mercredi 21 octobre 2009

Pas ce soir, je dîne avec mon père


Marion RUGGIERI, « Pas ce soir, je dîne avec mon père », Grasset 2008, Le livre de poche 2009.


Je suis mariée à un mannequin. Oui, je sais : j’ai beaucoup de chance ! Pour tout vous avouer, j’ai jugé important de vous le dire parce que je viens de l’apprendre. Imaginez que ça fait 17 ans que ça dure avec mon mari et que la beauté, que dis-je ? la splendeur de son corps m’avait échappé jusque-là. Il a fallu que le sympathique mari de ma cousine s’extasie sur l’harmonie de sa silhouette pour que je la remarque enfin. Ce sont des choses qui arrivent : vous vivez pendant des années avec les gens sans les regarder vraiment et, si personne ne lui avait jamais balancé, à mon superbe mari « Mais ma parole, tu joues au mannequin ! », eh bien probablement n’aurais-je jamais réalisé la chance que j’ai de vivre avec un homme qui s’entretient. Depuis d’ailleurs, je ne l’appelle plus autrement : il est « mon mannequin » (Quand je cherche après lui, je demande « Vous n’auriez pas vu mon mannequin ? », si quelqu’un téléphone pour lui parler et que c’est moi qui décroche, je dis « Vous permettez ? Je vous passe mon mannequin. » Et même chez Carrefour, à la caisse, quand il range méticuleusement (il est aussi très maniaque) les courses sur le tapis roulant en refusant que je le seconde et en synchronisant ses gestes à la perfection (il est champion du monde dans la réalisation de pyramides de conserves), je prends depuis un malin plaisir à préciser à la caissière ébahie en le montrant du doigt « Il est mannequin ! »)


Bref, cela a bouleversé ma vie et c’est d’ailleurs ce qui m’a donné envie de lire ce livre dont j’avais entendu parler et que je m’étais juré de ne jamais chroniquer. Pourquoi ? La page 28 forcément ! Moi, la page 28, j’aime quand elle me fait tomber bas de ma chaise ou que j’en avale mon Mentos.

Lisez plutôt (on est dans un restaurant, d’ailleurs on y est très souvent)!

Il y a aussi « Out of Africa », toujours une jambe suspendue au marchepied du bar. Lui s’habille comme Clark Gable, porte des chapeaux mous assortis à ses tenues de savane, et liquide des Bullshot entre deux baisemains. Parfois sa compagne le rejoint, une magnifique rousse à l’ancienne, taillée comme Rita Hayworth, qui lui met trois têtes et doit mal le traiter. Il y a encore cette famille sympathique qui surgit, comme nous, tous les vendredis à heure fixe : le père, la mère, les filles, les fiancés, plus un ou deux bébés. Je les envie parce qu’ils commandent un grand plat pour toute la tablée et le font passer de main en main comme si ce plat leur appartenait et qu’ils vivaient là, dans la salle d’à côté. Il y a parfois une vieille gloire du cinéma français qui a donné son nom à des tagliatelles maison, lesquelles coûtent aussi cher que si c’était lui qui ramassait le basilic entre deux prises. Ou encore un mannequin aux yeux de chat, que tout le monde convoite en vain, parce qu’elle domine l’assemblée de ses longues jambes – déjà réservées par un vieux bronzé qui arrive de loin.

(Extrait de Marion Ruggieri, « Pas ce soir, je dîne avec mon père »)


Voilà pour l’extrait qui forcément ne reflète pas tout le livre mais le ton est donné : c’est sympa, jovial, rythmé et, même si les péripéties ne se comptent pas par dizaines, on n’a pas vraiment le temps de s’ennuyer. L’héroïne, surnommée Big a une trentaine d’années et vit avec un vieux de 55 ans, un vieux moche alors que son père, 55 ans aussi, est un vieux beau qui collectionne les conquêtes. Rien n’est trop beau pour cet homme qui refuse de vieillir et qui considère sa fille comme sa meilleure amie. Une grande réflexion sur l’immaturité de notre temps et la confusion des âges (dixit le Nouvel Observateur) et si vous voulez davantage de précisions, si vous cherchez des analyses ou des thématiques exploitables, allez voir sur la toile : ça doit pulluler. Moi, j’en ai retenu cette foule de personnages assez comiques, comme la grand-mère qui porte des chemisiers en soie à lavallière achetés 30 ans auparavant, une des fiancées du père qui s’appelle Fallen et qui, titubant sur des talons de 30 cm, ressemble à un bébé girafe, l’amoureux de Big qui a l’âge du père donc mais qui est le seul homme du coin à ne pas avoir une tête de rocker anglais, ou encore la mère de Big qui rêve de ressusciter Léon Zitrone pour offrir à sa fille un mariage princier, toutes les copines aussi, celles qui ne mangent que des aliments violets, celles qui suivent un régime protéines, celles qui se font vomir, les végéaro-casher jambonophiles, les allergiques au lait et les obsédés du groupe sanguin et puis, quand même, l’héroïne, Big, Marion Ruggieri de son vrai nom, et son « rapport malsain à la séduction, à tout ce qui peut transformer l’être humain en paon ».

Un roman bien gentil donc mais avec une impression de « vite fait bien fait ». Tant de personnages auraient pu être développés, les péripéties aussi mais bon, il s’agit d’un point de vue et, on peut lui concéder ça, à l’auteur : c'est difficile de voir vieillir les gens qu'on aime et on a tous peur de voir nos parents vieillir mais en même temps, ils sont vieux depuis qu’on est nés. D'où l'éternel conflit des générations.
Le rapport avec mon mari? Mais il est comme le père de Big: plus il vieillit et plus il rajeunit!


jeudi 15 octobre 2009

Le mec de la tombe d'à côté


Katarina MAZETTI, "Le mec de la tombe d'à côté", Babel, 2009.


Je n’ai absolument aucun sens de l’orientation. J’ai déjà dû vous le dire (je le dis à tout le monde). Ainsi, quand je veux aller dans une de mes librairies préférées, même si j’y suis déjà aller cent fois, je dois demander à mon sympathique mari de m’y conduire sinon, je n’arrive jamais à destination. Les routes, je ne les reconnais jamais. Mais bref, samedi, je tenais absolument à aller faire un tour dans cette librairie, juste y flâner un peu pour voir les livres, en acheter un ou deux, au hasard de préférence… J’ai bien fait. J’ai trouvé celui-là, un livre dans lequel on se glisse comme sur une chaise à une terrasse ombragée. On commande une glace et on déguste. Le reste peut bien attendre : on est en bonne compagnie…

Désirée est veuve, cultivée et vit en Suède. Elle est bibliothécaire et passe une partie de ses journées au cimetière où repose son défunt mari, mort accidentellement après cinq ans de vie conjugale. Le reste du temps, elle va au théâtre, dévore des livres, anime des ateliers de lecture ou voit ses amis. Elle vit dans un appartement tout blanc et décoré de ficus. Elle aime bien sa vie, sauf que depuis la mort de son époux, elle a perdu tous ses repères, alors elle reste là, plantée devant la tombe à attendre quelque chose qu’elle ne peut même pas nommer.


Lui, il s’appelle Benny, il est agriculteur et sa maison est décorée par les broderies jaunies de sa mère emportée par le cancer. Avoir une femme, il aimerait bien. Ce serait tellement plus pratique, le quotidien, avec des marmites fumantes le soir pour le dîner et un intérieur astiqué. Mais Benny, il n’a pas le temps de sortir et de voir du monde : la vie dans les fermes est rude et l’investissement doit être rentable. Alors lui aussi, il reste là, avec ses vaches ou ses géraniums qu’il repique sur la tombe de sa chère maman. La culture, il regarde ça de loin en se disant que ça ne l’aidera pas à faire tourner ses affaires…


Un jour pourtant, puisque les contraires s’attirent, puisqu’on est dans un roman et puisque les histoires d’amour naissent partout, même dans les cimetières, Benny aux cheveux poussiéreux va sourire à Désirée au chapeau ridicule et voilà, il n’en fallait pas plus pour donner un gentil petit roman qui se lit en une paire d’heures et qui, l’espace de 200 pages, nous aide à nous souvenir que la vie est pleine de surprises.



Pas de grandes fresques ou de rebondissements dans ce livre mais des sentiments, des bons mots, des points de vue aussi, celui d’une femme et celui d’un homme que rien ne devait réunir. On dit que la femme conçoit tout en fonction de l’amour et que l’homme conçoit l’amour en fonction de tout. Katarina Mazetti, une suédoise qui n’en est pas à son premier roman, l’a bien compris.




Méfiez-vous de moi !


Seule et déçue, je suis une femme dont la vie sentimentale n’est pas très orthodoxe, de toute évidence. Qui sait ce qui pourrait me passer par la tête à la prochaine lune ?
Vous avez quand même lu Stephen King ?


Juste là, je suis devant la tombe de mon mari, assise sur un banc de cimetière vert bouteille lustré par des générations de fesses…


Il y a de quoi s’énerver. Je veux dire, il n’était même pas malade…


Je viens plusieurs fois par semaine pendant la pause de midi…


S’il se met à pleuvoir, je sors d’une toute petite pochette un imperméable en plastic… il est parfaitement hideux.


Je passe au moins une heure ici, à chaque fois, avant de m’en aller. Dans l’espoir sans doute de susciter un chagrin de circonstance, à force d’acharnement. On pourrait dire que je me sentirais beaucoup mieux si j’arrivais à me sentir moins bien…


La vérité, et elle est pénible, c’est que la moitié du temps je suis furieuse contre lui. Foutu lâcheur…


L’autre moitié du lit double jamais défaite…


Et personne pour tirer la chasse d’eau à part moi…


Je ressens aussi parfois un léger frémissement entre les jambes, après cinq mois de célibat. Ça me donne l’impression d’être nécrophile…


À côté de la pierre tombale d’Örjan, il y a une stèle funéraire monstrueuse, oui, carrément vulgaire !


Il y a quelques semaine, j’ai vu pour la première fois la personne en deuil…
Le Forestier…


Il avait une drôle d’odeur et seulement trois doigt à la main gauche…



***



Putain, je ne peux pas la blairer !


Pourquoi elle est tout le temps assise là ?


Me rendre sur la tombe est mon seul bol d’air…


Des cheveux blonds fanés, des vêtements ternes et délavés…


J’aime les femmes dont l’apparence clame ‘Regardez-moi’ »…


Elles doivent avoir du rouge à lèvres brillant et de petites chaussures pointues…


Rien à foutre si le rouge à lèvre s’étale, si la robe est trop serrée sur les bourrelets…


Je tombe toujours un peu amoureux quand je vois une femme plus toute jeune qui a consacré une demi-journée à se pomponner pour qu’on la remarque, surtout si elle a de faux ongles, des cheveux cramés par les permanentes et des talons aiguilles casse-gueule…


Maman n’arrêtait pas de me tarabuster les dernières années pour que je « sorte » me trouver une fille…


Ce que ma mère ne savait pas, c’est qu’il n’y a plus de jeunes filles qui attendent au quai de collecte du lait…


Elles sont toutes parties en ville…

mardi 13 octobre 2009

Un extrait


Je viens de lire un livre super. Je suis contente. C’est un de ces romans tout simples qui vous aspirent, vous font du bien, mettent de la musique dans votre tête et des sourires dans votre cœur mais je vous en parlerai demain ou après parce que je n’ai pas le temps. Le temps… on passe sa vie à courir après sans jamais pouvoir l’atteindre, un peu comme les étoiles que l’on voudrait toucher du bout des doigts… mais en voilà assez avec les mots fleurs bleues aujourd’hui. Je voulais vous parler d’autre chose.


« L’une et l’autre », eh oui ! encore un tout petit peu, sans chercher à vous gaver. C’est seulement que plusieurs personnes m’ont demandé où j’avais trouvé le temps justement de l’écrire, ce recueil, et, à chaque fois (sans vouloir supposer que j’ai réalisé une prouesse), j’ai répondu « Je n’en sais rien, je sais pas ce qui m’a pris, je suis débordée, tout le temps en train de courir à gauche et à droite ». Je dis ça sans prétention ; il ne faut pas croire que je place mon petit recueil au-dessus de tous les livres que j’ai lus, loin de là mais je l’aime bien et j’ai envie que d’autres personnes le lisent, au moins deux ou trois, ce serait déjà bien. Le temps donc, je n’en avais pas. Pensez-vous : avec mes six galopins et mon boulot mais j’avais quelques histoires à raconter. G@rp m’a filé un coup de main sans que je lui demande. Ça s’est fait tout seul. (Ça n’a pas été facile, j’avoue, parce qu’il est du genre à râler pour un rien et moi aussi.)


Avant d’écrire, j’enregistre toujours une sorte de brouillon et, quand le texte est terminé, je l’enregistre à nouveau pour le corriger. Les mots sans la voix, ils ne sont pas grand-chose. Donc, pour peut-être vous donner envie de le lire, je vous mets un enregistrement qui traîne sur mon disque dur. C’est le début de « Le miroir d’eau ». Une histoire d’amour, un amour qui s’était caché dans les années, celles qui passent sans que l’on s’en rende compte. Le temps, encore lui, si on ne peut jamais l’atteindre vraiment, il est souvent magicien…


Au fait, l'enregistrement (en bas) est fait avec les moyens de la maison (et un accent maison aussi), dans ma cuisine, devant des pommes de terre.


L'extrait texte si vous préférez:


Quand j’étais en terminale, il y avait cette fille étrange qui arrivait le matin les mains dans les poches et repartait le soir sans jamais dire un mot, un bonjour. Rien. Elle ne disait rien. Jamais. A personne. Elle était comme invisible, si transparente que j’en viens à me demander comment et pourquoi je me mets à y repenser, maintenant, là, étendu sur mon lit. Ma mémoire l’avait chassée ; c’est étrange, cette manie qu’a notre cerveau de gommer certaines existences insipides et, à vrai dire, elle y avait tenu si peu de place, dans ma tête, que j’en viens à douter de l’avoir connue un jour. Quoi qu’il en soit, son visage déplaisant, presque hideux, vient de resurgir du passé et cela me met mal à l’aise…

Dans une heure, j’ai rendez-vous au bord de l’eau avec Florine. Je m’en réjouis depuis plusieurs jours. Florine est belle, gracieuse, drôle (ça lui arrive). C’est le genre de fille qu’un homme peut attendre très longtemps. Oui, vraiment, elle est tout ça et le temps n’en finit pas de me faire attendre moi aussi.

Dehors, en bas de l’immeuble, des voix qui passent. J’ai faim. Je me lève pour aller préparer un petit en-cas. Puis, assis sur la terrasse, j’avale machinalement des bouchées de sandwich au poulet en me laissant enivrer par les couleurs du fleuve qui miroitent du côté ouest de la ville. On appelle ça le miroir d’eau, quand la luminosité est telle que le fleuve se fait psyché. Bientôt, le soleil viendra s’y baigner. La vue est si belle que j’en oublie l’incessant tapage urbain. J’ai rendez-vous avec Florine et tout va bien ; je peux même m’assoupir, rêvasser un peu…

******

Aujourd’hui, Elisabeth fête ses vingt-six ans. En se levant ce matin, elle l’avait complètement oublié. Du coup, son humeur en a été légèrement affectée tout au long de la journée. « Ce sont des choses qui arrivent, se dit-elle pour se consoler, je ne suis pas impardonnable : je me lève 364 fois par an sans y penser… La prochaine fois, je veillerai à m’en souvenir. »

Sa journée de travail s’est donc écoulée dans une mélancolie relative. Des images de cadeaux ont titillé ses pensées pendant qu’elle remplissait les rayonnages chez Carrefour. A l’aide de petites secousses de la tête, elle essayait de les chasser. Aucun cadeau ne l’attendra ce soir ; elle le sait. Toute à ses réflexions, elle longe l’étroit trottoir qui s’étire le long de la Meuse. Chaque fois qu’elle fait un pas, une voiture la frôle. Parfois, c’est un camion qui fait trembler la chaussée. Au-dessus de sa tête, le ciel s’apprête à ravir le soleil pour l’engouffrer dans la nuit et déjà, les couleurs des eaux ronflantes déclinent. Les uns après les autres, les automobilistes allument leurs phares. Il commence à faire froid. On est en février, ce mois si court et si long. A une centaine de mètres devant elle, quelques oies sauvages ont fait halte. Sans prendre garde à la circulation, elles caquettent, sautillent, s’oublient sur la route. Coups de klaxon. Elisabeth tressaille : l’une d’entre elle a bien failli. Pour ne pas assister à un éventuel carnage, elle s’arrête et prend appui sur la balustrade de béton. Un moment se passe. Son regard s’abandonne derrière ses prunelles. Dans son dos, le vent s’est mis à souffler. Au-delà du fleuve, des immeubles déchirent le ciel. Pas de quai de ce côté. Un parc. Quelques arbres. Pas d’oiseau dans le ciel blafard.

« La nuit ne va pas tarder à descendre. La nuit qui descend… quelle étrange expression, dit-elle à voix haute. La nuit descend et moi, je monte dans les ans… Voyons voir, avant que la nuit ne s’écrase sur la ville, qu’est-ce que je souhaite pour mon anniversaire ? Que peut-on bien désirer pour ses vingt-six ans ? De l’amour ? Je suis si laide… De l’amitié ? Je suis si inintéressante… De l’argent ? Je m’en fiche… Du respect ? Pour quoi faire… Du rire alors ? Du bonheur ? C’est ça : du bonheur ?

« Du bonheur peut-être mais n’est-ce pas l’aboutissement de tout le reste ? » s’enquiert une silhouette surgie de nulle part. Sans lui accorder la moindre attention, Elisabeth soupire en resserrant son manteau de laine. Derrière elle, le Nord s’acharne et souffle. Sur le fleuve, une péniche chargée de sable jaune trace un sillon qui disparait aussitôt sur le miroir d’eau.

— Quoi alors ? continue-t-elle avec un soupçon de lassitude dans la gorge.
— Tu le sais bien, Elisabeth, ce que tu veux. Malheureusement, on n’est jamais en position de vouloir ; on ne peut qu’attendre. Depuis combien de temps attends-tu ?
— J’ai oublié, murmure-t-elle.
— Si tu as oublié, c’est que tu n’espères plus : l’espoir est nécessaire à l’attente, sinon rien n’a de sens.
— C’est vrai ça, oui, c’est bien vrai, concède-t-elle en se penchant vers le vide. Où étais-tu passé ? Je t’ai cherché pendant si longtemps.
— J’étais là mais je l’ignorais. J’ai pensé à toi aujourd’hui, avoue la silhouette avant de s’évanouir...





dimanche 11 octobre 2009

American psycho


Bret Easton ELLIS, « American psycho », Robert Laffont 10/18

Il paraît qu’on a tous des problèmes psychologiques, que c’est ça qui fait de nous des êtres sensibles. C’est assez rassurant… Par exemple, hier, j’étais dans un magasin de vêtements bon marché où on peut acheter du linge de corps pour trois fois rien. J’avais dans mon panier 24 paires de chaussettes, autant de petites culottes pour mes filles, de slips pour mes garçons, 9 pyjamas en pilou, 15 chemisettes en coton… Une fois à la caisse, la vendeuse essayait de tout mettre dans un seul sac en plastic. Elle poussait le linge, le comprimait comme elle pouvait. Excédée de voir mes achats malmenés ainsi, j’ai sorti une réplique du genre « C’est bon, là, vous pouvez pas prendre un deuxième sac ? Je vais rentrer chez moi avec des loques si vous continuez! » Après, il s’est produit une scène comme on n’en voit que dans les séries américaines : elle s’est mise à renifler, à pleurnicher qu’elle en avait marre que les gens la harcèlent pour les sacs, que c’était pas elle qui était responsable du règlement, qu’elle allait appeler la responsable et déchirer toutes mes culottes et puis d’ailleurs, j’avais qu’à partir et jamais revenir si j’étais pas contente ( ???). La responsable, alertée par son vacarme, est arrivée en m’accablant de reproches : à l’heure du recyclage, on vient avec son sac ! et puis si on veut de jolis sacs, on va à côté où la petite culotte coûte 30 euros non mais sans blague ! elle en a ras le scanner de mettre un peu de bon sens dans la cervelle des clientes qui n’ont rien à faire des règlements ! un sac par client c’est un sac par client point barre !!! alors dehors et que je me dépêche d’emporter mon sac où elle va s’énerver non mais pour qui je me prends ? elle aura tout vu et tout entendu !


Voilà. Avec mon sac je suis sortie, un peu choquée mais pas tant que ça parce que je venais de terminer « American psycho » et que, ma foi, les deux femmes ont eu de la chance : il y en a qui se seraient emballés pour moins que ça. Patrick Bateman, par exemple, le héros (que le terme lui sied mal..), lui, il serait revenu le soir pour trucider les deux râleuses, les aurait sciées en deux après avoir sauvagement abusé d’elles (en même temps), aurait arraché les lobes de leurs oreilles avec ses dents, mis un rat dans une partie bien précise de leur anatomie avant de les décapiter et de mettre leur tête au four à micro-ondes et leurs intestins à bouillir dans la marmite. Vous voyez ? On a tous des problèmes psychologiques sauf qu’on ne les gère pas tous de la même façon. Moi, j’ai juste fait une gentille petite crise d’hystérie en racontant ça à mon mari : « Non mais tu entends ce que je te raconte ? Oh ! je te parle ! Tu t’en fiches, c’est ça ? Dis-le si tu t’en fiches qu’on m’humilie quand je fais mes courses ! Tu ne dis rien ? Donc tu t’en fiches ! Très bien, tu l’auras voulu ! »


Mais revenons-en à ce livre. Bateman a 27 ans, il est bourré de fric, il bosse à Wall Street quand il ne passe pas son temps à réserver des tables dans les restaurants branchés. Toutes ses activités sont entrecoupées de coke party ou de séances de gym intensives. En plus de cela, il voue un culte sans pareil aux apparences. Le look, les vêtements de marque virevoltent entre les lignes comme des petits dieux indétrônables et rien, pour lui, n’est plus repoussant qu’une vendeuse habillée de façon quelconque ou – pire – un clochard vêtu de loque et empestant l’urine. Bateman est un yuppie, un vrai, qui se pavane dans les soirées branchées avec, toujours, une super fille à son bras. Elles sont d’ailleurs toutes folles de lui et tout le monde s’entend pour trouver son humour décapant quand il interrompt les conversations pour déclarer « Il m’arrive de scier des femmes en deux » ou pour demander « Mes cheveux, ça va ? »


Mais jusque-là, je n’ai encre rien dit du livre, de l’impression qu’il laisse (j’aime bien ça, les impressions, ce qui s’imprime). Pourquoi est-ce que je l’ai lu ? Jusqu’à la fin ? Alors que, pendant toute la lecture, je n’ai pas cessé de me dire « Vivement que je lise un autre livre ! » Je n’en sais rien… Le livre a fait scandale lors de sa parution : homophobie, racisme, sexisme, sadisme, drogue, alcoolisme, cruauté sans nom… le personnage principal n’a vraiment rien pour plaire. Il tue, de sang froid et, de préférence, avec bestialité. Les meurtres sont décrits de façon très minutieuse, chirurgicale et, à plusieurs reprises, j’ai été forcée de sauter des lignes tant le texte est insoutenable. Bateman est également vicieux, maniaque, intolérant mais pourtant, il est si bien mis en scène que l’on a l’impression qu’il existe et qu’on pourrait le croiser à un distributeur de billets. Il est aussi très intelligent. C’est un passionné de musique qui vous décortique un album comme aucun critique ne le fera jamais. Il a, quelque part au fond de lui, des bribes de rêves qui – il le sait – ne se réaliseront jamais : la société est ainsi faite, devenue, que les hommes ne sont plus que des bêtes sauvages. Jamais il ne remet en question son attitude et ça, c’est encore plus écœurant que le texte en lui-même. Le texte donc, il vous attaque (il n’y a pas d’autre terme) et, je le sais, on en reste marqué longtemps après.


Et Bret Easton Ellis, dans tout ça, qu’est-ce qu’il y a à en dire ? Que c’est un auteur génial évidemment, pas parce qu’il a écrit un bouquin où des femmes et des sans-abris se font décapiter toutes les deux pages mais parce qu’il parvient à construire son récit sur un seul personnage, que, dès les premières pages, il nous fait comprendre ce que son personnage est, qu’il n’y a pas de place pour le doute : c’est un serial killer sans état d’âme, rien ni personne ne le fera changer ou éprouver le moindre regret. Pour lui, il n’y a aucune différence entre regarder une émission télévisée ou déposer des vagins de femmes dans son casier au gymnase.


Le livre est un de ceux qui a le plus marqué la littérature américaine, non seulement par le fait de l’intrigue mais aussi à cause de son côté satirique. Bret Easton Ellis, en effet, ne rate pas une occasion de dénoncer le matérialisme et le culte des apparences de l’Amérique de Reagan. L’argent, les apparences, le laissez paraître, c’est tout ce qui compte, et le reste n’a plus aucune valeur.
Absolument plus aucune.

Pas de page 28 mais un extrait en images et en musique.



samedi 10 octobre 2009

L'une et l'autre: un extrait

Rébecca au pays du sommeil

Il est 04h37 et aujourd’hui, Rébecca doit mourir. Elle l’ignore encore parce qu’elle dort, lovée dans ces draps délavés qui la bercent depuis l’enfance. Ce n’est que plus tard au cours de cette journée printanière à venir, ensoleillée et insouciante qu’elle apprendra la terrible nouvelle. Pour être exact, ses yeux se fermeront une dernière fois à 21h22 quand, surgissant de la gueule béante et enténébrée du tunnel de la nuit, d’une sorte de nulle part inattendu, la mort arc-boutée sur le volant d’un bus jaune et bondé la fauchera, la projettera en l’air avant qu’elle ne retombe tête première sur le bitume râpeux où son crâne éclatera avec un craquement de noix qu’on écrase. En attendant, se profile devant elle une succession douce de quelques heures délicieuses capables, à elles seules, de remplacer volontiers les souvenirs de toute une existence ; car jusque-là, Rébecca a bien peu vécu, mais qu’à cela ne tienne, il est 04h39 et tout va bien pour la demoiselle. Elle dort, le visage posé sur l’oreiller. À ses pieds, un chat noir ronronne, s’étire et semble sourire, puis disparaît sous le lit.

Sur la table de chevet, un vieux réveil tique et taque les minutes dans l’obscurité, égrenant lentement le temps jusqu’à 05h43. À ses cotés un livre épais et grand ouvert, abandonné la veille. Lewis Carroll. Alice. Au pays des merveilles.

05h44 : dehors, la nuit, prête à détaler, se dégourdit les membres, taquinée par d’invisibles moineaux. Rébecca, elle, attend, les oreilles aux aguets, les jambes sur le qui-vive, que l’alarme l’invite à se lever mais, peu enclin à changer ses habitudes, le temps se prélasse et s'ankylose dans la pièce exiguë. Rébecca, à l’évidence, ne s’en formalise pas car attendre, elle sait le faire. C’est même ce qu’elle fait de mieux. En réalité, elle ne fait jamais rien d’autre. Elle attend, depuis une éternité maintenant, que les jours passent, filent en saisons, puis se tricotent en années. Elle est comme ça, Rébecca, désabusée. Elle vit seule, elle est vilaine. Ni compagnon, ni famille. Juste un chat indolent et quelques piles de vieux journaux entassés contre un mur. Ainsi, elle attend sans trop savoir ce qu’elle attend. Un changement, de l’imprévu, aime-t-elle à penser, qui finira bien par arriver mais rien ne presse ; chez elle, la patience est une seconde nature.

Tous les matins d’ailleurs, les yeux accrochés au plafond crépi et jauni de sa chambre, elle se réjouit que le réveil sonne six heures (ce qui ne manque jamais de se produire). Après, fichée sur l’unique tabouret de la minuscule cuisine, les pieds à vingt centimètres du sol, elle attend que le café coule, en pivotant de droite à gauche, puis de gauche à droite. Une fois le breuvage fumant avalé, elle bondit de son siège, s’éclipse derrière le rideau de douche craquelé, dans un coin de la cuisine, et n’en sort que lorsque les dix mètres carrés de son meublé sont plongés dans les vapeurs des effluves matinales. Parfumée au savon de Marseille, vaguement coiffée, elle jette en passant un œil à son reflet dans le rétroviseur lui tenant lieu de miroir, suspendu au-dessus de l’évier de la kitchenette. Elle grimace (toujours), se pince les lèvres et les joues jusqu’à ce qu’elles rosissent. Nouveau coup d’œil ? Verdict : pas terrible. Mine boudeuse suivie d’une autre grimace (un réflexe) et les yeux qui se mettent à rouler dans tous les sens. De l’évier à la penderie, de la penderie au lit, du lit à la poubelle, de la poubelle au rideau de douche, du rideau de douche à la fenêtre en bois vert, de la fenêtre en bois vert au rétroviseur. Stop ! Elle secoue ses boucles brunes, étire ses pommettes rondelettes, se tapote les joues et rechigne (souvent) à utiliser le stick de rouge à lèvres acheté en solde des mois auparavant. Alors, elle le caresse (parfois) avec son auriculaire pour s’en colorer les lèvres. Finalement, elle se trouve moins laide et même (rarement) un peu plus belle.

Une fois passé ce rituel futile et quotidien, elle sort acheter le journal au kiosque et un pain frais à la boulangerie. Nouvelle attente : la pancarte sur la porte indique « ouverture à 7h ». Il est 06h54. Inutile de s’impatienter : attendre, Rébecca sait le faire. Une fois de retour, elle n’enclenche pas la radio, ne passe plus devant le miroir, ne nourrit pas le chat et ne refait pas son lit. Elle s’assied, sur son tabouret pivotant, tartine de confiture à l’ananas des rondelles de pain grillé jusqu’à ce que la moindre parcelle en soit recouverte, avale machinalement chaque bouchée, les yeux suspendus au néant de ses murs blancs. Ensuite (systématiquement), elle se souvient qu’elle a acheté le journal oublié sur la commode à côté de la porte d’entrée. Un bond et retour à la petite table carrée qu’elle ne partage jamais avec personne. (Pourquoi ? Parce qu’elle est laide ? Probablement. Parce qu’elle attend de rencontrer la personne qui aurait envie de voir sa table ? Peut-être...) Assez brièvement ensuite, elle tente d’éplucher une rubrique ou l’autre mais très vite, ses yeux se mettent à cligner. De fatigue ? Oui, de fatigue. Rébecca, pour patiente qu’elle soit, a néanmoins l’œil paresseux. Ni myope ni astigmate, elle a tout simplement un regard fainéant, démissionnaire devant l’effort ; raison pour laquelle elle n’est jamais parvenue à décrocher le moindre boulot. Ni à entretenir la plus infime relation amicale ou affective. Elle fait partie de ces rares personnes qui sont dépourvues de toute faculté ou même d’envie de concentration oculaire. À la télévision, les images l’endorment ; à l’agence pour l’emploi, les formulaires à remplir la désespèrent ; au restaurant, les silhouettes de ses convives l’épuisent et dans l’intimité, avec les hommes, elle se lasse (se lasserait en vérité) en moins de temps qu’il n’en faut pour le dire. Pas qu’elle n’ait plus de projets, Rébecca : à vingt-huit ans, on a la vie devant soi ! mais ses yeux, eux, sont… blasés ? exigeants ? intraitables ? rêveurs ? Rêveurs, oui. De ces yeux qui souhaiteraient s’illuminer comme un arc-en-ciel cambré de part et d’autre de l’horizon pour mieux triompher d’un ciel capricieux. Et des yeux qui rêvent, ce sont des yeux absents, éteints : la vie, la vraie, est si terne et les rêves, lorsqu’ils finissent par se décolorer comme de vieux draps, deviennent éphémères chrysalides puis papillons qui s’envolent en noir et blanc pour aller mourir quelque part de l’autre côté de l’arc-en-ciel. Des regrets ? À peine. Des images, plutôt. Fugaces.

Ainsi, Rébecca attend tous les matins que son réveil sonne, que le café coule, que la buée recouvre les vitres, que la boulangerie ouvre, que ses tartines soient recouvertes de confiture à l’ananas, que son envie de lire les nouvelles l’abandonne et là, à partir de ce moment précis et étrangement immuable, sur le coup de 07h53, elle n’attend plus rien.

Pour le commander: Maddy Duchesne et g@rp, "L'une et l'autre", éditions Praelego, ISBN 9782813100320

vendredi 9 octobre 2009

L'une et l'autre


Il y a longtemps maintenant, j’avais des correspondants, des vrais correspondants je veux dire : on s’écrivait des lettres, des vraies lettres, de celles qu’on ne reçoit plus jamais aujourd’hui. J’étais jeune et chaque fois qu’il en arrivait une, c’était un petit bout de magie à ouvrir et à savourer. Maintenant, c’est différent : on ne reçoit plus que des factures et des publicités. Pour les lettres, il faut ouvrir sa boîte mails mais ce n’est plus la même chose, c’est de l’instantané, du vite fait, de l’éphémère que l’on ne peut pas ranger dans un tiroir. Bref, il y a quelques mois (et pendant quelques mois) j’ai écrit, avec un « complice », G@rp, un recueil de nouvelles qui rend hommage aux lettres de papier. Ça n’a pas été facile parce que 1000 km nous séparent. On s’est souvent crêpé le mail mais, avec un peu d’obstination, on y est arrivé et voilà : c’est l’histoire d’une femme seule et triste qui est persuadée qu’un écrivain reclus est le seul capable de lui rendre le sourire. Elle le harcèle, le force à écrire et, au bout du compte, c’est elle qui écrit…

Le livre est disponible dès lundi en commande chez votre libraire ou sur Internet. Ça s’appelle « L’une et l’autre » et c’est aux éditions Praelego.

Je vous mets le prologue qui, comme la couverture, résume bien l’histoire. Une précision quand même : c’est un peu fleur bleue mais, comme me le disait G@rp, c’est d’abord du rêve, rien que ça et surtout c’est sans prétention. Si ça vous dit…



Prologue


L’univers. Silencieux. La voie Lactée. Des étoiles. Par milliers. La Lune. L’atmosphère. La Terre. L’Europe. La France. Le Sud. Marseille. Un été finissant. Une colline. Une maison sur la colline. Un homme dans la maison. Seul. Une bibliothèque. Un bureau. Silence. Une fenêtre à croisillons. Un jardin. Grand. Un parc. Ombragé par endroits. Dépouillé. Quelques massifs mal entretenus. Un banc de pierre. Pas de clôture. Un étang. Un peu d’herbe folle. Beaucoup de terre battue. Le chant d’un oiseau. Une tombe. Et puis plus rien. Au-dessus un escadron de nuages soufflés vers le Nord. Le vent levé. Timide d’abord. Furieux ensuite. Début de tempête. Accalmie déjà. Rayons de soleil. Nouveau silence. Qui se propage. Vers le Nord. Paysages. A perte de vue. Cartes postales. Montagnes. A la chaîne. Vallée. Champs. Cultivés. En jachère. A vendre. A bâtir. Agglomération. Villages. Petits. Un peu moins. A l’abandon. Repeuplés. Renaissants. Agglomération encore. Toujours. Fleuves. Écluse. Pluie fine. Élevages. Pont. Autoroutes. Agglomérations. Vallées. Rayon de soleil vertical. Vallée. Une autre. Route arborée. Ruisseau enjambé. Pont en ruine. Arc-en-ciel. Voie ferrée. Autoroutes. En croisement. Voitures. Véhicules. En tout genre. Des millions on dirait. Pluie battante. TGV. En ligne droite. La Meuse déjà. Sillonnant les plaines. Triste et grise. Charriant ses éternelles péniches. Forêt. Plusieurs. Sur des collines. Qui se font vallons. Wallonie alors. Collines encore. Et sidérurgie. Corons. Terrils. Fumée. Cheminées. Vapeurs d’eau. Automne. En avance. Et ciel résigné. Tout de gris paré. La Meuse à nouveau. Qui se glisse dans Liège. Pays des gaufres. De Simenon. Une maison. Ici aussi. En bordure de colline. Espace. Verdure. Une femme. Seule. Dans sa cuisine. Puis dans le jardin. Regard vers le ciel. Décoloré. Souvent. Averse de pluie. Détonation au loin. Coup de tonnerre sûrement. Des voix remontant la rue. Retour dans la cuisine. Fenêtre fermée. Table. Toile cirée. Machine à écrire. Tic tic tic tic tic…

mercredi 7 octobre 2009

Je disais donc





Je suis débordée (les enfants, le boulot, les animaux, le mari...) mais bref, avant d'oublier:





http://arobasestrategique.wordpress.com/2009/10/07/en-resume-sous-peu-et-bientot/#more-308