dimanche 11 octobre 2009

American psycho


Bret Easton ELLIS, « American psycho », Robert Laffont 10/18

Il paraît qu’on a tous des problèmes psychologiques, que c’est ça qui fait de nous des êtres sensibles. C’est assez rassurant… Par exemple, hier, j’étais dans un magasin de vêtements bon marché où on peut acheter du linge de corps pour trois fois rien. J’avais dans mon panier 24 paires de chaussettes, autant de petites culottes pour mes filles, de slips pour mes garçons, 9 pyjamas en pilou, 15 chemisettes en coton… Une fois à la caisse, la vendeuse essayait de tout mettre dans un seul sac en plastic. Elle poussait le linge, le comprimait comme elle pouvait. Excédée de voir mes achats malmenés ainsi, j’ai sorti une réplique du genre « C’est bon, là, vous pouvez pas prendre un deuxième sac ? Je vais rentrer chez moi avec des loques si vous continuez! » Après, il s’est produit une scène comme on n’en voit que dans les séries américaines : elle s’est mise à renifler, à pleurnicher qu’elle en avait marre que les gens la harcèlent pour les sacs, que c’était pas elle qui était responsable du règlement, qu’elle allait appeler la responsable et déchirer toutes mes culottes et puis d’ailleurs, j’avais qu’à partir et jamais revenir si j’étais pas contente ( ???). La responsable, alertée par son vacarme, est arrivée en m’accablant de reproches : à l’heure du recyclage, on vient avec son sac ! et puis si on veut de jolis sacs, on va à côté où la petite culotte coûte 30 euros non mais sans blague ! elle en a ras le scanner de mettre un peu de bon sens dans la cervelle des clientes qui n’ont rien à faire des règlements ! un sac par client c’est un sac par client point barre !!! alors dehors et que je me dépêche d’emporter mon sac où elle va s’énerver non mais pour qui je me prends ? elle aura tout vu et tout entendu !


Voilà. Avec mon sac je suis sortie, un peu choquée mais pas tant que ça parce que je venais de terminer « American psycho » et que, ma foi, les deux femmes ont eu de la chance : il y en a qui se seraient emballés pour moins que ça. Patrick Bateman, par exemple, le héros (que le terme lui sied mal..), lui, il serait revenu le soir pour trucider les deux râleuses, les aurait sciées en deux après avoir sauvagement abusé d’elles (en même temps), aurait arraché les lobes de leurs oreilles avec ses dents, mis un rat dans une partie bien précise de leur anatomie avant de les décapiter et de mettre leur tête au four à micro-ondes et leurs intestins à bouillir dans la marmite. Vous voyez ? On a tous des problèmes psychologiques sauf qu’on ne les gère pas tous de la même façon. Moi, j’ai juste fait une gentille petite crise d’hystérie en racontant ça à mon mari : « Non mais tu entends ce que je te raconte ? Oh ! je te parle ! Tu t’en fiches, c’est ça ? Dis-le si tu t’en fiches qu’on m’humilie quand je fais mes courses ! Tu ne dis rien ? Donc tu t’en fiches ! Très bien, tu l’auras voulu ! »


Mais revenons-en à ce livre. Bateman a 27 ans, il est bourré de fric, il bosse à Wall Street quand il ne passe pas son temps à réserver des tables dans les restaurants branchés. Toutes ses activités sont entrecoupées de coke party ou de séances de gym intensives. En plus de cela, il voue un culte sans pareil aux apparences. Le look, les vêtements de marque virevoltent entre les lignes comme des petits dieux indétrônables et rien, pour lui, n’est plus repoussant qu’une vendeuse habillée de façon quelconque ou – pire – un clochard vêtu de loque et empestant l’urine. Bateman est un yuppie, un vrai, qui se pavane dans les soirées branchées avec, toujours, une super fille à son bras. Elles sont d’ailleurs toutes folles de lui et tout le monde s’entend pour trouver son humour décapant quand il interrompt les conversations pour déclarer « Il m’arrive de scier des femmes en deux » ou pour demander « Mes cheveux, ça va ? »


Mais jusque-là, je n’ai encre rien dit du livre, de l’impression qu’il laisse (j’aime bien ça, les impressions, ce qui s’imprime). Pourquoi est-ce que je l’ai lu ? Jusqu’à la fin ? Alors que, pendant toute la lecture, je n’ai pas cessé de me dire « Vivement que je lise un autre livre ! » Je n’en sais rien… Le livre a fait scandale lors de sa parution : homophobie, racisme, sexisme, sadisme, drogue, alcoolisme, cruauté sans nom… le personnage principal n’a vraiment rien pour plaire. Il tue, de sang froid et, de préférence, avec bestialité. Les meurtres sont décrits de façon très minutieuse, chirurgicale et, à plusieurs reprises, j’ai été forcée de sauter des lignes tant le texte est insoutenable. Bateman est également vicieux, maniaque, intolérant mais pourtant, il est si bien mis en scène que l’on a l’impression qu’il existe et qu’on pourrait le croiser à un distributeur de billets. Il est aussi très intelligent. C’est un passionné de musique qui vous décortique un album comme aucun critique ne le fera jamais. Il a, quelque part au fond de lui, des bribes de rêves qui – il le sait – ne se réaliseront jamais : la société est ainsi faite, devenue, que les hommes ne sont plus que des bêtes sauvages. Jamais il ne remet en question son attitude et ça, c’est encore plus écœurant que le texte en lui-même. Le texte donc, il vous attaque (il n’y a pas d’autre terme) et, je le sais, on en reste marqué longtemps après.


Et Bret Easton Ellis, dans tout ça, qu’est-ce qu’il y a à en dire ? Que c’est un auteur génial évidemment, pas parce qu’il a écrit un bouquin où des femmes et des sans-abris se font décapiter toutes les deux pages mais parce qu’il parvient à construire son récit sur un seul personnage, que, dès les premières pages, il nous fait comprendre ce que son personnage est, qu’il n’y a pas de place pour le doute : c’est un serial killer sans état d’âme, rien ni personne ne le fera changer ou éprouver le moindre regret. Pour lui, il n’y a aucune différence entre regarder une émission télévisée ou déposer des vagins de femmes dans son casier au gymnase.


Le livre est un de ceux qui a le plus marqué la littérature américaine, non seulement par le fait de l’intrigue mais aussi à cause de son côté satirique. Bret Easton Ellis, en effet, ne rate pas une occasion de dénoncer le matérialisme et le culte des apparences de l’Amérique de Reagan. L’argent, les apparences, le laissez paraître, c’est tout ce qui compte, et le reste n’a plus aucune valeur.
Absolument plus aucune.

Pas de page 28 mais un extrait en images et en musique.



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