Brian EVENSON, "La Confrérie des mutilés", Le cherche midi, 2008 (pour la traduction française)
Il y a une question que je me posais depuis belle lurette et figurez-vous que j’ai trouvé la réponse dans ce livre alors que, bizarrement, personne ne me répondait jamais quand je la formulais : que feriez-vous si, après avoir eu une main tranchée, deux manchots qui s’arrachent les oreilles venaient frapper à votre porte ? Personnellement, moi, je prendrais mes jambes à mon cou en tentant d’éviter les coups de moignons qui ne manqueraient pas de pleuvoir. Littérature gore, un peu noire en tout cas, vous avez tout compris. Mais pourquoi est-ce qu’elle passe son temps à lire pareil bouquin alors qu’elle clame sans arrêt qu’elle aime Anna Gavalda, Tatiana de Rosnay, Philippe Claudel (pour ne citer que des auteurs actuels) ? Bonne question ! Je n’en sais rien. J’aime lire un peu de tout. Tourner en rond, je trouve ça fatiguant alors je me remue souvent le vocabulaire et la syntaxe.
Brian Evenson, il paraît que c’est une sorte de pape d'une littérature que je ne connais absolument pas mais j’ai décelé un (tout petit) peu de Beckett en lui : il y a certains passages hilarants, voire méchamment absurdes (une mention spéciale pour ce passage où tout le monde s’appelle Paul !) Ah ! ça m’ennuie de parler de ce roman parce que je me doute bien que les fans sont nombreux, qu’ils pourraient aborder des tas de thèmes bien mieux que moi et pondre un papier de 10 pages (sans respirer) sur ce livre que je m’en vais terminer (plus que 10 pages !) dès que j’aurai mis en ligne mes petites considérations de maman bien gentille.
Déjà le titre, il me fichait une trouille pas possible mais on me l’avait conseillé plus que vivement. J’avais tenté de le lire une première fois il y a plusieurs mois, en vain. Là, je suis dans une période : il me faut un minimum de 100 pages par jour ou je mords, donc je lis tout ce qui me tombe sous la main. Il était là, je l’ai ouvert.
Kline , ancien agent d’infiltration, vient d’avoir la main tranchée. Ce sont des choses qui arrivent… Ce qui est moins courant, c’est de cautériser soi-même la plaie sur un réchaud. Mais ce qui est quand même rarissime, c’est de se retrouver ensuite prisonnier d’une espèce de secte étrange où il faut s’amputer toujours un peu plus pour gravir les échelons, où tous les gardes sont borgnes et où on organise à l’occasion une amputation-party bien sympa pour fêter un nouveau grade. Un gars, ou plutôt un demi-gars vu ce qu’il en reste (c’est un chef), demande à Kline de mener une enquête afin de savoir qui a tué le grand-maître, Aline (« Un prophète, un visionnaire. Deux bras amputés à l’épaule, plus de jambes, pénis tranché, oreilles et yeux arrachés, langue en partie coupée, dents arrachées, lèvres pelées, tétons coupés, plus de fesses. » P.38) En guise de pacte de confiance, il demande à Kline de lui trancher une phalange… Mais le comble (non, le comble reste à venir), c’est les conditions dans lesquelles le pauvre Kline (dont on sait peu de choses in fine) doit enquêter : surtout n’interroger personne, à moins d’accepter de sacrifier un orteil ou un bras.
La vérité ou la chair ? C’est la question qui est sans cesse posée dans ce roman qui fait penser, ou plutôt qui montre du doigt toute forme de secte : jusqu’où peut-on aller quand la religion, le dogme, les convictions vous aveuglent ? En citation, au début du livre, l’Evangile selon Matthieu, 5 :29-30 : « Si ton œil droit est pour toi une occasion de chute, arrache-le et jette-le loin de toi… Et si ta main droite est pour toi une occasion de chute, arrache-la et jette-la loin de toi. » comme pour nous rappeler les excès du Christianisme – entre autres - qui prône la négation du corps. La stricte observance est ici dénoncée sur fond sombre souvent mais aussi assez drôle. J’ai beaucoup ri lors des descriptions, par exemples, de cul-de-jatte ou de celles de bouche de tête amputée des yeux et qui s’exprimaient péniblement parce que la langue était pratiquement inexistante, alors que je ne suis pas du genre à supporter ne fut-ce que l’évocation de ce genre d’horreurs. Il faut dire que l’écriture de Brian Evenson est efficace. Il a le « truc » qui fait glisser les yeux de la page 1 à la page 219 d’une traite. À la fin, on se pose inévitablement la question de l’humanité : jusqu’où est on un homme, physiquement mais surtout moralement ?
Page 28 : Kline arrive dans la chambre que les membres de cette secte étrange lui ont attribuée.
Il referma la porte. Elle était dépourvue de verrou. Il ouvrit le casier. Des calendriers y étaient entassés ; à chaque mois était associée une femme plus ou moins dénudée, au sourire frénétique. Il lui fallut un certain temps avant de s’apercevoir qu’il manquait un pouce à la fille de janvier. Plus les mois avançaient, plus les handicaps devenaient évidents et nombreux : il manquait un sein à la fille de mars, les deux seins, une main et un avant-bras à celle de juillet. De la fille de décembre, il ne restait guère que le torse ; ses seins avaient été tranchés et elle portait une écharpe blanche en bandoulière frappée de l’inscription « Miss Minimum ».
Il reposa le calendrier, referma le casier. Après avoir éteint la lumière, il s’étendit sur le lit, mais le visage déformé par la joie de « Miss Minimum » restait gravé dans son esprit…
(extrait de Brian Evenson, "La Confrérie des mutilés")
Voilà, il y aurait des dizaines de points à aborder mais quand on n'a pas lu le livre, on ne prend pas la peine de lire certaines considérations ou des développements plus longs (moi, je ne le fais pas parce qu'avec un livre que je n'ai pas lu, je suis "en territoire inconnu"). Donner envie de lire, juste ça et le reste, d'autres personnes s'en chargent sûrement quelque part sur la toile.
Bonjour Maddy,
RépondreSupprimercontent que tu te sois replongée dans La confrérie des mutilés, et content aussi que tu en aies apprécié l'humour, même s'il est un peu, disons, spécial ?
Je ne voudrais pas dire de bêtise, mais il me semble que ce roman est sorti en version intégrale en France alors qu'aux états-unis, il ne l'était qu'en version amputée (sic) de sa deuxième partie.