est pire. Elle sonne pour un oui, pour un non, toujours à enguirlander les infirmières et à dire qu’elle va se plaindre à Camille. […] Nini ne parle pas, elle hurle, elle piaille. Elle dit beaucoup de gros mots. Quand elle rit, elle crie si fort que l’on croirait qu’elle pleure. Quand elle pleure pour de bon, ses yeux font rouler deux grosses larmes d’alligator, elle ne sait pas s’arrêter. Nini aime rire et pleurer. Elle a encore tellement d’amour à donner. Camille et elle ont longtemps entretenu une correspondance, mais cela aussi est terminé. Nini écrivait des lettres où les mots s’alignaient dans le mauvais ordre. Des lettres d’amour. Aujourd’hui, ses mains tremblent trop pour tenir un stylo. Nini est illisible.

(Extrait de Camille de Peretti, « Nous vieillirons ensemble ».)

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