Anna Sam, "Les Tribulations d'une caissière", Stock, 2008, Le Livre de Poche.
Elle s'appelle Anna, elle a vingt-huit ans, un diplôme universitaire de littérature et huit ans d'expérience derrière une caisse de supermarché.Un métier peu propice aux échanges, ponctué de gestes automatiques. Anna aurait pu se sentir devenir un robot si elle n'avait eu l'idée de raconter son travail, jour après jour. Elle vous a vu passer à la caisse. Vous avez été des clients faciles ou des emmerdeurs, riches ou pauvres, complexés de la consommation ou frimeurs. Vous l'avez confondue avec une plante verte ou vous lui avez dit bonjour, vous avez trépigné à l'ouverture du magasin ou avez été l'habitué nonchalant des fermetures.Anna, vous l'avez draguée, méprisée, insultée. Il ne se passe rien dans la vie d'une caissière ? Maintenant, prenez votre chariot et suivez Anna jusqu'à sa caisse.
Pas la peine d’écarquiller les yeux : j’ai osé. Mais si ! Et j’ai encore le toupet de m’en vanter sur le blog.
Bon, je recommence. Le début ne me plait pas. C’est vrai, non ? Pourquoi il faudrait toujours se justifier ? Je dis tout le temps que j’aime lire, découvrir. Je n’évoque pas systématiquement tous les livres que je lis. Il y en a, depuis le début de ce blog, que j’ai lus (rarement dans leur entièreté) puis rangés dans un coin sombre de ma bibliothèque parce que non mais c’est pas possible à ce train-là on est tous des écrivains de génie. J’achète des livres de manière compulsive et parfois, j’ai des regrets. Le pire, ce sont les livres qu’on m’offre. J’ai eu droit à tout, même des Guillaume Musso ou le dernier Angiot.
Je re-recommence parce que, vraiment, ça ne me plait pas ce début d’article. J’écris pour vous parler de « Les Tribulations d’une caissière » et je vous raconte ma vie !
Ce livre s’est retrouvé sur ma PAL après un coup de fil enflammé de mon fantastique mari qui ne sait plus comment faire pour me dorloter.
« Allô ? C’est moi. Je suis chez Carrefour. Les livres de poche sont en promotion. T’en achètes un, t’en as deux gratuits. T’en veux ?
- Ah oui ! J’en veux. Il y a quoi ?
- Guillaume Musso…
- Non merci.
- Philippe Claudel…
- Je les ai tous.
- Eric-Emmanuel Schmidt, Oscar et…
- Je l’ai.
- Marc Le…
- Quoi d’autre ?
- Anna Sam, Les tribu…
- Bof, oui, pourquoi pas, s’il est gratuit. Continue… »
Et voilà. Merci Carrefour. J’ai aussi gagné Un Oscar Wilde et un Boris Vian.
Aujourd’hui, il a fait super bon. On a découpé des pastèques et lézardé sur la terrasse. Après 500 pages de Nabokov, j’avais besoin de m’aérer la syntaxe. 180 pages en grande surface avec une caissière rigolote pendant que les petits pataugeaient dans la piscine... Je me suis bien amusée.
Alors, on parle du livre quand même ? Parce que si vous avez le temps, je peux vous raconter tant qu’on y est quand je vais dans les grandes surfaces faire les sacro-saintes courses de la semaine avec mes 6 estomacs sur pattes qui veulent acheter de tout et surtout ce qu’ils n’aimeront pas j’en mets ma main au feu mais comme ça passe à la TV maman on veut des saucisses au fromage et au piment et des glaces Stchroumpf c’est super dégueu mais c’est tout bleu et Tamara elle en a dans son congélateur Tamara elle en a de la chance nous on n’a jamais rien allez maman dis oui. Après, quand j’ai dit « oui », ils exigent autre chose ou disparaissent mystérieusement dans le dédale des allées en ameutant tout le magasin avec leurs cris de Sioux et je dois parfois faire des appels à l’accueil des fois qu’ils auraient été kidnappés ça arrive une caissière me l’avait assuré une fois histoire de me calmer parce que j’essayais de lui arracher le micro pour brailler « Matthieu, c’est maman, tu as 3 secondes pour revenir ! »
Je reprends mon souffle ; je m’étais encore égarée. Tout ça pour vous dire dans quel état j’arrive, moi, systématiquement à la caisse et là, ce n’est pas gagné. Je dois encore empêcher mes monstres de lancer à tout va les articles sur la tête de la caissière, le caddie de tomber à force d’être tiré dans tous les sens (c’est arrivé !) « C’est à moi ! Non à moi ! Maman ! Hein c’est à moi ! », une de mes filles de s’exclamer « Maman pourquoi la dame derrière nous elle a de la moustache ? » ou le présentoir à chewing-gums d’être dévalisé. Avec un peu de malchance, j’aurai oublié ma CB ou ma petite dernière aura passé le portique avec un article non scanné et l’alarme se déclenchera.
Bref, vous comprendrez pourquoi, jusqu’ici, je n’avais jamais pris la peine de me pencher sur « le cas des caissières ». Je disais « Bonjour », « Merci », « Au revoir » et j’avais bien assez à faire pour en plus me sentir interpelée par sa patience, sa nonchalance ou que sais-je encore ? Les caissières sont des êtres humains, pas des machines. On l’oublie parfois. Souvent. Combien de caissières avons-nous vues se faire insulter, vilipender pour des prix, des pratiques dont elles ne sont en aucun cas responsables.
C’est vrai qu’il y a plus grave comme malheur mais en attendant, nous sommes tous régulièrement en contact avec ces femmes (ou ces hommes il y en a) et ce, sans imaginer ce que peut être leur quotidien. Et je vous assure qu’en lisant ce livre, qui se lit comme un roman, vous comprendrez, compatirez, rirez aussi, souvent.
Je vous passe le détail des situations burlesques ou déplorables pour ne pas gâcher l’éventuel plaisir de la lecture. Attention, on n’est pas « au rayon grande littérature » là. Avant d’être un livre, c’était un blog et ça se sent mais qu’importe, lire, c’est voyager, à gauche, à droite et même chez Carrefour par une belle après-midi comme aujourd’hui.
Un extrait, pas la page 28, pas le plus révélateur de ce que peut être le « cauchemar » d’une caissière mais un extrait très cocasse quand même. Notre charmante caissière a travaillé brièvement en Belgique, espérant secrètement qu’une fois la frontière passée, les problèmes seraient loin derrière. C’était sans compter sur le charme des Belges, mes compatriotes.
Histoires belges : petit passage de l’autre côté de la frontière
Vous en avez marre des supermarchés français ? Vous avez envie de prendre l’air et voir si l’herbe est plus verte dans les supermarchés belges ? C’est parfaitement compréhensible et j’ai moi-même tenté l’expérience, pleine d’espoir. Hélas, rien ne se ressemble plus qu’un patron belge et un patron français, une vie de caissière belge et une vie de caissière française, un client belge et un client français. Les seules différences : plus de variétés de spéculos et de gaufres et, bien sûr, l’accent ! Aussi, si vous tentez quand même (ne venez pas vous plaindre après), préparez-vous à vivre ce genre de scène :
Caissière française : 9,99 euros, s’il vous plaît, madame.
Cliente belge (avec un accent belge à couper au couteau) : J’co…rend pas qu’es vo… di… !
Caissière française : Pardon ? Excusez-moi, je ne comprends pas. Vous pouvez répéter ?
Cliente belge : …ai… qu’es vo acon à l’in ?
Caissière française : Pardon ? … Je ne comprends toujours pas. 9,99 euros, s’il vous plait.
Le client derrière décide d’intervenir.
Client belge (à la cliente belge, avec un accent à couper au couteau) : Vo de…ez ante, ante neuf… ros !
Cliente belge : Ah ! j’co… pris !
Client belge (à la caissière française, sans presqu’aucun accent belge) : ça y est elle a compris, je lui ai traduit ce que vous avez dit.
Caissière française : Merci. Elle a un sacré accent !
Cliente belge (au client belge) : El’ e as ‘ici, el’ a acré ‘cent !
Client belge (à la caissière française) : Elle me dit de vous dire que vous n’êtes pas d’ici et que vous avez un sacré accent.
Tout n’est qu’une question de point de vue. Un conseil : mettez-vous au belge accéléré.
(Extrait de Anna Sam, « les tribulations d’une caissière », pp.170-172.)
Voilà, ce livre est aussi plein d’ironie, de perspicacité sur les « clients » que nous sommes tous.
Arf ! J'ai feuilleté le même chez Leclerc, samedi ;-)
RépondreSupprimerUne bien belle aventure, tout de même, pour cette caissière.
Et, une fois n'est pas coutume, un article bien vivant, comme on les aime.
Merci, Maddy.
Oui, il faut souligner le côté "belle aventure"! J'aurais dû y penser. Voilà qui est réparé ;)
RépondreSupprimerj'ai plusieurs fois tourné autour de ce livre, je vais peut-être me lancer aussi...chez Carrefour!
RépondreSupprimerVas-y Laurence! Le seul reproche que je ferais à ce livre (mis à part que ce n'est pas de la grande littérature mais on s'en fiche, on s'amuse), c'est qu'une ou deux situations ont l'air de se répéter mais ça passe tout seul.
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