Une dame, mère de deux enfants, me disait aujourd’hui dans un jardin public : « Je ne comprends pas comment vous avez le temps de fumer ou de lire. Je n’ai que deux enfants et je n’ai plus une minute à moi alors la lecture, vous pensez… » J’ai écrasé ma cigarette, refermé mon livre, me suis levée du banc où je paraissais depuis une heure et j’ai lancé : « Je ne comprends pas comment vous avez le temps de ne jamais en prendre ; ça doit être exténuant. »
Elle n’a rien compris, sûrement parce que ce que j’ai répondu ne veut pas dire grand-chose. Pas le temps de lire ? Même pas un chapitre, même pas une page, un mot ? C’est vrai mais le temps de lire, c’est comme les crèmes glacées : c’est rare quand on m’en offre.
Où trouver le temps de lire ?
Grave problème.
Qui n’en est pas un.
Dès que se pose la question du temps de lire, c’est que l’envie n’y est pas. Car, à y regarder de près, personne n’a le temps de lire. […] La vie est une entrave perpétuelle à la lecture. […]
Le temps de lire est toujours du temps volé. (Tout comme le temps d’écrire, d’ailleurs, ou le temps d’aimer.) […]
C’est sans doute la raison pour laquelle le métro […] se trouve être la plus grande bibliothèque du monde.
Le temps de lire, comme le temps d’aimer, dilate le temps de vivre.
Si on devait envisager l’amour du point de vue de notre emploi du temps, qui s’y risquerait ? Qui a le temps d’être amoureux ? A-t-on jamais vu, pourtant, un amoureux ne pas prendre le temps d’aimer. […]
La question n’est pas de savoir si j’ai le temps de lire ou pas (temps que personne, d’ailleurs, ne me donnera), mais si je m’offre ou non le bonheur d’être lecteur.
(Extrait de Daniel PENNAC, Comme un roman).
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