Vincent ENGEL, « La Peur du paradis », JC Lattès, 2009.
L’Italie. 1920. La montée du fascisme. Un adolescent illettré. Une forêt. Une jeune fille qui la hante. Un mort et un bûcher. Des voix qui se taisent mais des yeux qui accusent. Une promesse, de celles que l’on fait dans les paradis. Du temps évidemment, toujours lui. Un peu, beaucoup de temps et après ?
Page 28 ? Déjà?
Mais Basilio ne partirait pas. Il savait qu’il devrait le répéter encore et encore. Lucia ne le croirait jamais tout à fait. Au mieux pourrait-il la rasséréner pour quelques jours, quelques semaines. Les gens disaient : « Je reste » et puis ils fuyaient, ou ils mouraient. C’était pareil pour qui demeurait. Son père lui avait-il promis de ne pas partir ? Basilio ne lui avait pas demandé. Contrairement à Lucia, il ne nourrissait pas cette inquiétude ; tout lui semblait figé pour l’éternité. Il avait tort sans, doute.
Lucia se taisait. Autour d’eux, la forêt bourdonnait. De sa main libre – l’autre était toujours lovée dans celle de son ami -, elle caressait l’écorce rugueuse d’un jeune chêne. Basilio songea qu’elle cherchait un signe, comme elle avait coutume de le faire dans le monde qui l’entourait. Tout faisait sens, pour elle, et rien n’avait la signification banale que les gens accordaient aux signes habituels. Lucia était peut-être la seule enfant du village à savoir lire, Filippo lui avait appris ; mais même les histoires des livres prenaient, sous sa bouche, des dimensions que l’on aurait jamais soupçonnées et qui enchantaient Basilio quand elle les lui confiait. Il préférait néanmoins les augures et les mémoires qu’elle décryptait dans le labyrinthe d’un buisson, sur la cicatrice d’un tronc, dans l’ombre d’un pli de sable.
Le silence coulait sur elle et la parait d’une lumière très douce. Sa peur semblait apaisée, elle retournait dans les sentiers de l’enfance.
Le style ? Très "Engel". Beaucoup de métaphores, des instants qui se figent, des pensées qui s’égarent…
Les personnages ? Très fouillés. À l’extrême parfois. Des « violations de pensées ». Le narrateur n’est pas un témoin, c’est un sorcier.
L’histoire ? Vraiment très "très Engel" ! Mais point barre ! Je n’en dis pas plus. À déconseiller, peut-être mais c’est pas sûr, à ceux qui n’ont jamais lu Engel. Plutôt commencer par « les Angéliques », Le bouquin ! plus « digeste ».
Alors quoi ? Pourquoi en parler, de ce livre ? Allez, il est tard mais je vais faire un effort. Fermez vos yeux et imaginez…Non, ça le fera pas ! Ouvrez les yeux donc et lisez ces petits bouts de phrases, ces pensées, ces évidences tirées du roman, implicites ou explicites :
Parce que les gens qui partent ne reviennent jamais.
Parce que des êtres faibles deviennent parfois les instruments d’un grand projet.
Parce que les grands projets sont parfois criminels.
Parce qu’il n’y a rien de plus dangereux qu’un être faible investi d’un grand pouvoir.
Parce qu’on peut se battre pour l’amour plutôt que pour son pays.
Parce que le temps parfois éteint les rêves.
Parce qu’il arrive que l’on doive pardonner.
Parce des fils finissent par s’en aller.
Et que des pères meurent.
Parce que les pères ne sont pas toujours les pères de sang.
Parce qu’on ne peut pas toujours renoncer à sa folie.
Parce qu’un homme, privé de son fils, peut s’attacher à un autre.
Parce que les vies continuent.
Que les feux s’éteignent.
Que le vent emporte le sable, et les cendres.
Parce que parfois on ne comprend pas.
Parce que l’innocence et le mensonge…
Et les souvenirs que l’on étouffe.
Parce qu’il y a des histoires qui empêchent de grandir.
Et des silences qu’il faut laisser crier.
Parce qu’il faut parfois s’asseoir entre ombre et lumière.
Parce que dans certaines vies rien ne se passe que le temps.
Et les illusions qu’il sème sur son passage.
Parce qu’on peut être trompé par ses rêves, par le soleil.
Et puis sa tristesse.
Parce que les portes ont parfois le dernier mot.
Parce qu’il est des vérités qui méritent d’avoir la joue en feu.
Et que les jours et les nuits ne se comptent pas toujours.
Parce que le temps donc encore lui…
Et des portes que l’on se décide à enfoncer.
Parce que tout le monde un jour menace quelqu’un.
Qu’il y a des morts.
Des bûchers pour les brûler.
Parce que la folie, parfois, se fait meurtrière.
Parce que la liberté peut faire mal à ceux qui restent derrière les barreaux.
Parce que… 403 pages. Il m’en reste une vingtaine. Je vais les lire avec l’envie de revenir en parler. (Même pas vrai, j’ai pas dévoilé un dixième du livre !) Attention quand même pour les « récalcitrants », les histoires d’Engel ont parfois l’air assez lentes à démarrer. Mais on s’habitue vite (je crois).
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