Delphine de VIGAN, "No et moi", JC Lattès, 2007.
Il y a certains livres qui m'épargnent sérieusement le travail. J’aime bien, pour le blog, c’est facile : le texte est tellement parlant que je n’ai plus rien à en dire. Je cite des extraits et voilà. La belle vie ! Vous ne me croyez pas ? Non mais lisez-moi ça !
C’est un jour de décembre, le ciel est bas et lourd comme dans les poésies, la buée trouble les vitres du café, dehors il pleut des seaux. Mon exposé est dans deux jours, j’ai rempli un cahier tout entier, j’écris à toute vitesse…
Depuis toute la vie je me suis toujours sentie en dehors…
Je ne sais rien de sa famille, ni de ses parents, à chaque fois que j’ai essayé elle a fait semblant de ne pas entendre…
Quand je suis bouleversée, j’ai les jambes coupées…
Je trouvais ça incroyable qu’un bébé allait sortir du ventre de maman…
J’aimerais inventer une fonction « téléportation-immédiate-vers-dix-minutes-plus-tard »…
Je vois une ville invisible au cœur de la ville…
Des hommes sous les ponts…
Un dimanche matin j’ai entendu le cri de maman…
Recroquevillée sur le bébé… elle pleurait en disant non non non…
Au Relais d’Auvergne, elle me raconte le temps suspendu, les heures passées à marcher pour que le corps ne se refroidisse pas…
Il y a des silences aussi, chargés de toute l’impuissance du monde…
Elle vient d’avoir dix-huit ans.
J’ai treize ans.
Je m’appelle Lou Bertignac.
Elle s’appelle No…
Elle n’a pas de parents. Ils ne sont pas morts…
Tous ces mots qui se bousculent dans ma tête comme un immense carambolage…
On est capable d'envoyer des avions supersoniques et des fusées dans l'espace, d'identifier un criminel à partir d'un cheveu ou d'une minuscule particule de peau, de créer une tomate qui reste trois semaines au réfrigérateur sans prendre une ride, de faire tenir dans une puce microscopique des milliards d'informations. On est capable de laisser mourir des gens dans la rue…
Je ris aussi je crois, je suis heureuse, là, tout de suite, dans l’engourdissement du sommeil, et si c’était ça le bonheur, pas même un rêve, pas même une promesse, juste l’instant…
Ma mère ne sort plus de chez nous depuis des années et mon père pleure en cachette…
Le temps passe si vite, déjà Noël, déjà l’hiver, déjà demain et rien ne bouge, voilà le problème, en effet, notre vie est immobile et la terre continue à tourner..
Barre-toi, Lou, je te dis. Tu me fais chier. Tu n’as rien à faire là. C’est pas ta vie, ça, tu comprends, c’est pas ta vie !
Et si No venait chez nous…
Et puis la voix de ma mère… On devrait la rencontrer…
Que dire de plus ? Paris et ses rues. Paris et ses gares. Paris et ses bistrots. Lou, une gamine de 13 ans surdouée et vivant entre une mère ravagée par le chagrin et un père dévoué. Une autre adolescente, une fille de la rue qui fume, boit de la bière et crache à terre. Une mère qui pleure depuis des années la perte de son enfant et puis, subitement, par le hasard d’un exposé scolaire, une amitié qui se crée et la vie immobile de Lou qui se met à frémir. Les injustices sociales. La vie qui n’a pas de sens. Un peu d’humanité dans les yeux d’une enfant hors du commun et ça donne un récit de 248 pages qui en paraissent 20 tellement on éprouve des difficultés à poser le livre. Je ne dis pas ça pour faire joli. Je le dis parce que ce roman est bouleversant, bien écrit et même, si de prime abord il a l’air de chatouiller le terrain émotionnel avec une recette facile, ce n’est pas le cas (du tout !) Ce serait même assez réducteur : il y a dans le cœur de ce personnage de roman, de cette gamine de 13 ans qui n’en a que l’apparence, un grand carré de sensibilité que beaucoup de personnes devraient découper et se partager pour faire de ce monde un endroit un peu plus accueillant.
Un grand coup de cœur pour la finesse de la plume de Delphine de Vigan en passant et pour le regard qu’elle pose tout en douceur sur notre société injuste et insensée.
Un extrait, le pouvoir des mots:
Un roman que j'ai apprécié malgré une écriture qui manque un peu de style à mon goût.
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