Nathalie KUPERMAN, "J'ai renvoyé Marta", Gallimard, 2005, Folio poche.
Le soleil, en Belgique il fait souvent des escales. Il va, il vient et on ne sait jamais pour combien de temps il sera là. Aujourd’hui enfin, on peut en profiter un peu. Un ciel bleu très clair déménage les derniers nuages ; ils sont tout blancs, c’est joli. Un petit vent frais agite les grands chênes derrière les palissades. Son souffle est si timide qu’on en vient à l’oublier. Les enfants jouent dans le jardin, surveillés par mon œil nonchalant. Étendue sur ma chaise longue, je tapote sur mon clavier. La petite vient s’asseoir près de moi et ouvre sa boîte à secrets. Elle y a mis un bourdon mort. J’ai de la musique dans les oreilles. Je n’entends pas ce qu’elle me dit alors je lui souris. Elle parle sûrement de son petit insecte. La semaine dernière, on a enterré Pirouli le moineau et elle est persuadée que les bourdons aussi méritent une sépulture décente. Je n’ai pas le courage de la décevoir, elle a six ans. Après le dîner, on ira enterrer Bill le bourdon quelque part dans le bois. Ensuite, il faudra que je range la pagaille dans la maison. Les corvées domestiques…
À ce propos, j’ai repensé à ce que j’ai écrit hier, sur le pouvoir des histoires. De quels livres suis-je capable, après des mois, de parler en donnant des détails, en citant les noms des personnages ? Quand on lit beaucoup, les souvenirs se diluent parfois vite. On retient sans doute mieux les « grands classiques » mais c’est qu’on est plus régulièrement amenés à s’y replonger. C’est dommage mais on n’y peut rien. Je me suis donc posé la question et aussitôt, une liste s’est créée dans ma tête, avec les livres de Philippe Claudel en tête, ceux de Mac Carthy, des relectures de Mérimée, un ou deux livres passés inaperçus… Étrangement, un petit roman de prime abord insignifiant s’est rappelé à moi également, « J’ai renvoyé Marta ». Ça m’a un peu agacée, j’avoue, parce que ce livre est loin d’être une perle. Il a même un côté un peu « brouillon », inachevé en tout cas. On reste sur sa faim, on se dit en le refermant « Oui mais bon… », comme si certains aspects de l’histoire, certaines données étaient manquantes, que l’auteur aurait pu « creuser » telle ou telle chose. Et pourtant, je m’en souviens très bien.
Sandra a tout pour être heureuse : un bel appartement en plein Paris, un mari sympa, un bébé adorable, deux beaux-enfants bien élevés, un boulot, la famille « bobo » idéale… et pourtant, quelque chose ne va pas : cette jeune femme dynamique se sent stressée et prisonnière des tâches domestiques. Pour se soulager, elle engage une femme de ménage. 9 euros de l’heure pour retrouver la sérénité, ce n’est pas si cher payé… Marta, la brave Marta, fait ainsi son entrée dans la vie paisible de la famille et là, c’est le début de la fin ! C’est à cause de cette femme de ménage, bien évidemment… Chaque fois qu'elle sait que la jeune fille doit venir mettre de l’ordre, Sandra panique, range, frotte, astique à en perdre la tête. Son obsession est telle qu’elle se fait paranoïa et l’héroïne devient finalement un personnage sournois, soupçonneux.
Tu n’es pas contente parce qu’on a fait des miettes ? Non, je n’étais pas contente, la vue des miettes me rend nerveuse, je peux même dire qu’il m’est impossible, quand je vois une miette de ne pas la ramasser immédiatement […] marcher sur une miette est terrible, ça crisse, ça se multiplie, j’ai toujours trouvé ignoble cette façon qu'ont les gens de manger sans faire attention aux miettes (p.105-106)
Pour aggraver les choses, Marta a le même prénom que la grand-mère de Sandra et d’anciennes blessures refont surface, achevant de faire sombrer la pauvre mère de famille dans une folie que son entourage ne comprend pas et nous non plus.
Où veut-elle en venir, Nathalie Kuperman (éditée chez Gallimard, collection NRF quand même !) ? C’est la question que je me suis posée quand j’ai lu son roman et chaque fois que je faisais ce satané ménage ici. Et un jour, j’ai pensé à mes voisines qui ont décrété qu’elle voueraient leur vie à leurs serpillières parce que nom de nom ! leur maison doit être la plus clinquante de la rue et il sera pas dit qu’elles ne l’auront pas rendue aussi brillante que Versailles à la sueur de leur front ! et j’ai compris :
«J’ai renvoyé Martha », c’est nos petites manies tournées en dérision, c’est le côté sacré de notre intimité pointé du doigt et surtout les travers dans lesquels on peut tous tomber quand elle est menacée. Sacrée Nathalie Kuperman ! Il fallait y penser à pareille histoire ! Encore une femme qui a, comme moi, fait d’affreux cauchemars à cause de cet effroyable « Monsieur Propre tout si propre… » et autre « Swiffer la poussière ne lui résiste pas ».
Gallimard donc. Bien écrit alors ? Oui même si c’est pas l’extase quand on lit. C’est propre, correct, c’est même très « Bref Javel Net contre la saleté tenace », ça se lit d’un coup d’éponge (très importantes, les éponges dans l’histoire !)
Allez, un tout petit extrait de la page 28 pour le style et puis enterrer Bill le bourdon !
J’aurais aimé savoir quelles étaient les tâches que Marta était censée accomplir dans notre maison, mais je n’ai pas osé demander.
Est-ce qu’elle s’occuperait du linge ?
Nous avions pensé vous demander de venir trois heures, a dit mon mari. Est-ce que ça vous semble bien ?
Asseyez-vous, Marta, ai-je interrompu, pensant que l’on devait convenir des modalités en position assise.
L’appartement est grand, s’est contentée de répondre Marta en se laissant tomber sur le canapé.
Quant à l’argent (c’était à moi de prendre le relais), Judith nous a parlé de neuf euros…
Marta a semblé gênée, elle nous a expliqué que, justement, elle comptait en parler à Judith, que, maintenant, elle prenait dix euros.
Dix euros ?
Est-ce qu’elle s’occuperait du linge ?
Nous avions pensé vous demander de venir trois heures, a dit mon mari. Est-ce que ça vous semble bien ?
Asseyez-vous, Marta, ai-je interrompu, pensant que l’on devait convenir des modalités en position assise.
L’appartement est grand, s’est contentée de répondre Marta en se laissant tomber sur le canapé.
Quant à l’argent (c’était à moi de prendre le relais), Judith nous a parlé de neuf euros…
Marta a semblé gênée, elle nous a expliqué que, justement, elle comptait en parler à Judith, que, maintenant, elle prenait dix euros.
Dix euros ?
(Ah oui ! Pourquoi je l’ai retenu en particulier, ce roman ? Monsieur Propre, encore lui ! même pas vrai qu’il fait tout tout seul. À la sueur de mon front moi ici je dois frotter mais une femme de ménage maintenant, je n’ose plus y penser...)
Bonsoir Maddy,
RépondreSupprimerIl est vrai qu'on retient les livres qui laissent des traces (et là, Monsieur Propre, il peut se brosser ;-), des marques personnelles à chaque lecteur, des marques qui peuvent être profondes.
Ou pas.
Parfois aussi sans qu'on sache réellement pourquoi.
La magie de la lecture.
Très joli!
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