lundi 13 juillet 2009

Lolita


Vladimir Nabokov, « Lolita », Gallimard, 1955, Folio Poche.



Ce n’est pas facile de parler d’un livre pareil. Désolée pour l’entrée en matière mais c’est ainsi : on ne clame pas à tue-tête « J’ai lu ‘Lolita’ et c’est super ! » Je l’ai devant moi, ouvert à plat et je ne sais pas par quel bout le prendre. Il faut dire que ce n’est pas le genre de livre qu’on trimballe pour bouquiner dans un jardin public. J’en ai parlé aujourd’hui avec un ami. C’est un peintre. Il peint divinement bien et peu de choses dans la vie le choquent. Enfin, je crois… les gens, on ne les connait jamais vraiment. Il m’a avoué tout à l’heure, on était sur ma terrasse, on parlait littérature et il a dit : « Quand je le lisais, je le cachais. J’avais peur qu’on sache que je lisais ‘Lolita’ et pourtant, c’est un chef-d’œuvre. Et toi, qu’est-ce que tu en penses ? Pourquoi tu le lis au fait ?» Bonne question, je me suis dit tout en cherchant quelque chose à lui répondre. Je l’ai pratiquement terminé. La fin, je la connais. Je me souviens du film de Stanley Kubrick, vaguement.



Vladimir Nabokov, en 1959, il avait défrayé la chronique comme on dit. Un scandale. Son livre était un scandale, pas un de ces scandales mièvres qui finissent par devenir des lieux communs, mais un vrai de vrai qui, aujourd’hui, le serait encore. Confession, obsession, perversité, pédophilie, aliénation mais aussi romantisme, douceur, sentiment… non-sens aussi. Non-sens parce que les normes ne se discutent pas : ce récit est scandaleux (mais c’est du Nabokov quand même…) Les normes, dans Lolita, elles apparaissent à toutes les pages, en filigrane, chaque fois que Humbert Humbert, le personnage principal, le « monstre », évoque son attirance pour les nymphettes (entendez par là les gamines de 8 à 14 ans dotées d’un charme particulier ou vues comme telles).



Vous voyez comme c’est difficile d’évoquer ce roman ? J’ai lu à gauche à droite des articles afin de me faire une idée. Habituellement, quand je fais une de mes petites « chroniques », je ne consulte pas d’autres avis ; je me mets devant mon ordinateur et je laisse aller les idées, les impressions… Là, le thème est différent, sensible, tabou.En fin de compte, moi, je l’ai lu pour la prose d’abord (et quelle prose !) et aussi en me focalisant sur l’aspect « psychiatrique » : Humbert Humbert, c’est un malade, un aliéné, un coupable qui reconnait tous ses crimes. Il y a aussi tous ces opposés qu’il montre du doigt : l’Europe et l’Amérique des années 50, la femme et l’enfant, la normalité et son contraire, la monstruosité… Et, à propos de psychiatrie, ce qui est comique (mais si !) dans le livre, c’est la vision qu’a le narrateur de la psychanalyse freudienne et son côté outrageusement charlatan.



Vous avez vu ? Je cafouille.


Allez, on structure !



Un petit mot de Nabokov qui est né à Saint Petersburg en 1899 dans un milieu aristocratique anglophile. Parfait trilingue (maîtrise du russe, de l’anglais et du français), il décide, après quelques ouvrages rédigés dans sa langue maternelle, de rédiger ses romans dans celle de Shakespeare. Mon ami m’a dit aussi qu’il avait croisé James Joyce, dans un taxi…



Je m’égare à nouveau.



Avant-propos où on annonce la couleur : vous allez lire la confession d’un condamné publiée à titre posthume par un médecin.


Lolita, ou la confession d’un veuf de race blanche, tel était le double titre de l’étrange document que reçut le signataire de cette note préliminaire. L’auteur de l’ouvrage, « Humbert Humbert » est décédé en prison d’un infarctus du myocarde, le 16 novembre 1952, à quelques jours de l’ouverture de son procès. […] Considérée sous l’angle purement romanesque, Lolita met en lumière des situations et des passions qui, si l’on en étiolait le récit par des biais insipides, resteraient insupportablement obscures aux yeux du lecteur.



Ça commence fort !
Sur 500 pages, Nabokov tient un pseudo journal intime, raconte la passion dévorante d’un homme pour une gamine de 12 ans. À force d’essayer de l’approcher, il finit par épouser la mère. Après une vie de couple très brève, celle-ci meurt de façon tragique et Humbert Humbert devient ainsi le « tuteur » de Lolita. Il l’embarque dans une espèce de road trip à travers les Etats-Unis afin de mieux la posséder. Et en effet, il la possède mais les pages restent toujours très chastes (Nabokov est capable d’écrire pendant trois pages un doigt qui se retient d’effleurer). Humbert Humbert, s’il est capable de dévoiler ses pensées les plus sulfureuses à ses lecteurs, est bien trop « romantique » pour se laisser aller à raconter, donner des détails.



Tout au long du livre, Humbert Humbert s’adresse tantôt au lecteur, tantôt aux jurés. Il raconte, raconte, se confesse, se juge… et Nabokov réussit l’impensable pari de faire de cet être pervers un personnage sympathique aux allures de rentier cultivé et sensible. Sûrement est-ce un des aspects fascinants de l’ouvrage : on est du côté du « méchant », on sait qu’on devrait le détester mais on est subjugué par sa culture, son éloquence, son raffinement…



A noter aussi toutes les descriptions remarquables des lieux visités par le « couple » infernal.Une chose doit être dite aussi à propos de ce livre : il n’est pas question de « leçon de morale », nulle part. Il est question, simplement question, de bousculer les normes, de braquer les projecteurs sur l’aliénation (dans son sens premier) avec un sujet effectivement scandaleux.



Page 28


Le nombre des nymphettes authentiques est infime en comparaison des légions de fillettes ordinaires (qu’elles soient passagèrement disgraciées, ou « mignonnes », voire même « adorables »), qui sont des créatures essentiellement humaines, banales, replètes et sans forme, avec des tresses en queue de cochon, à la peau froide et au ventre ballonné, et qui deviendront – peut-être - des femmes d’une grande beauté (songez à ces affreuses gamines mafflues, en bas noirs et capelines blanches, qui se sont métamorphosées en éblouissantes Vénus de l’écran). Présentez à un homme normal une photographie de groupe (écolières ou girl-scouts) en le priant de désigner la plus jolie petite fille, et ce n’est peut-être pas la nymphette qu’il choisira. Il faut être un artiste doublé d’un fou, un de ces êtres infiniment mélancoliques, aux reins ruisselants d’un poison subtil, à la moelle perpétuellement embrasée par une flamme supra-voluptueuse (oh ! cette torture sous le masque !), pour discerner aussitôt, à des signes ineffables – la courbe féline d’une pommette, la finesse d’une jambe duveteuse, et cent autres indices que le désespoir et la honte et des larmes de tendresse me retiennent d’énumérer – la nymphette démoniaque cachée parmi les enfants bien normales auxquelles elle reste inconnue, ignorant elle-même le pouvoir fantastique qu’elle détient.


(Extrait de Vladimir Nabokov, « Lolita »)

Dernière chose: à mon ami finalement j'ai répondu "Je le lis parce que "La Transparence des choses" et parce que "Ada ou l'ardeur"."


Note à moi-même: impression d'en avoir parlé bien mal de ce livre. Tant de scènes d'anthologie, et pas que celles dites "scandaleuses", tant de personnages évoqués brièvement mais avec quelle prose, tant de coups portés aussi à la "Normalité"...

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