Tonino BENACQUISTA, « Quelqu’un d’autre », Gallimard, 2002, Folio 3874.
Dans les bistrots, je crois, c’est là que les hommes refont le monde. Je dis ça, mais je n’en sais trop rien, c’est une impression que j’ai. Autour d’une verre, forcément, tout doit sembler plus facile. D’ailleurs, à bien y réfléchir, j’ai quelques souvenirs qui traînent dans un coin de ma tête et justement liés à un café. J’y avais travaillé un été. J’étais étudiante. Je servais des bières avec beaucoup beaucoup de mousse, des cafés trop serrés, je vendais des cigarettes aussi. Parfois, on me demandait un spaghetti que je laissais cuire jusqu’à ce que je m’en souvienne… Bref, il arrivait que des clients évoquent leur vie. Ils m’en parlaient à moi, comme si j’étais la confidente idéale. Ils auraient aimé la changer, cette vie qui les poussait là, devant ce comptoir chaque jour ou presque. Je me souviens de ça, comme beaucoup d’entre eux auraient voulu que les choses soient différentes...
Dans les bistrots, je crois, c’est là que les hommes refont le monde. Je dis ça, mais je n’en sais trop rien, c’est une impression que j’ai. Autour d’une verre, forcément, tout doit sembler plus facile. D’ailleurs, à bien y réfléchir, j’ai quelques souvenirs qui traînent dans un coin de ma tête et justement liés à un café. J’y avais travaillé un été. J’étais étudiante. Je servais des bières avec beaucoup beaucoup de mousse, des cafés trop serrés, je vendais des cigarettes aussi. Parfois, on me demandait un spaghetti que je laissais cuire jusqu’à ce que je m’en souvienne… Bref, il arrivait que des clients évoquent leur vie. Ils m’en parlaient à moi, comme si j’étais la confidente idéale. Ils auraient aimé la changer, cette vie qui les poussait là, devant ce comptoir chaque jour ou presque. Je me souviens de ça, comme beaucoup d’entre eux auraient voulu que les choses soient différentes...
Il y avait ce monsieur d’une cinquantaine d’années aussi. Lui, je ne l’oublierai pas. Il était plein aux as et, quand il venait, c’était « tournée générale », toujours quelque chose à fêter. Il avait l’air heureux, comme ça si on s’arrêtait aux apparences mais, à bien y regarder, il traînait derrière lui une épaisse solitude dont il ne parvenait pas à se débarrasser. Les gens tristes ont souvent les yeux plus bavards… Le jour de son anniversaire, il avait formulé l’idée d’emmener tout le monde au restaurant. Je l’avais entraîné dans un coin pour lui dire « Marcel, et si à la place, on faisait un pari ? Tenez, voilà le journal, tous les jeudis, il y a une rubrique ; ça s’appelle « les jeudis du cœur » Vous allez mettre une petite annonce et, le jour où vous trouvez quelqu’un de bien, vous ne reviendrez plus jamais ici. Ça voudra dire que vous êtes heureux et qu’on a gagné tous les deux notre pari. Si dans un mois, vous êtes toujours seul, on aura perdu, alors vous offrirez le restaurant à tout le monde. » Je l’ai revu une fois et puis j’ai appris qu’il avait rencontré une dame…
Pourquoi je parle de ça ? Un bistrot, bien sûr, c’est là que l’histoire commence. Je vais essayer d’en dire le moins possible. Je n’aime pas trop les chroniques de romans en fait, les vraies je veux dire. Ce que j’aime, c’est titiller. Allez, je peux quand même essayer de vous en parler comme si on prenait un verre ensemble !
Deux hommes peu satisfaits de leur existence, Nicolas et Thierry, font dans un café, le pari de changer de vie. Ils se donnent rendez-vous dans trois ans au même endroit pour voir où ils en seront. Et en trois ans, on a largement le temps de prendre les choses en mains…
Le lendemain, Nicolas s’éveille avec une gueule de bois mémorable. La première de sa vie en quarante ans ! Il faut dire que c’est un éternel angoissé qui a peur de sortir de la norme, peur de faire mal les choses. Très vite, il prend goût à l’alcool qui lui permet de s’affirmer et d’oser faire ce qu’il n’aurait jamais osé imaginé. C’est comme ça qu’il réveille le « tombeur » qui est en lui et qu’il séduit une femme… Une femme qui boit, elle aussi. Le vin comme placebo…
Thierry, lui, s’attaque à bras le corps à sa nouvelle vie qu’il veut changer radicalement. Il quitte sa femme, change d’identité, de travail et même de visage. Il décide de devenir détective privé…
Ainsi, on a un homme qui a changé les apparences et un autre qui a modifié le fond-même de son âme. Le roman est truffé de rebondissements tragiques et comiques à la fois. Au fil des pages, on ressent une véritable familiarité pour les deux héros. Benacquista a ce talent pour « mettre en scène » des personnages qui ont quelque chose à dire d’abord mais surtout dans lesquels on se retrouve un peu, beaucoup. Je n’ai pas pour habitude d’évoquer les auteurs en long et en large (j’aime que les lecteurs les découvrent d’eux-mêmes : si on apprécie, on a envie d’en savoir plus…) mais il faut quand même préciser que Benacquista écrit des scénarios, des nouvelles, des romans – « Malavita », vous devez lire « Malavita » et « Le Serririer volant » illustré par Tardi !
Pour ce qui est du thème, il y a tellement à dire que je crois que je ne dirai rien ! (Vous n’avez qu’à lire ; je suis certaine que vous aimerez ce livre) Peut-on vraiment changer de vie ? Est-ce si facile de couper les ponts avec les proches mais aussi avec soi-même ? D’ailleurs, Nicolas finit par correspondre avec son double, son ancien « moi »… comme pour s’aider à ne pas oublier que le changement, si grand soit-il, peut apporter du piment dans la vie, l’épicer un peu, mais que jamais on ne peut vraiment devenir quelqu’un d’autre. Ce n’est pas un roman sur la quête d’identité, c’est un roman du défi. Se défier soi-même pour se prouver que l’on est en dépit du contexte, en dépit de l’entourage et des obligations. Il parait qu’on en a tous rêvé un jour : devenir quelqu’un d’autre… En attendant, puisque nous on se contente de rêver, on peut s’oublier le temps de 378 pages dans lesquelles un homme décide de devenir détective privé et un autre alcoolique…
Rdv dans un café pour en parler un de ces jours si vous voulez, je vous lirai la page 28…
Thierry et Nicolas, après une partie de tennis, se lancent le défi :
- Cette conversation vire à l’absurde, dit Nicolas. Un Borg ne devient pas un Connors, et inversement.
- Je ne m’aime pas assez pour vouloir rester moi-même tout prix, dit Blin. Ces trente années qui me restent, j’aimerais les passer dans la peau de cet autre !
- Je n’ai pas l’habitude : est-ce que nous ne serions pas un peu soûls ?
- Il ne tient qu’à nous de partir à la recherche de ce quelqu’un d’autre. Qu’est-ce qu’on risque ?
Gredzinski, captivé, avait enterré son inquiétude dans un désert et dansait maintenant sur sa tombe. Il chercha la seule réponse qui semblait cohérente :
- … De se perdre en chemin.
- C’est un bon début.
Ils trinquèrent une fois encore sous l’œil d’un barman blasé qui, compte tenu de l’heure, ne leur servirait plus rien. Bien plus lucide que Gredzinski, Blin prit tout à coup un faux air de conspirateur ; sans même s’en douter, il avait orienté la conversation pour en arriver à ce point précis, comme s’il avait trouvé chez Gredzinski l’interlocuteur qu’il cherchait depuis longtemps. Sa vinctoire à leur match l’encourageait maintenant à en jouer un autre où il serait à la fois son propre adversaire et seul partenaire, un combat d’une telle envergure qu’il lui faudrait réunir en lui toutes ses énergies, réveiller son libre arbitre, rappeler ses rêves, croire à nouveau, repousser des limites qu’il commençait à entrevoir.
(Extrait de Tonino Benacquista, " Quelqu’un d’autre")
Maddy ! ...si je te disais que j'ai préféré la chronique que tu a écrite à l'imparable, la fameuse page 28 !! :-)) belle histoire que celle de ce quinquagénaire rencontré dans un bar et quel talent tu as pour nous en brosser son portrait ! c'est toujours un plaisir que de flaner sur ton blog pour y lire tes billets écrits avec toujours cette verve, ce style qui te caractérise ! merci de nous faire partager ces moments de pur bonheur !!
RépondreSupprimerMerci :)
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