mercredi 26 août 2009

Le Livre d'Hanna



Geraldine BROOKS, « Le Livre d’Hanna », Belfond, 2008.

Il y a bien longtemps, j’avais décidé un peu sur un coup de tête de consacrer ma vie aux langues anciennes. Je n’y connaissais pas grand chose mais j’étais fascinée par cette richesse de culture que je découvrais petit à petit. J’étais jeune et je trouvais ça fabuleux, tous ces livres sauvés des incendies, des inondations ou autres bombardements. Tant de siècles traversés pour mettre sous mes yeux le génie de Sophocle et la verve de Jules César… En première année, à l’université, une vieille demoiselle très maniérée nous donnait le cours d’histoire des littératures grecques et romaines. Son cours avait lieu le mardi, dès huit heures du matin et gare à son courroux si on arrivait en retard. Lever à 6h, le bus à 7h. On habitait à la campagne. Il me fallait suivre une longue route, parfois dans la neige et, une fois au terminus, me dépêcher pour être à l’heure. Elle était la seule à ne pas utiliser le bon vieux « quart d’heure académique ». Quand j’y repense aujourd’hui, je trouve ça surréaliste de se lever si tôt pour écouter un personnage aussi rigide parler de tous ces bouts de parchemins poussiéreux et parvenus jusqu’à nous pour qu’on les étudie sur photocopies (alors que mes amies faisaient des études pour devenir infirmières, secrétaires, institutrices...) La prof citait souvent des auteurs dont je n’ai, par la suite, plus jamais entendu parler. Elle s’extasiait pour une page à moitié dévorée par des rats, elle disait « Vous n’imaginez pas le nombre d’ouvrages à jamais perdus ! » Alors j’essayais d’imaginer. Elle en parlait comme des huitièmes merveilles du monde. À bien y repenser, ça n’a pas changé grand-chose à mon existence que l’on ait retrouvé tel fragment d’Euripide ou que Lycophron l’Obscur ait été un peu moins obscur grâce à une découverte absolument inopinée dans tel monastère des Balkans…

Mais je m’égare, toujours, en commençant mes chroniques. Il faudrait que j’apprenne à faire de vraies chroniques de bouquins. Si j’ai évoqué mes études, c’est que, forcément, ce livre m’y a fait penser. Je vous copie-colle la quatrième de couverture (j’ai la flemme) :

« Envoûtant, foisonnant, un roman magistral, dont la construction éblouissante entremêle intrigue présente et échos du passé. Par la lauréate du prix Pulitzer 2006, une œuvre déjà culte outre-atlantique, portée par la modernité d'une voix inoubliable ; une énigme littéraire qui nous plonge au cœur des périodes les plus tragiques de l'histoire ; un vibrant plaidoyer en faveur de la tolérance et de la transmission.
1996. Quand Hanna, jeune Australienne, restauratrice passionnée de manuscrits anciens, apprend qu'on veut lui confier la célèbre Haggadah de Sarajevo, elle sent qu'il s'agit de la chance de sa vie. Plus à l'aise en compagnie des livres que de ses contemporains, elle part à la rencontre de ce précieux manuscrit hébreu, ressurgi des Balkans en ruine. Au fil de minuscules indices, Hanna va peu à peu percer les secrets de ceux qui ont tenu entre leurs mains cet ouvrage sacré.
De la jeune adepte de la Kabbale qui le sauve de l'Inquisition espagnole, à l'intellectuel musulman qui le soustrait à la menace nazie, en passant par le censeur vénitien qui le fait échapper à l'autodafé, une odyssée flamboyante dont Hanna s'apprête à écrire une nouvelle page, qui va la mener de désillusions en découvertes, de reconstruction en amour naissant, sur les traces de sa propre histoire... »

À noter quand même que l’histoire se base sur un fait réel : cette Haggadah, qui est le livre de la Pâque juive, a vraiment resurgi comme par miracle. Elle a échappé aux autodafés vénitiens, à la terrible Inquisition espagnole, elle a été transportée à Vienne quand la Bosnie a été occupée par l’Empire austro-hongrois, pendant l’occupation nazie, elle avait disparu comme par enchantement quelque part dans les montagnes mais il reste encore beaucoup de mystères sur sa création et sa véritable histoire. On suppose qu’elle a été conçue vers le XIVe siècle (il y a quelques incohérences dans le livres, pas très gênantes mais il y en a) à une époque où Chrétiens, Juifs et Musulmans cohabitaient en harmonie ou presque… Chapeau d’ailleurs à l’auteur qui n’a de cesse de rappeler tout ce qui pourrait rapprocher ces différentes religions ou qui met en évidence leurs « erreurs » commises par le passé sans jamais prendre parti.


Ainsi, on a un livre dont un livre est le héros, comme seul Umberto Eco aurait pu l’écrire, un livre qui nous promène du présent au passé, toujours plus lointain. On tourne les pages et on remonte le temps. Chaque fois qu’Anna se pose une question, Geraldine Brooks intercale un récit qui nous donne la réponse. On part pour Sarajevo, bien sûr, là où le vrai manuscrit avait été retrouvé, mais aussi pour Vienne, Séville ou Venise. On lit et on voit des livres brûler, des gens torturés, d’autres se battre pour le manuscrit mais aussi, souvent, pour leur liberté et puis on se rend compte qu’on ne lit plus, que les personnages sont sortis des pages pour nous envoûter, vraiment, comme seul un grand roman peut le faire et ça, c’est magique. Les chapitres consacrés à l’histoire du manuscrit, même s’ils sont souvent pure fiction, sont comme autant de nouvelles intercalées dans le récit. Le tout devient une recherche d’indices et les 410 pages se transforment en un incroyable jeu de piste planté dans une multitude de décors très réalistes. Si vous aimez les romans mêlant les histoires d’amour, les quêtes d’identité, les relations mère-fille, les détails historiques et scientifiques, les intrigues policières et même les initiations à l’art et l’histoire des religions, vous allez adorer celui-ci.

Bon à savoir : Geraldine Brooks connait bien son sujet. Elle a été reporter pour le Wall Sreet Journal ; elle couvrait la guerre de Bosnie à Sarajevo. Vous savez, cette guerre avec les snipers et tous ces civils tués sans que les soldats de l’ONU osent intervenir, cette guerre atroce menée au nom de la liberté. La guerre, on en parle beaucoup dans ce livre : guerre de territoires, de religions ou de civilisations mais qu’est-ce que ça change ? Il y a toujours des gens qui meurent, pour rien (c’est triste, l’Histoire…), si ce n’est ce qu’on appelle des convictions : certaines choses ne peuvent se perdre et doivent traverser les siècles. Ainsi, la Haggadah a fait un long chemin. Des gens sont morts à cause de son contenu, la beauté de ses enluminures a émerveillé des générations entières. L’histoire d’un livre donc que Geraldine Brooks a imaginée pour nous.

Page 28

Anna vient d’arriver à Sarajevo et s’apprête à examiner le précieux manuscrit. Autour d’elle, se trouvent le représentant de l’ONU et le Dr Ozren Karaman avec qui elle va devoir travailler :

« Écoutez, dis-je, on m’a informée que vous devriez être présent, mais je vous serais reconnaissante de ne pas interrompre mon travail.
- Je comprends, répondit-il d’une voix douce, malgré mon ton acerbe. Mais vous aussi, vous devez comprendre : je suis le kustos, le livre est sous ma responsabilité. »
Kustos. Je mis un instant à réagir. Puis je me tournai pour le dévisager. « C’est vous, Ozren Karaman ? Celui qui a sauvé le livre ? »
Sajjan, le représentant de l’ONU, se leva précipitamment, se confondant en excuses. « Je suis désolé, j’aurais dû faire les présentations. Mais vous étiez si impatiente de vous mettre au travail. Je… Docteur Hanna Heath, puis-je vous présenter le Dr Ozren Karaman, bibliothécaire en chef du musée national et professeur de bibliothéconomie à l’Université nationale de Bosnie.
- Je… je regrette de m’être montrée impolie, dis-je. Je pensais que vous seriez beaucoup plus âgé, pour être le conservateur principal d’une collection aussi importante. » Je ne m’attendais pas non plus à ce qu’ne personne occupant ce poste soit aussi débraillée […] L’ONU croyait faire une faveur à la Bosnie en finançant le travail qui permettrait d’exposer convenablement la haggadah. Mais quand il s’agit de trésors nationaux, personne n’a envie que des étrangers commandent. Ozren Karaman avait nettement l’impression d’avoir été mis sur la touche. Je n’avais pas la moindre envie d’être impliquée dans ces histoires. J’étais là pour m’occuper d’un livre, non pour me soucier de l’ego d’un bibliothécaire…

(Extrait de Geraldine Brooks, « Le Livre d’Hanna », traduit de l’américain par Anne Rabinovitch)

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