lundi 3 août 2009

Déclic


Patrick CAUVIN, « Déclic », PLON, 2009

« Et alors, Patrick, qu’est-ce qui se passe mon vieux ? » C’est avec cette phrase, je l’avoue assez étonnante, que j’ai éveillé mon mari cette nuit. Il dormait à poings fermés, je lisais le dernier Cauvin. J’étais à la page 50, un peu déçue…


Les romans de Cauvin, je ne m’en lasse pas. C’est chaque fois un petit événement ici quand il en sort un. Mon libraire le sait bien, il n’oublie jamais, presque jamais. Cette fois pourtant, il avait oublié de le mettre en vitrine et il a fallu que je l’achète en promotion à Redu. Je l’ai commencé dès notre retour, prête s’il le fallait à rogner sur mes heures de sommeil. Dès les premières pages, je n’ai pas reconnu les mots, le style de Cauvin. Un petit peu d’amertume au bout des yeux… d’où ma question, en pleine nuit.



Et puis cette autre : est-ce que j’allais le chroniquer (j’aime pas ce mot, j’en cherche un autre) sur le blog ? Il y a des livres que je lis (je termine presque toujours un livre que je commence) et dont je ne parle pas, soit que tout ait déjà été dit depuis longtemps, soit que je ne me sente pas l’envie de donner envie de le lire, soit qu’il soit insipide - ça arrive). Ce qui est sûr, c’est que je refuse de dire du mal d’un livre et que j’en parle ici seulement si cela m’a plu, un peu, beaucoup… Celui-ci, il ne m’a ni plu (je n’aurais jamais imaginé dire ça d’un livre de Cauvin !), ni déplu. Il m’a surprise, étonnée. Je viens de lire quelques critiques sur Internet : elles sont souvent très négatives. Je n’ai pas l’habitude de lire beaucoup de critiques (de moins en moins en tout cas) mais là, j’étais perplexe. Bref, si je le chronique quand même, c’est parce que j’ai vraiment une grande affection pour les romans de Cauvin et d’ailleurs, je crois, si je devais partir sur une île déserte, j’y emmènerais mes enfants et Cauvin lui-même pour qu’il m’écrive des histoires.



Bref, disais-je, quand on a lu « E=MC2, mon amour », « Venge-moi ! », « Le silence de Clara »… forcément, on se demande ce qu’il lui a pris, à notre Cauvin de « pondre » un récit aussi abracadabrant.



Résumé apéritif


Ronald Dunan est un écrivain connu, très connu même. Un après-midi, alors qu’il attend pour un rendez-vous d’affaires dans un grand hôtel parisien, il aperçoit au bar sa propre femme. Un individu étranger lui remet une mallette… Et le mystère s’épaissit. Qui se promène cet après-midi-là avec un chapeau haut de forme bleu ? Qui est ce flic ventripotent spécialiste de la lutte antiterroriste ? Quelle est cette bohémienne dans le métro, détentrice d’un secret redoutable ? Quel est cet étranger marchand de valises dont le magasin a deux entrées ? Surtout, surtout, ne vous précipitez pas au chapitre final pour le savoir… Déclic est un suspense… A vous, si vous le pouvez, de trouver la clef de l’énigme.

Je ne vais pas entrer dans les détails (je ne le fais jamais) mais juste dire que, au bout du compte, ce livre, il faut le prendre au troisième degré. Cauvin se met dans la peau d’un écrivain qui manque d’inspiration et qui cherche le « déclic » susceptible de la lui redonner Et ça, il n’y a pas à dire : on sent la plume en manque d’inspiration ! Le narrateur passe allègrement de la première personne à la troisième, les situations sont souvent tirées par les cheveux : sa femme est kidnappée par un réseau anti-terroriste et on lui demande un chapeau en échange, la moitié de la planète semble chercher un chapeau d’ailleurs, un vendeur de valises se retrouve un matin dans son lit, une femme édentée l’interpelle dans le métro puis réapparaît dans son appartement avec toutes ses dents et vêtue comme une actrice des années 30 pour lui donner un cours improbable de géopolitique, un agent des services secrets le met en contact avec une fabrique de sucres d’orge, et il y a des agents doubles, des agents dormants, des sectes, des Ukrainiens, des Indépendantistes Kurdes, des organisations qui luttent contre le péril jaune, des voitures qui pourraient exploser, des gens ligotés, des passages à tabac, des kidnappings (on kidnappe même les belles-mères !), des démarcheurs qui ne veulent kidnapper personne mais on ne sait jamais…



Voilà, ce livre a quand même une grande qualité : on ne l’attendait pas du tout et il nous embarque dans 1000 situations complètement loufoques et - ce n’est pas rien - on rit de la page 1 à la page 188. Et qu’on arrête un peu, saperlipopette ! de toujours comparer le livre d’un écrivain à son précédent ou à la production littéraire et planétaire en général. À bas l’élitisme littéraire et vive les récits surprenants voire carrément saugrenus ! Merci Cauvin !


Pas de page 28, on change de décor : la page 99 (Cauvin n’a pas besoin du test de la page 28)


Ronald Dunand, le narrateur, téléphone à son frère dont la femme vient d’être kidnappée :



La voix de son frère lui éclata dans l’oreille.
- Ils ont Mina.
Ronald sursauta. Il y a quelques mois, au temps où il était encore opérationnel, il aurait répondu quelque chose dans le genre : « Les malheureux ne savent pas le risque qu’ils prennent », mais l’heure n’était plus à la rigolade.
- Qui a Mina ?
Olivier sembla s’étouffer dans l’appareil, une quinte de toux qu’il n’arrivait pas à maîtriser.
- Je n’en sais foutre rien, ils m’ont dit le sigle très vite pour que je ne m’en souvienne pas, j’ai saisi « Ukraine », c’est tout. Ça, j’en suis sûr, ils ont prononcé le mot « Ukraine », un mouvement de libération. Il y a ça en Ukraine ?
- Il y a ça partout, murmura Ronald.
L’Amérique latine. Le Kurdistan. L’Ukraine à présent. Ça s’internationalisait bigrement. À ne rien y comprendre.
- Ils veulent combien ?
Olivier respirait si fortement dans l’appareil qu’il sembla à Ronald qu’il se trouvait dans une salle des machines.
- C’est ce que je ne comprends pas.
- Qu’est-ce que tu ne comprends pas ?
- Ils veulent un chapeau. Un chapeau bleu. Pas de fric. Un chapeau.
- C’est pas cher, dit Ronald.
- Je dois leur remettre avant quarante-huit heures. Je leur ai demandé quel chapeau bleu mais le type m’a dit : « Vous savez lequel. »
- Il t’a dit : « Vous savez lequel » ?
- Exactement. Je ne sais pas lequel, bordel de merde, j’ai voulu demander des précisions, mais il m’a dit que si je voulais jouer au con, j’allais finir par gagner, et que je récupèrerais ma femme en morceaux, si je voyais ce qu’il voulait dire. Je voyais très bien…


(Extrait de Patrick Cauvin, « Déclic »)

5 commentaires:

  1. Bonjour, je suis comme vous ! Et faute d'emmener cauvin lui meme sur une ile déserte, je prendrais Haute-Pierre, Belles Galères et Menteur. J'ai commencé à me poser la question "et alors Patrick... ?" en lisant Bel ange - J'ai acheté Déclic avec espoir, mais.. non.
    Amicalement

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  2. Je garde quand même une grande affection (pas d'autre mot ;) pour ses livres et je me dis que tout le monde a droit à des petites baisses de régime.

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  3. Sans vouloir comparer Déclic à la production littéraire actuelle (ou presque) je n'ai pas pu m'empêcher de trouver des airs de Pynchon à la liste des évènements que tu dresses. Cauvin aurait-il cherché à pasticher...ou aurait-il découvert Thomas Pynchon, dont certains se plaignent de l'absence d'auteur équivalent dans la littérature de langue française ?
    OK, je sors ;-)

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  4. J'en sais rien et comparer, j'aime pas, surtout Cauvin à Pynchon... (arrête un peu avec ton Pynchon!)

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