mardi 9 juin 2009

Elle s'appelait sarah



Tatiana de ROSNAY, "Elle s'appelait Sarah", Héloïse d'Ormesson, 2007.





Je ne sais pas vous, mais moi, il y a des choses que je n’oublie pas. Je sais que je ne les oublierai jamais. La voix de ma maman, le goût de ses boulettes. Les conseils de mon papa, ancien soldat (en cas de guerre, je saurais quoi faire, je crois…) Les premiers mots de chacun de mes enfants (papa, papa, papa, papa, papa et papa !). La tête de la monitrice en colonie quand j’avais 5 ans, j’étais tombée dans des marécages, elle me regardait m’enfoncer… La première fois que je suis allée à Paris, le vieux garde au Musée d’Orsay. Ma première cigarette dans le garage d’une camarade de classe ; j’avais 13 ans, j’avais vomi. Le premier garçon que j’ai embrassé ; j’avais trouvé ça scandaleux, je lui avais dit… La première fois que je me suis mariée, j’avais juré « C’est la dernière ! » ; ça l’a été. Le premier livre qui m’a fait pleurer, c’était « Le Rouge et le noir » (mais si !) Et puis ce retour de vacances, il y a deux ans. On remontait la France de nuit. Nuit d’avril. Pluvieuse. Et longue. Dans le van, personne ne dormait…



J’avais cherché sur les ondes une radio rasoir qui assommerait mes petits… Rien à faire : ça braillait sur toutes les fréquences. Puis Tatiana de Rosnay, interviewée pour son dernier roman, « Elle s’appelait Sarah ». Sa voix. Son émotion. La danse mécanique des essuie-glaces. Le froid. On avait dû enclencher le chauffage… Sa voix encore qui, au lieu de les endormir, mes enfants, les avaient tenus en haleine pendant plus d’une heure, une heure qui nous avait fait oublier la pluie. Plus d’autoroute. Plus de fatigue. Seulement Tatiana de Rosnay (et son petit accent anglais) qui évoquait la rafle du Vel d’Hiv. Mais c’est quoi, maman, le Vélodrome d’Hiver ? Mais écoute, ils l’expliquent dans le poste !


Juillet 1942. Paris. Opération « Vent printanier ». Le régime de Vichy. Des policiers français qui embarquent des milliers de juifs, qui enfoncent des portes, traînent des mamans par les cheveux, des murs qui tremblent et puis des petits enfants qui ne comprennent pas ce qui leur arrive. Des gens aux fenêtres. À toutes les fenêtres. Des cris. Des morts bientôt. Tellement de morts… Des familles entassées dans ce vélodrome. La chaleur. Les suicides. Des bébés qui naissent. Qui meurent. La séparation. Pour toujours. L’horreur. Et puis la honte. Le silence. Les années qui ont passé. L’oubli. Une plaque commémorative un jour. Et nous, dans notre voiture qui écoutons…


Paris encore. Juillet 2002. Julia Jarmond, journaliste américaine doit écrire un article sur la commémoration de la rafle du Vel d’Hiv. Jamais elle n’en a entendu parler. Elle se documente et découvre, horrifiée, toutes les horreurs infligées à ces milliers de gens. Un peu par hasard, elle est amenée à s’intéresser en particulier à une petite fille, Sarah. Elle enquête, remet en place les pièces du puzzle. Les uns après les autres, elle recueille les témoignages, brise les silences…
Parallèlement à ce récit, un deuxième « roman » nous conte la vraie histoire de Sarah, cette petite fille courageuse emmenée lors de cette nuit terrible. Dans un geste héroïque, elle enferme son petit frère dans le placard secret de l’appartement et lui promet de revenir. Elle tient toujours ses promesses, Sarah, le garçonnet le sait…


Ce roman, Tatiana l’a écrit dans sa langue maternelle, l’anglais. Je me souviens, elle disait « J’étais incapable de l’écrire en français comme les précédents. C’était trop difficile pour moi… » Elle est parfaitement bilingue mais c’est vrai que, même dans la traduction, on sent que son style, ses personnages sont plus crédibles, captivants que lorsqu’elle écrit en français. Parfois, on lui reproche d’user de « clichés ». C’est vrai aussi, dans son dernier roman « Boomerang », il y en a. Dans « Moka », il y en avait mais je ne les trouve pas gênants parce que je me laisse toujours embarquée par la persévérance, la thématique du secret. J’aime voir comment elle l’exploite, comment elle évolue dans ses écrits mais bref ! « Elle s’appelait Sarah », unanimement est évoqué comme un roman inoubliable. Ça, je veux bien le croire : je l’ai prêté à des amies, à mon chirurgien, à tout le monde et je n’ai pas reçu d’avis négatif. Au contraire, on loue la construction du récit, les scènes poignantes, le rythme soutenu (passages assez courts alternés : on passe d’une période à l’autre sans s’en rendre compte), la subtilité des indices qui permettent de reconstituer la vraie histoire de cette enfant… Un vrai roman ! Un million d’exemplaires vendus, un film, un message surtout : ne pas laisser le temps faire son travail.


Pas de page 28, elle est trop courte, c’est la fin d’un chapitre. Saut de page.

Page 29


L’homme en imperméable beige regarda à nouveau la liste.
« Attendez, dit-il à son collègue, il manque un enfant. Un garçon. »
Il prononça son prénom.
Le cœur de la fillette cessa de battre un instant. La mère regarda vers elle. La petite posa furtivement un doigt sur ses lèvres. Geste que les deux hommes ne virent pas.
« Où est le garçon ? » demanda l’homme à l’imperméable.
La fillette s’avança en se tordant les mains.
« Mon frère n’est pas là, monsieur, dit-elle, dans son français parfait, son français de souche. Il est parti au début du mois, avec des amis, à la campagne. »
L’homme à l’imperméable la fixa attentivement. Puis il fit un signe du menton au policier.
« Fouillez l’appartement. Vite. Le père se cache peut-être aussi. »
Le policier inspecta les pièces les unes après les autres, ouvrant soigneusement chaque porte, regardant sous les lits, dans les placards.
Tandis que l’un retournait l’appartement, l’autre attendait en faisant les cent pas. Quand il fut de dos, la fillette montra rapidement la clef à sa mère. A mère acquiesça. D’accord, semblait-elle dire, j’ai compris où il était…





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